Épisode 1 : Histoire de climax pour les petits et les grands...
Bon, on ne me présente plus... CLIMAX, 30 ANS, la taille encore fine, remâté a neuf l'automne dernier !
Pour l'heure, je suis en Australie depuis plusieurs mois... coincé par le fameux virus ! Encore, l'Australie, c'est grand ! Beaucoup plus grand que la France et même plus grand que l'Europe toute entière ! On a ainsi pu visiter les grands ports de pêche des territoires de l'Ouest, s’arrêter le long des longues plages et falaises de craie des territoires du sud où vivent les derniers aborigènes, visiter la Tasmanie, la grande île du sud peuplé surtout de moutons, mais où on fait du très bon vin ! Captain Philip a fait de sacrées réserves sous mes planchers, faites-lui confiance !!!
On est encore remonté au large de longues lagunes, truffées de petits ports de rivière, anciennes bases baleinières converties aujourd'hui à la pêche au homard... On restait deux trois jours dans chaque, tranquille... Les courses , la lessive, les petits travaux sur le bateau, peinards quoi...
Je me baladais le long des côtes du lever au coucher du soleil, jusqu'à doubler "South Point", la pointe sud du continent australien, Le soir venu on relâchait dans des petits ports comme "Eden Bay".
C’est comme ça que de fil en aiguille on est entré un beau soir dans le chouette petit port de Bermaguy où on s’est carrément installé pour de bon tellement on s’y trouvait bien...
Le vieux m’avait amarré au bout du « ponton des Cancans ». Autrement dit juste à l’écart des places pourvues de bornes d’eau et d’électricité et donc payantes…
Pour l’eau on se débrouillait avec le tuyau du voisin. Il y avait une boulangerie artisanale à deux cent mètres de là, un marchand de fruits et légumes à côté et autant de bistros que dans un port de pêche breton. Bref de quoi tenir un siège !
Le soir, Cap’tain Philip allait boire son coup à la coopérative des pêcheurs.... on voyait bien qu'il pigeait rien à leur jargon, le vieux, mais on voyait bien aussi qu'il était bien là, à siroter son verre de vin en ayant l'air d'écouter mais en rêvassant à tout autre chose, comme il fait d'habitude ! Il revenait jamais sans un beau homard ou un panier de saint jacques ou de clams, mais en cours de route il s'arrêtait encore boire un verre ou deux, mais aussi profiter du wifi d’un des troquets pour écrire à sa chérie qu'il a laissée à Madagascar.... Bref, on se la coulait douce et le fameux virus en fait, on en entendait parler qu'à la radio...
V'la pourtant qu’un beau soir, mon capitaine rentre beaucoup plus tôt que d'hab... « j'sais pas c'qui s'passe, qu'y m'dit, tous les bistros sont fermés ! »
Le lendemain on se renseigne, lui d'un côté , moi de l'autre … c'était le virus !!! il était arrivé …
Pas ici, en Australie, bien sûr ! Un virus, ça traverse pas deux océans d’un trait comme un spoutnik ! Non, il était arrivé dans la tête des gens qui vivent en Australie.... et dans les faits, c'était presque pareil ! Et le premier résultat, c'est qu'au lieu d'être coincés en Australie, on était maintenant coincés là, dans ce petit état de la Nouvelle Galle du sud !!! Du coup c'est vrai qu'on était plus très loin de Port Jackson, la fameuse baie de Sydney et que si il y avait une solution à notre problème … c'est là-bas qu'on la trouverait ! Parce qu'un problème on en avait un sérieux … J'y viens … chaque chose en son temps !
C’est vrai qu’on n’en a pas encore parlé ! Ça fait pourtant un bon moment qu’on l’a sur les bras, ce problème ! Déjà pour rentrer dans la passe de Bermaguy, quelques temps plus tôt, on avait sacrément serré les fesses… C’était au coucher du soleil, il y avait pas mal de houle rentrante et un seuil de 2,50m à franchir pour accéder aux eaux calmes de cette lagune abritée. Le seuil on le voyait de loin, vu que la houle brisait dessus et que c’était blanc d’écume ! Cerise sur le gâteau : j’avais plus de sondeur… Ça faisait même au moins deux semaines qu’on mouillait à l’aveuglette tous les deux ! Cap’tain Philip a ses repères, moi j’ai les miens, et on se débrouille comme ça ! Quand même, on avait fait plusieurs fois demi-tour devant une entrée de rivière parce qu’on balisait trop ! Mais ce soir-là, devant Bermaguy, on l’a senti et on y est allés bille en tête…
Donc, le problème, le voilà… On est justement face à un de ses aspects les plus emmerdants… Evidemment qu’il est pas tombé en panne tout seul le sondeur ! Cap’tain Philip a démonté le tableau de bord trois fois pour vérifier les connexions, ressouder les fils suspects dans l’armoire électrique, démonté mes planchers pour suivre le câble jusqu’à la sonde ….NIB ! Rien trouvé d’anormal ! Il est resté des heures en pleine nuit, penché sur la notice la tête entre les mains avant de ressortir tripoter pour la énième fois les boutons du cadran ! NIB de NIB !!!
