Climax par Climax
Migrateurs et autres oiseaux rares du Pacifique
Texte de Cap'tain Philip / couverture, illustrations et mise en page de Maryline Foucaut / sortie en janvier 2024 aux éditions Traboule distribuées par BoD (410 pages)
Une nouvelle édition avec des cartes reprises est sortie en mai 2024 aux éditions Traboule, distribuée par BoD (408 pages)
Pour commander la version papier :
1) à la librairie BoD :
cliquer le bandeau orange ci-dessus ou l'onglet "catalogue" en haut à droite de cette page pour accéder au widget correspondant et mettre le titre dans votre panier.
2) sur le site des magasins FNAC :
via le lien : https://www.fnac.com/e595934/Traboule
******
Cap'tain Philip et Climax, les auteurs de ce roman ont, pour l'un retranscrit ses nombreuses conversations avec Climax, pour l'autre saisi ses postures et avanies dans sa vie de tous les jours.
******
Synopsis de Climax par Climax :
Catamaran de 46 pieds, né à La Rochelle en 1990, ma carrière commence assez banalement par la vie quelque peu monotone mais au demeurant confortable de voilier de location aux Antilles. Bientôt, je découvrirai celle, combien moins paisible, de contrebandier aux mains d'un cartel, puis celle de bagnard au quai des douanes de Calais. Finalement libéré pour bonne conduite, j’expérimenterai celle de garçonnière d'un homme d'affaires de la nuit parisienne, enfin celle de base de vie d'un club de pêche sportive dans l'océan indien.
Au terme de cette jeunesse mouvementée et déjà lointaine à travers divers océans, voilà qu’un beau jour je tombe nez à nez avec Cap'tain Philip, croisé à Malte dans ma prime jeunesse... Commence alors une nouvelle vie de liberté en compagnie de mon nouveau capitaine vers les océans qu’il me reste à découvrir. Le grand sud, ses grandes houles et ses milliers d’oiseaux ; le Pacifique et ses étonnantes rencontres...
********
LIRE LES PREMIERES PAGES :
Bon, charité bien ordonnée... Commençons donc par mézigue, Climax. Migrateur plutôt, pour ma part. La taille fine et l’étrave agile, remâté deux fois dans la même année 2020, celle du fameux covid... Une première fois à l’île Maurice, au début de cette année de toutes les peurs ; une seconde à la fin, dans la baie de l’Orphelinat à Nouméa, capitale du "rocher" demeuré à l’abri de l’épidémie quelques mois de plus, et siège du légendaire "bar du bout du monde".
Étant ensuite resté prudemment en mer au plus fort de la pandémie, me voilà rendu avec le patron bien loin de là, de l’autre côté de l’océan Pacifique, plus exactement dans l’abri de la baie des Vierges sur l’île de Fatu Hiva, la plus orientale, autant que la plus sauvage de l’archipel des Marquises…
Migrateur donc, puisque j’ai été conçu bien loin de là, au fond d’un chantier de Charente-Maritime au cours de l’hiver 1990, à quasiment cinquante bornes des plages de l’océan Atlantique. Est-ce à dire que je suis né au bord d’une rivière sur le plancher des vaches ?
Évidemment non ! Un coursier des mers naît le jour de sa mise à l’eau, autrement dit, le jour où l’Olympe par le bras de Neptune lui confère une âme ; chacun s’occupant là-haut de ses propres affaires. Nous y reviendrons...
C’est donc un beau matin du printemps 1990 que je suis né au contact d’un bassin à flot de La Rochelle. Est-ce pour autant que j’affiche aujourd’hui à peine plus de trente balais ? Non, une nouvelle fois, les traditions dans nos corps de métiers étant immuables, je peux me prévaloir sans fausse modestie aucune de soixante années d’expérience... Autant dire l’âge de la retraite pour nos capitaines, jusqu’à tout récemment en tout cas !
Ah oui ! Vous n’avez pas tous traîné sur les pontons depuis tout gamin et certains ne savent peut-être pas comment se détermine "l’âge vrai" d’un bateau... Pour les clébards, vous savez tous non ?
