Épisode 33 : vers l'île des pins
Voilà ! Demain matin on y va pour de bon… On hisse les voiles et on verra bien où le vent nous porte ! ça fait des jours, des semaines et même des mois qu’on se prépare…. Cap’tain Philip a biffé la dernière ligne de sa check-list avant de partir se balader sur l’île. C’est le début de l’après-midi, il fait encore très chaud et il a dû aller rêvasser sur une plage au sud de la presqu’ile qui ferme la baie de Kuto où je suis mouillé. Il a accroché l’annexe le long du débarcadère en ruine du « bagne des communards » dont Louise Michel fut l’un des trois mille bannis. Je l’imagine d’ici, le vieux, le dos calé contre un arbre à quelques mètres des vagues, tourné vers le sud où il n’y a plus, tout proches, que deux îlots boisés, puisqu’on est à l’extrême sud de l’archipel calédonien… l’île aux requins et l’ilot infernal ! Noms sans doute choisis à l’époque pour dissuader les bagnards de tout nouvel écart de conduite ! Un peu comme l’île du diable à Cayenne…
Au-delà plus rien jusqu’à la Nouvelle Zélande sur laquelle on va plonger demain dès l’aube. Non pour y faire escale, puisque la dure loi du Covid règne jusqu’en ces confins du Pacifique sud, mais à la recherche des vents d’ouest, un peu comme au Mah Jong !
Pourtant ce matin à l’heure du kawa, l’iridium nous a apporté une sacrée nouvelle ! L’administrateur des affaires maritimes de Polynésie en personne nous annonçait que notre demande de dérogation pour une escale technique de 48h à Rikitéa , chef-lieu de l’archipel Gambier était acceptée !!!
Donc nous voilà avec un point de chute tout ce qu’il y a d’officiel ! et pas n’importe lequel ! Plus à l’est, Il n’y a plus que l’île Pitcairn où ont fait souche les réfugiés du Bounty…
Bon , pas sûr que le vent nous porte jusque-là, c’est pas non plus la porte à côté ! La bagatelle de 1500 ???? mille ! N’empêche ! Le point de chute a le mérite d’exister, même loin et face à l’alizé. Il existe un endroit sur terre où on ne va pas nous foutre recta en quarantaine si ce n’est carrément en tôle !
Bon, je rigole, parce que vous imaginerez jamais ce que c’était la dernière ligne à biffer dans la check-list du patron !!! ….. « Rentrer la couette dans sa housse » (housse qui sort de la laverie, je le précise)
Je l’ai souvent vu perplexe le vieux, mais là, vraiment c’était comique ! une bonne demie heure d’effort et de réflexion !!! pas un hasard si ça avait été relégué tout en bas en bas de la fameuse liste, le coup de la couette !
Hier ça a été une journée tranquille, émaillée d’une très belle prise…
C’était juste à l’entrée du canal de Woodin, le patron venait de mouiller une ligne et en préparait une seconde, quand ziiiiiiiiiiiiiip… un beau Tazard de 10 kg ! le vieux a tiré les filets sur le champ. Il tenait tout juste dans la plus grande cocote du bord ! un tiers d’eau du lagon, deux tiers d’eau douce, un oignon, une cuillerée de poudre de gingembre et zou ! dix jours de barbaque, au bas mot !
On avait levé l’ancre de l’îlot Maîstre à l’aube naissante en prévision des 60’ au moteur face à l’alizée à travers le grand lagon à zigzaguer entre ilots et bancs de corail. Le vieux était tout ému de passer une dernière fois au large de la baie des citrons et de l’anse Vata où il a tant traîné avec ses copains musicos.
Et de fait, on est arrivé au mouillage de l’île des pins au couchant ;
Cap'tain’Philip a tout de suite repéré, le superbe ketch américain à côté duquel il avait travaillé au chantier de Numbo quand il préparait mon nouveau mât. Une nouvelle fois je n’étais pas au jus puisque ledit ketch était sur l’aire de carénage et moi attaché à mon foutu piquet au fond de la baie de l’Orphelinat. Mais bien sûr le vieux m’en avait parlé, la moindre des choses quand un tel aïeul de légende croise dans les parages ! 55 pieds, marine, fin comme une ballerine, élégant et plein de morgue, construit à Portland (Maine) en 1926… Respect !
Le voilà donc, invité à bord de sa Majestée à l’heure de l’apéro, le pitaine ! C’est un vieux couple d’amerloque sympa et rigolo - Madame décide , Monsieur grommelle - qui veille sur la santé de la vénérable ancêtre. Ils sont là, en Calédonie avec leur protégée depuis trente ans. Ils ont même pris la nationalité française, mais pas l’accent, pas du tout du tout alors…