Épisode 5 : rendez-vous à Laurieton
Le lendemain à l'aube donc, on l'avait déjà lâché ce coffre ! Avant même que quiconque ne vienne nous demander quoi que ce soit... Assez smart, je dois dire, de se glisser sur entre les reflets des coques rutilantes sur l'onde immobile à cette heure-là...
Dix heures, on y était déjà à Taking point ! Une promenade de santé à quelques encablures d'une côte boisée, accidentée et fort en valeur sous les rayons rasants du levant.
Pas encore exactement Laurieton, puisque que cette entrée de rivière là s'appelle Camden Haven, en tout point semblable à celle de Macquaries, sauf que ce matin la mer est d'un calme olympien...
Une fois dedans par contre, rien à voir. C'est une large rivière qu'on peut remonter sur plusieurs milles en amont et sur le bord de laquelle des villages se succèdent avec autant de mouillages aménagés.
Laurieton est le dernier à droite avant le pont routier qui barre la rivière. Autant dire qu'il nous faut encore une bonne heure pour y arriver. D'autant que la marée descend et que le courant de reflux dépasse 3 nœuds par endroit ! On mouille ma pioche par 3 ou 4 m, juste en face d'un petit ponton en bois qui sera très pratique pour amarrer l'annexe.
Moi , bien sûr , je reste là, mais Cap’tain Philip met aussitôt l'annexe à l'eau pour se mettre en quête de l'ami David, qui n'a pas encore répondu à notre message d'hier soir et dont on n'a ni le téléphone, ni l'adresse... Heureusement que c'est un petit bled !
Il est de retour une heure après avec une bouteille de Martini et plusieurs bouteilles de blanc de Tasmanie... David vient boire l'apéro ce soir et le pitaine a prévu large ! Moi, je ne bois pas, bien sûr ! Mais j'adore qu'on boive, chante et s'amuse à ma table, figurez-vous ! A condition qu'on me laisse pas le carré en vrac évidemment !!!
D'ailleurs quelques heures plus tard, c'est trois qu'ils sont, sans me compter, je veux dire.
Le troisième larron, c'est Bruce, le skipper du catamaran qui est sur coffre pas très loin de nous.
Un petit gars dans le genre du vieux... bougon et tatillon au départ, mais plutôt sociable avec un verre à la main... David, lui, c'est le joyeux luron, le gars qui met l'ambiance d'un tour de manivelle partout où il passe ! Intarissable sur la mer, les voiliers, les escales à pas louper, et le reste !
Bruce, en fait, il était passé avec sa petite annexe nous dire que le coffre rose, «pink buoy» donc, juste derrière lui , s'était libéré dans l'après-midi et qu'on y serait bien mieux que sur mon ancre avec le courant dingue qu'il y a dans cette rivière... et bien sûr, on l'a pas laissé repartir comme ça ! Il a fait quelques manières pour le premier verre, mais beaucoup moins pour le second et plus du tout pour les suivants ! Comme David, la première fois et comme tous les gars qui viennent à bord, en fait ! D'ailleurs je vois pas pourquoi je dis « les gars » parce que dans mon souvenir, la Corrina, à Albany (le premier port qu'on a touché en Australie, très loin d'ici, dans les «west territories » comme ils disent ici) elle avait une sacrée descente, elle aussi ! Et on avait bel et bien eu droit aux mêmes minauderies au départ, qu'elle était en voiture, qu'elle devait rentrer après et tout... mais quatre où cinq verres de « Devill's corner » plus tard , il en avait plus été question de la voiture... ! Bon, c'est facile de me moquer, moi qui ne risque pas de ramasser une cuite de sitôt et qui me contente de rigoler !!!
Bruce, avant que ça commence à trop chauffer, l'ambiance autour de ma table, il avait eu le temps de nous expliquer le coup des « pink buoy ». Ce sont donc des mouillages publics et gratis, mis à la disposition des bateaux de passage par les communes australiennes. Théoriquement limités à 24H, mais à partir de ce jour, on en a usé et abusé sans qu'on viennent jamais nous demander depuis combien d'heures je me prélassais là....
Bruce et Cap’tain Philip sont vite devenus bons copains. Dès le lendemain midi, après sa randonnée matinale en vélo, Bruce était à bord pour aider le vieux à réinstaller la grand-voile qui était restée dans son sac depuis que le voilier de Portland l'avait ramenée à bord , il y a presqu'un mois. Faut dire qu'elle pèse 80 kg ma grand-voile ! Et mon capitaine depuis « l'épisode Alfred », il est loin de les approcher, les 80 kgs... ceci explique cela ! Entre-temps on avait navigué sous mon génois au portant, quelquefois au travers. Il fait 50 m² Gégène, pas de problème pour dépasser les 6, voir 7 nœuds dès que la brise adonne ! Et quand on se balade, et qu'on est de toute façon coincés en Nouvelles Galles du Sud jusqu'à nouvel avis, c'est bien suffisant !
David est artisan, lui. Il habite une petite maison jaune, de plein pied, tout près de là et il bosse dans son garage. Du frigo de base, à la planche de surf, en passant par les bateaux pneumatiques et les trottinettes électriques, il répare tout dans son petit garage ! D'après le vieux, sa bonne femme a pas l'air très marrante… du coup, le soir, David la laisse devant sa télé et vient passer ses soirées avec nous et Bruce...
Bon, là c'est pas comme Port Macquaries, je sens qu'il a le béguin pour ce petit bled, mon Capitaine ! Il me laisse tout seul des journées entières, à se balader, faire ses courses, faire bidouiller un système qui permette de recevoir internet sur son ordinateur, bavasser avec le marchand de vins, rendre visite à David, et j'en passe. .. C’est vrai que sur ma « Pink buoy » je risque absolument rien et j'ai bien l'impression que ça fait déjà une bonne semaine qu'on est là !
Et puis un beau jour, sous prétexte que le vent soufflera du bon côté le lendemain - ce qui a beaucoup moins d'importance maintenant que ma grand-voile est à poste - et que le courant sera dans le bon sens dans la rivière dès six heures du mat, mon Capitaine décide qu'on met les voiles... il va faire le plein pour un apéro « hors classe » , passe inviter David et Bruce pour cette soirée d'adieu et rentre à bord préparer le départ du lendemain...
Cette fois il n'est plus question de plusieurs nuits en mer ni de milles à bouffer ! La frontière du Queensland (où l'on ne peut pas entrer jusqu'à nouvel ordre, je vous le rappelle) est à moins de 200 milles au nord, à Tweed Heads, très exactement. Soit à peine plus de 24h si on sortait toute ma toile et qu'on piquait directement dessus.... Or y'a des tas d'abris, entrées de rivière et petits ports de pêche d'ici là ! Donc ce qu'on va faire.... c'est repasser devant Macquaries qu'on a déjà vu, et après, relâcher partout où ça nous chante et se la couler douce.... Voilà notre programme ce matin-là, 22 avril, tandis qu'on repasse la barre devant Camden Haven qui est nettement plus raide qu'à l'arrivée...
MAC LAY river / COFF's harbour / CLARENCE river / EVANS head / BYRON bay / et finalement TWEED heads où on rentre le 6 mai au soir, soit exactement 15 jours plus tard … Voyez mieux maintenant, ce que j'appelle se la couler douce ??