Épisode 54 : Michel d'Arabie

" Michel d'Arabie "

Toujours à « Rangi », vous deux ? Allez-vous me d’mander, j’imagine !

Ben oui, faute au putain d’COVID ! Figurez-vous qu’on avait une superbe fenêtre pour descendre d’une traite sur les Gambiers les quatre premiers jours de mai ! Ouest / nord-ouest 10 à 20 nœuds sur 4 jours. Juste l’idéal pour une belle petite virée ! Et voilà qu’au dispensaire, ils ont filé rencard le 4 mai à mon capitaine pour le vacciner contre le fameux COVID !

Pourtant on aurait été bien jouasses ! D’abord la balade bien sûr, mais aussi le climat…

Le climat ? Allez-vous encore objecter d’une seule voix ! Oui le climat, c’est bien ce que j’ai dit. Ici, à Rangiroa, on s’est fait de très bons potes, je vous en ai déjà parlé. C’est vrai que c’est important. Après, il y a aussi la vie de tous les jours. Et ici, à « Rangi », la vie de tous les jours, c’est la nuit ! Allez, ajoutons la dernière heure du jour et la première du lendemain et basta ! Pour le reste la principale occupation c’est de s’abriter du soleil et de se protéger de la chaleur ! Un peu comme au Tchad, quoi ! Forcément le Tchad, je connais pas. Pas trop navigable, paraît-il.  Le patron m’a raconté, même le lac Tchad me serait interdit ! Parait qu’un buffle le traverse sans quasiment se mouiller les cornes !

Bref à « Rangi » ça plombe ! Après c’est vrai que les gens qui viennent ici, c’est pour plonger. Et qu’une fois dans l’eau, tout baigne. En tous cas, tant  qu’un requin espiègle ne s’amuse  pas à te piquer un gant ou un chausson… Mais pour les autres, c’est l’antichambre de l’enfer du premier janvier au 31 décembre… Sauf la nuit, on l’a vu. Il suffit de s’organiser en conséquence, me direz-vous ! Et c’est bien ce qu’on fait en attendant…

Pas vraiment de saisons donc, c’est ça, le hic ! Fi du confortable automne, annonçant un hiver béni où on pourra enfin enfiler une petite laine, les yeux dans les étoiles …

Ici à « Rangi », la nuit, il faut être complètement à poil sur ta banette et te débrouiller pour qu’un bon courant d’air prenne ta cabine par le travers. Faute de quoi, tu dors pas… t’attends simplement l’aube dans l’angoisse en imaginant le soleil qui va sortir de l’horizon une demie heure après et commencer à bombarder comme un dingue à peine une heure plus tard… Bref à peu près le même sentiment qu’en plein Sahara, les dunes en moins…

Du coup, ce qu’on s’est dit avec le patron, c’est que traverser l’archipel de part en part pourrait changer la donne…  Je m’explique. Mangareva, l’île principale des Gambiers, est à l’extrême sud des Tuamotus, tandis que Rangiroa est à l’extrême nord… Vous voyez où je veux en venir ?

Tablant sur le fait que l’archipel des Tuamotus est le plus étendu du Pacifique, là-bas, il doit bien y avoir des saisons quand-même ! Le mieux, c’est d’aller voir.

Voilà, sauf que globalement Mangareva est à 900 milles au SE. Et que le sud-est, c’est de là que souffle l’alizée…. 95% du temps ! D’où l’histoire de la précieuse fenêtre à ne pas louper quand elle se dessine enfin à l’horizon.

Bref, nous voilà bon pour rester quelques semaines de plus avec les potes de « Rangi ».

Deux  des copains en question, dont je vous ai pas encore parlé, c’est Michel et Lily (pas la gache, qui  fait tourner sa gargote en poussant les feux, une autre Lily, dite Lily la blonde). Un couple pépère qui roule en vélo, emprunte la voiture de Lily (la gache cette fois)  quand il y a vraiment un encombrant à véhiculer... Un peu comme tout le monde dans le quartier, donc. Leur projet : un refuge pour animaux sur Rangiroa comme alternative à l’abatage récurrent des chiens errants qui divaguent à tout va sur la petite piste d’aviation. Ils ont déjà créé l’association, fait plusieurs demandes à la mairie pour des terrains. Bref, c’est en cours. Pour le moment les chiens, une dizaine et les chats, une demi-douzaine crèchent chez eux. Forcément ça oblige à élever un peu la voix quand on boit le thé sur leur terrasse…

Lily a nos âges au patron et à moi. Michel, quelques années de plus, mais guère. Des retraités peinards donc qui se sont mariés sur le tard ; parce que rencontrés sur le tard.