Si ton chien a deux ans et toi quatorze, vous êtes tous les deux tout fou, en pleine adolescence ; si au contraire, ton clebs va sur ses 10 ans et toi sur tes 70 balais, vous avez tous les deux des p’tits enfants et vous glissez gentiment sur la même mauvaise pente... Ben, pour les voiliers c’est du kif, sauf que le coefficient n’est que deux. Par exemple, moi qui n’affiche que trente piges et quelques sur le papier, côté expérience, j’en pèse un gros soixante par rapport à n’importe quel capitaine, même le meilleur !
Du coup, le patron et moi on est juste de la même génération, vous voyez ? Certes, lui est parti de Marseille à dix-neuf ans pour l’Asie du Sud-est, et moi à seulement quelques mois de La Rochelle, où je suis né, pour les Antilles. Mais on s’est retrouvés tous les deux à soixante balais sur le même ponton de la petite Marina de Nosy-Be à Madagascar avec notre histoire derrière nous.
J’ai bien dit "retrouvés"... Vous avez noté ? Oui, parce que c’est ça qu’est rigolo, et c’est même pour ça que j’vous raconte tout ça ! Mon patron, depuis ce jour relativement récent, celui du ponton de Nosy Be, je veux dire, c’est Cap’tain Philip. Or, Cap’tain Philip et moi, on s’est déjà croisés au cours de nos vies mouvementées ! C’était à Malte, en 1993... Autant dire un sacré bail !
Sur ce ponton de Nosy-Be, il y a deux ans, moi je l’ai reconnu du premier coup d’œil, Cap’tain Philip ! Bien sûr, à l’époque, il n’avait pas de cheveux blancs, mais une petite moustache, par contre. Lui m’a pas calculé, vous pensez bien ! Vous comprendrez mieux quand vous le connaîtrez !
C’est vrai aussi que j’avais pas encore le grand bossoir sur l’arrière qui m’change pas mal. Plutôt en bien, je trouve... enfin, bon, c’est pas à moi de l'dire !
Lui, il était déjà capitaine d’une grande sœur à moi en plus ! Une snob ! Madame arrivait de "Hyères les Palmiers via Syracuse"... Vous voyez l’genre !!! Elle se pavanait parce qu’elle était déjà venue là plusieurs fois, vu que Syracuse et Malte, ce sont justement les deux escales préférées de Cap’tain Philip en Méditerranée, il me l’a dit depuis ; sans faire le moindre rapprochement d’ailleurs malgré mes clins d’œil appuyés...
Moi, à Malte, c’était ma première visite, par contre. J’arrivais direct et sans escale de Grenade, dans les Petites Antilles. Alors, "Hyères les Palmiers", la belle affaire... Voyez c’que j’veux dire !!! Quant à Syracuse, c’est juste en face, y’a au moins cinq ferries qui font la liaison tous les jours !
Cap’tain Philip avait laissé la belle à ses manières et à son équipage qui avait l’air assez conséquent et plutôt fêtard, pour venir me voir de plus près avec son annexe. Il m’avait tourné autour avec pas mal d’intérêt, m’avait-il semblé, mais il n’avait pas pu monter à bord, car j’étais surveillé par un gardien maltais qui n’était pas commode.
Mais un de ces quatre, ça va faire tilt dans sa vieille caboche, j’en suis sûr ! Je sais même exactement ce qu’il dira ce jour-là, concis comme d’hab : « MERDE, C’ÉTAIT TOI !!! »
Vous me direz, c’est bien la peine d’arriver à soixante balais pour refaire les conneries qu’on a faites trente ans plus tôt !!! Et vous n’aurez pas tort… L’épisode Alfred, un autre migrateur de fond de cale, satanique, celui-là, le prouve assez ! Mais grâce au ciel, l’épisode Alfred est clos ; Alfred a été liquidé sur les côtes de Nouvelle-Galles-du-Sud. Nous en reparlerons en temps utile. Prenons plutôt les choses dans l’ordre... Et puisque nous avons commencé ce récit par mon auguste personne, revenons sur le port de La Rochelle en l’an de grâce 1990, à l’aube de cette ultime décade du vingtième de nos siècles...