C’est seulement dans quelques jours qu’il découvrira le pot aux roses ! C’est Alfred qu’est arrivé à se faufiler pour aller cisailler les fils du capteur du sondeur dans le seul endroit où tonton avait pas pensé à regarder … l’intérieur de la table à carte…. Ce genre de long tiroir où on range les cartes marines bien à plat si vous préférez. C’est vrai que ça fait une dizaine de centimètres d’épaisseur et qu’il faut bien que le fil de la sonde le traverse pour aller ensuite filer sous mes planchers jusqu’à l’avant….
Bref, le fameux problème c’est Alfred ! Le câble de la sonde n’est que sa dernière trouvaille… Toutes les nuits, depuis des semaines il me pète quelque chose…. C’est carrément inimaginable !!! Le diable en personne ! Une nuit il coupe le fil de la lumière des chiottes, le lendemain il s’attaque au vernis de mes bancs avec ses sales petites dents, le lendemain il déchiquète la moquette de la cabine avant pour pouvoir se faufiler dans la pointe et bouffer les bouts … LUCIFER !!! bon, les histoires de vernis et de moquette, le vieux en fait pas un drame … Moi si ! Ou on va, là ? Chaque matin quand il se lève le vieux tombe sur un nouveau truc en panne, un matin il veut tirer de l’eau pour faire son café… le groupe de pression est en panne ! Alfred a cisaillé le fil d’alim… le lendemain il veut laver son bol , la pompe à eau de mer répond pas … encore Alfred ! le lendemain encore, c’est la lumière de la cambuse, et après carrément les pompes de cale… les unes après les autres …
Chaque jour Cap’tain Philip rafistole… les premiers jours en rigolant, comme si Alfred était un sacré farceur ! et puis de moins en moins gaiement, jusqu’à ce que ça commence à plus aller du tout… même si il continuait à rafistoler, jour après jour, en silence, des trucs que l’autre saleté venait nous rebouffer dès la nuit suivante … Il me parlait quasiment plus ou alors pour m’engueuler. Un comble ! C’est quand même pas moi qu’avait été le chercher ce rat, bon dieu !!! Sûr, y’a que moi qui l’avais vu grimper à bord … et alors, qu’est-ce que je pouvais faire ? Tout le monde roupillait à poings fermés. Bien sûr, j’aurais pu faire un petit bruit inhabituel comme je fais d’habitude quand y’a un blème, parce que je sais que Cap’tain Philip va tout de suite venir voir ce que c’est, mais là, ça aurait servi à rien… j’y reviendrai.
Toujours est-il que ces derniers temps ça allait plus du tout, le vieux faisait plus vraiment la cuisine, il dormait dans le carré le couteau de pêche à la main et les dents serrés… quand il entendait gratter derrière un vaigrage, il se levait en serrant son couteau et se mettait à gueuler comme un âne… le grattement s’arrêtait mais reprenait 10 mn après…. Je voyais bien qu’il commençait à se décourager et franchement je commençais du coup à m’inquiéter sérieusement moi aussi. Il avait acheté un tas de produits censés empoisonner les rongeurs depuis qu’on était arrivés en Australie, j’en avais partout ! de la cale aux vaigrages … poudre, granulés, cubes, pièges à ressort et j’en passe ! Mais jusqu’alors, rien n’avait marché … L’autre peste était malin comme un singe !
