Épisode 36 : le chas de l'aiguille
Comme on n’est que tout les deux, y’a un truc qu’est nickel. C’est que le patron soit c’est à moi qu’il parle, soit il parle tout seul… il réfléchit tout haut si vous préférez ! Bon c’est un peu de son âge, remarquez. Il frise les soixante-dix balais, tonton… du coup l’un dans l’autre j’ai toujours les infos. Enfin presque toujours. Vous pensez sans doute que je vais ajouter « sauf quand il fait sa mauvaise tête »… Non, justement, c’est là qu’il se met à ronchonner tout haut ! Au contraire c’est quand tout baigne, qu’il se met des fois à siffloter ou fredonner et là le fil est coupé pour un bon moment… D’ailleurs je me demande si il connait les paroles d’une seule chanson parce que c’est toujours la, la, la ,la…
Hier matin, c’était plutôt la, la, la, la, justement et la petite routine : thé ( le café faut oublier ces jours-ci tellement je bringuebale), chappattis, message de Géraldine, charge des cartes météo du jour, etc….
Et tout d’un coup …. « Merde ! T’as vu c’qui nous arrive dessus ? »
Pendant qu’il va chercher ses lunettes (heureusement qu’il en a deux paires), je jette un œil…. Et oui, effectivement, c’est du lourd….
C’est parti, cahier, crayon, gomme, compas, règle de Cras, ça virevolte une bonne heure à la table à carte qui est d’ailleurs celle du carré dans ces cas-là car il faut de la place. Alors là, surtout pas le déranger dans ces moment-là, ni espérer un commentaire quelconque tant qu’il s’est pas fait une idée…
C’est donc un sacré bon moment après que :
- CA PASSE PAS ! Notre routeur l’a pas encore vu, c’est nuit noire là-bas. Mais il va le voir en se réveillant. En attendant on met en panne. Ça sert à rien de continuer à filer plein est, surtout à cette vitesse de dingue puisque ça passe pas ! J’affale la GV et on va faire du nord au ralenti avec un mouchoir devant, faut que je réfléchisse encore…
Bon, je me permets de commenter, essentiellement à l’intention de ceux qui voyagent principalement en avion : mettre en panne, c’est pas appuyer sur le bouton marqué « mettre en panne ». Faut commencer par affaler la Grand-Voile… et pour l’instant y’a 25/30 nœuds de vent et je file travers/petit largue entre 9 et 10 nœuds. C’est donc une bonne demi-heure de boulot sans respirer ou quasiment, avec tout le monde sur le pont, quand j’ai un équipage évidemment. Là, le vieux est tout seul à la manœuvre… Ce que je veux dire, c’est que c’est pas une manœuvre qu’on entreprend de gaîté de cœur tous les matins en se levant. Mais là, pas de panique, le vieux est décidé, il va y aller à son rythme, s’assoir même de temps en temps sur un banc de cockpit pour souffler un brin entre deux efforts quand il n’y aura pas trop de trucs qui claquent dans ma mature. Faut d’abord qu’il s’équipe sérieusement en vue des multiples aller et retour qu’il va devoir faire au pied du mat, si il ne veut pas être trempé en un rien de temps…. L’un dans l’autre ça va donc prendre une bonne heure… mais y’a pas le choix, comme on dit !
Voilà, j’étais pas loin du compte, à midi je me dandine tranquille vent arrière avec un mouchoir en lieu et place du génois, juste le minimum pour que le pilote réponde. Cap plein nord à deux, trois nœuds à tout casser… ça repose après le rodéo de deux jours qu’on vient de se taper !
Le patron est reparti dans ses cartes. Ce serait bien l’heure d’un petit whisky si ça ne tenait qu’à lui… mais de whisky, y’en a plus à bord ! J’ai mis le holà, je vous l’ai dit. Y’a eu une exception pour le pot de départ avec les voisins, mais les dits voisins ont vidé la bouteille ! il restait un fond de deux malheureux petits verres qui n’a même pas tenu jusqu’à l’île des pins !
Bon, le v’la qui ressort. Il regarde le mouchoir, le cap, la vitesse….
« Bon , on va rester comme ça jusqu’à la météo de ce soir … »
D’ici là rata et sieste de son côté, et tiens, pour moi, pourquoi pas un petit épisode de climax & climax, puisque j’ai rien d’autre à foutre que de me laisser tirer par le mouchoir…
Bon, la météo du soir, elle dit clairement que le météore descend tellement vite au sud-est qu’il y a juste à le laisser passer en continuant tranquillement notre petit train vers le nord. Le vieux me remet juste un poil de toile devant et va tranquillement s’installer avec sa couvrante sur la banquette du carré. Tchao, bonne nuit…
Et figurez-vous que le lendemain matin… Rebelote !!! je vous redresse pas le tableau, puisque c’est exactement le même que la veille !
« NON DE DIEU ! y’en a une autre derrière ! Et une comac ! Elle a l’air moins pressée, remarque, celle-là ! N’empêche que, comme dit notre routeur (qui s’est réveillé entre-temps) : « va falloir passer entre les balles ! »