Mes vernis avaient eu le temps de sécher pendant ce premier printemps. Après avoir franchi maintes fois les jetées de La Rochelle pendant l’été sous l’œil sévère de la tour Saint-Nicolas à l’occasion de locations à la semaine, je les vis disparaître pour de bon sous l’horizon un beau matin d’octobre 1990.
Mon premier patron était tout jeune. Il sortait tout juste de l’école. Employé par une société de location de voiliers aux Antilles, il n’avait trouvé pour le seconder que deux lascars en mal d’aventure recrutés sur le quai. Heureusement, la traversée était facile puisqu’il s’agissait de sortir du golfe de Gascogne par beau temps avant de rejoindre la route des alizés au niveau des îles Canaries.
Mon port d’attache a été Antigua pendant deux saisons. Autant dire, quillons en éventails et cigare au bec ! Un quotidien paisible, ponctué de petites croisières vers Barbuda ou Montserrat pour le compte de vacanciers hilares et parfaitement disposés à mon égard. Le tout, sous la conduite attentive de mon jeune patron qui, les mois passant, prenait de l’assurance. Au point que le jour venu, au cœur de l’été 1992, il avait pris la bonne décision, sans attendre les instructions de ses employeurs...
Un cyclone de catégorie trois approchant des Petites Antilles, on avait filé deux jours plein sud jusqu’à l’île de Grenade. Le cyclone était passé entre-temps en catégorie quatre et avait dévasté les îles de la Guadeloupe et de la Dominique avant de ravager celles d’Antigua-et-Barbuda. Un second phénomène cyclonique de moindre importance était arrivé quelques jours plus tard sur les îles de la Barbade et de la Martinique.
Côté météo, Grenade avait donc été un excellent choix de mon jeune patron. Sur place, il avait même appris que la petite île de Grenade était le premier producteur mondial de noix de muscade, avant d’être instruit à ses dépens quelques heures plus tard, d’un autre aspect du palmarès de la petite république... Beaucoup plus proche que ses voisines de la côte vénézuélienne, c’était devenu en quelques années une importante plaque tournante du trafic de cocaïne vers l’Europe...
Ce soir-là, comme il avait pris l’habitude de le faire en toute confiance sur le port d’Antigua, mon jeune patron m’avait abandonné pour la soirée en vue d’une virée des plus classiques dans les établissements de nuit de Georgetown.
Quand il était redescendu sur le quai un peu avant deux heures du matin, je n’étais plus là... Mon jeune fêtard, encore persuadé que les quelques verres de rhum arrangé éclusés à intervalles réguliers au cours de la soirée étaient seuls responsables de cette disparition fâcheuse, avait parcouru quais et pontons sans relâche jusqu’au petit matin. M'avait-il, tous comptes faits, laissé au mouillage... ? Mais dans ce cas où avait-il bien pu amarrer mon annexe... ?
À cette heure, de sombres individus avaient déjà mouillé ma pioche dans une anse déserte au nord-ouest de l’île et deux pirogues faisaient silencieusement la navette entre la plage et mes jupes arrière...
Au petit matin, les vapeurs d’alcool s’étant à peu près dissipées, la triste évidence était apparue à mon acolyte dans toute sa dimension critique... Il n’avait plus à sa disposition que son portefeuille essoré par la soirée de bringue, sa veste de quart qu’il avait gardé sur lui, tant le temps était aux bourrasques, et, heureusement, son livret maritime qu’il put présenter au poste de police du port, puis au consulat de France, quand celui-ci avait ouvert ses portes deux heures plus tard. Heure à laquelle, pour ma part, je faisais déjà route au nord-est depuis plusieurs heures à l’écart de toutes eaux territoriales...
**********