Y’a qu’une fois où j’ai bien rigolé ! C’était au début, quand c’était encore drôle…le Vieux s’était levé au beau milieu de la nuit pour aller pisser comme à son habitude. Et vl’à qu’y se r’trouve nez à nez avec Alfred dans la coursive…. Ils sont restés sans bouger au moins deux secondes. Alfred parce qu’il savait pas de quel côté fuir tant la coursive est étroite devant les chiottes ; Tonton parce qu’il cherchait des yeux le premier truc venu pour écrabouiller l’autre ! Et puis d’un coup il a poussé une gueulante de dingue ! Une beuglante je devrais dire ! Tu parles si j’en ai vu des conneries de faites à bord et autant de mecs et de nanas se faire enguirlander sérieux … mais là, c’était une soufflante à décoller la moquette, sans blague ! et ben, croyez-moi si vous voulez, mais l’Alfred, je l’ai jamais revu dans la coursive du Vieux ! Parole !
Cette maudite teigne a élu définitivement domicile dans la coque tribord. Mais le problème était pas réglé pour autant … le saccage s’est concentré à tribord, c’est tout ce que ça a changé !
Tant et si bien qu’un beau matin, c’est toute la coque tribord qui était en rade de jus ! Plus une lumière, plus une pompe, plus de flotte nulle part ! Le pauvre pitaine, il était KO ce coup-là, et moi j’ai cru que c’était fini … qu’il allait jeter l’éponge et que ça allait s’arrêter là notre aventure….
C’était justement le lendemain du jour où il avait trouvé tous les troquets fermés sur le quai de Bermaguy. Tu parles, si il avait choisi son jour le malfaisant !
Le vieux, il s’est fait un café. Jusque-là c’était logique puisqu’il venait de se lever…C’est après que ça s’est pas passé comme d’habitude… au lieu de se mettre au boulot pour commencer à réparer les conneries de l’autre petite saleté comme les autres matins, il a refait chauffer de l’eau stockée dans des bouteilles, puisque y’en avait plus au robinet… enfin une de celles qui restaient de bouteille, parce tous les jours on en jetait plusieurs, celles dont l’autre petite enflure avait percé le fond ! Un nuisible satanique, je vous dit. Un concentré de méchanceté, LUCIFER en personne ! Je vous l’ai déjà dit et je vous le répète, parce que je vois bien que vous me croyez pas ; je le comprends très bien, remarquez … Si un collègue me racontait une histoire pareille, je penserais au minimum qu’il exagère ! « Faut avoir vécu un abordage pour savoir ce qu’est la sauvagerie » disaient mes ancêtres du temps des coques en chêne. Là, c’est pareil ! C’est de guerre totale qu’il faut parler. Ni plus, ni moins … Ce matin-là, alors qu’il se préparait un deuxième kawa, le pauvre pitaine, il avait déjà perdu 10 kg, au bas mot !
En fait, c’était pour se raser, cette eau qu’il faisait chauffer ! Alors là c’était vraiment du neuf … ça faisait un sacré bail qu’il s’était plus rasé Cap’tain Philip !!!
C’est justement à ce moment-là que je me suis dit : c’est fini notre aventure ! Il en a sa claque et il se tire ; je vais finir ma vie là, dans ce petit port de langoustiers… Qu’est pas si mal d’ailleurs, que j’essayais de me dire pour me consoler … y’en a qu’ont eu moins de chance …
D’autant qu’à peine rasé, il a commencé à s’habiller pour sortir. C’est seulement en enjambant la filière qu’il s’est enfin décidé à me balancer les infos … « je fais trois courses, et on file directement à Sydney acheter de quoi exterminer définitivement cette saleté ! »
Ouf ! Je me suis senti mieux d’un coup ! Même si la perspective de faire plus de 300 mille avec les trois quarts des trucs en panne me paraissait un peu limite …
Je vous l’ai dit tout à l’heure ce rat je l’ai vu monter à bord… De mes yeux vu ! Il est pas arrivé à Maurice dans les cartons de légumes d’Alain, le cuisinier, comme le croit le Vieux… Il a grimpé à bord en en se laissant glisser le long du traversier quand on était à quai à Port Mathurin quelques semaines plus tard, en pleine nuit. C’était un quai de commerce et y’avait un raffut du diable à cause du cargo qui faisait la navette avec Maurice une fois par semaine et repartait justement le lendemain matin… À cause du boucan, j’ai rien pu faire pour attirer l’attention du Vieux !
Donc on l'a fait d'une seule tirée cette traversée ! Deux jours, deux nuits. On est arrivés l'après-midi. Le temps était maussade mais au moins y'avait du bon zef pour rentrer dans la baie ….
Parce que remonter port Jackson au moteur ...Bonjour ! Faut le voir pour le croire ! Quand on est sur une rive, on voit pas l'autre … on dit ça de l'Amazone ! Mais là c'est du kif … Bon, j'suis pas en train de prétendre que Port Jackson ressemble à l'Amazone, non ! Mais côté délire, garanti, c'est du pareil au même ! Gigantesque ! Et les bateaux, j'en ai vu quelques-uns moi en trente ans, figurez-vous … La cote, Newport, les Bahamas, l'Afrique du sud, Nosy-Be, Maurice, les petites Antilles, je connais ! Plus jeune, j'étais même immatriculé là-bas ! Rien qu'à Newport, plus de mille voiliers mouillés dans la même baie, dont les trois quarts avaient deux fois mon âge.... j'm'étais vraiment senti tout p'tit, tout môme ! Mais là, Sydney, j'vous parle d'une autre échelle ! Du 1 à 100 ! 100 000 voiliers au bas mot ! Le moindre bras de mer, de rivière que tu remontes, et c'est des milliers d'autres voiliers amarrés sur des pontons, à l'ancre, sur coffre, des milliers et des milliers partout …. Y'en a quasiment un devant chaque maison, tiens ! Y'a juste la taille des mats qui diminue graduellement, en rapport des tirants d'air des ponts quand on remonte vers l'amont ! Cap’tain Philip aussi les connait tous ces coins-là, pour sûr ! N’empêche qu’il a l’air tout aussi épaté que moi !!!
Tout au fond on voyait le fameux pont que tout le monde connait avec des buildings dernier cri de chaque côté, mais le Vieux a dit qu’on allait chercher un endroit plus tranquille et j’étais bien d’accord là-dessus !
Des abris dans port Jackson, comme je vous l’ai dit, y’en a en veux-tu en voilà, y’a vraiment que l’embarras du choix, comme on dit ! Bref, c’est comme ça qu’on s’est retrouvé à Rose bay un peu avant la nuit … Y’avait déjà une trentaine de voiliers dans la petite baie. Le vieux a sorti ses jumelles et il a rien dit pendant un long moment, c’est toujours comme ça qu’il fait le bonhomme, je le connais bien maintenant, ça fait un an qu’il est mon capitaine…. Eh bon, l’un dans l’autre, ça va … en tous cas, j’ai eu pire ! Donc tant qu’il a ses jumelles à la main, tonton, c’est qu’il est pas décidé …. Et tout d’un coup, il dit un truc et on y va direct, bing, on mouille ma pioche, il éteint les moulins, se verse un verre de vin et écrit 5 ou 6 mots dans son journal de bord et basta – REPOS - La seule variante c’est quand on s’en est pris dans la gueule toute la journée … là, au lieu du verre de vin il se fait d’abord un café !
Bon, donc le voilà avec ses jumelles à scruter tous ces rafiots un par un sans dire un mot comme d’hab'…. puis tout d’un coup « ils sont tous sur coffre, faut qu’on se mette à l’écart pour pas aller foutre la pioche sous une chaîne mère ». C’est à moi qu’il parle, là. Et si je pouvais répondre du tac au tac, je répondrais « oui, tant qu’à faire… ! » mais pour communiquer on use d’autre subterfuges, il faut plus de temps …. Il a toujours ses jumelles en bandoulière, y’a donc encore quelque chose qui le chagrine…. Va savoir quoi ? Et on est reparti pour 10 mn de silence à tourniquer au cul du paquet de bateaux. Il finit quand même par poser ses jumelles sur le banc…. « Là, au cul de ces trois-là, on sera pas trop loin du ponton pour l’annexe et le gros ketch tire forcément plus de 2m ». Puisque, je vous le rappelle, mon sondeur est en panne. Tonton a bien trouvé l’origine de la panne, mais pas encore le matériel pour le réparer… Enfin c’est du passé…À Rose Bay où on est maintenant depuis quelques jours, il y a tout ce qu’il faut. C’est comme un village au milieu de la ville et le quai des ferries qui desservent toute la baie de Port Jackson mieux qu’un réseau d’autobus est à moins de cent mètres du ponton où Tonton amarre l’annexe…
Je dois reconnaître qu’on est pas mal… On a pris chacun nos petites habitudes et y’aurait pas cette histoire de rat, ce serait même très bien.