Bien sûr c’est plus une question qu’on pose à la volée …. Une des mieux placées dans le répertoire des  questions complètement nazes  … « et c’est votre premier mariage ? » comme on pouvait le faire dans le temps et en toute impunité dans la soi-disant « bonne société ». Non, aujourd’hui faudrait un naze de chez naze pour poser une question pareille !!! Ou alors un visiteur style jean Reno qui débarquerait d’on ne sait où par un sortilège. Bref aucune importance… Ce qui est fait est fait et y’a pas à y revenir ! !

En tout cas – c’est plutôt ça qui nous intéresse -  leurs routes à Michel et Lily ont fini par se croiser. Pas à la messe, ni « dans un cocktail », ni « chez des amis communs ». Non,  sur une mission des services français confiée aux bons soins de l’officine du Capitaine B.

Lily était chargée du traitement de la cible. Michel assurait la logistique et le support. Ça se passait sur la côte d’Azur, autour d’un hôtel de luxe où la cible avait ses habitudes. C’était une cible ordinaire, gérant d’une société étrangère qui avait des activités en France. Activités sur lesquelles les services de renseignements français souhaitaient « étendre leurs connaissances » sans intervenir trop directement…

Voilà, c’est là qu’ils se sont rencontrés Michel et Lily, sur un parking en échangeant leurs noms de code. Presque à la bonne franquette, quoi !

Un mariage heureux, somme toute, puisque quasiment trente ans après ils en sont toujours à s’enguirlander gentiment au premier prétexte comme tous les couples vraiment unis !

Bien sûr, ils ont eu une vie avant et une autre après, comme, là encore, quasiment tous les couples qui durent !

Ce qui serait rigolo,  maintenant que vous avez la ligne d’arrivée, ce serait de découvrir la ligne de départ tracée à la poudre blanche sur la cendrée, découvrir d’où précisément chacun est parti… Qui a couru le plus vite … Qui le plus loin…

Chiche ?


Lily est née à Paname, à 17 ans elle entre  en fac de pharmacie.

Michel est né 6 ans plus tôt à Oran où son père est douanier sur le port. Mais tout ce qu’il a retenu d’Oran, Michel,  c’est le destin qu’avait tracé à sa maman une vieille voyante pied noir …  «Ce sera un fils, il sera marin et il traversera  les mers»

Qui commence ? Pile ou face ? …. C’est Michel !

Michel qui ? je vous entends déjà. Ben, Michel tout court. On verra pourquoi plus loin. Se serait-il prénommé Paul-Alexandre, qu’il aurait même fallu changer son prénom dès le départ. Mais là, non, ça va. Michel ça reste discret.

Le futur voyageur n’a pas encore deux ans que la petite famille traverse déjà la Méditerranée pour s’installer à Givet, une pointe de France enclavée dans la Wallonie. Dans quelque sens qu’il se tourne, Papa est face à la frontière… Un comble pour un douanier fraîchement muté ! Campagne,  forêt, chapelet de forts en ruine, que de lieux à parcourir en bande organisée dès la classe finie,  arc à la main et lance-pierre à la ceinture !  Pas de quoi affoler les volatiles du cru qui ont vu bien pire… Du panzer au lance-flamme, en passant par les stukas en piqué et le gaz moutarde !!!

A l’époque, on ne fait pas des études pour des études jusqu’à ce que mort s’en suive comme aujourd’hui… le B.E.P.C à peine en poche, voilà Michel derrière la caisse de la banque du bourg. Heures sup à Gogo pour un salaire de misère. Bon, on va pas trop le plaindre non plus…. Quelques décades plus tard, BEPC, bac ou bac plus cinq, n’y changera plus rien, ça commencera par chômage et galère pour tout le monde ! Sauf pour les foutus fonctionnaires  comme de tous temps…. Encore faut-il le vouloir et y arriver !

De tout façon le rêve du jeune Michel, ce n’est pas de monter en grade au Crédit Agricole de Givet, c’est de sillonner les mers… devenir pompon rouge et même plongeur de combat. Pour un petit gars des Ardennes, c’est certes original. Mais n’oublions ni qu’il est né sur le port d’Oran, ni le sort jeté par la vieille Gitane…

Michel n’est pas un velléitaire. Il a même plutôt du caractère. On s’attend donc à ce qu’il s’engage sans tarder dans la marine ou « les marsouins »** et fasse ses classes en attendant la première occasion pour bifurquer vers la spécialité visée.

Mais ce n’est pas lui qui courra le plus vite. On l’a compris, puisque Lily, née 6 ans plus tard, arrivera sur la même ligne. Mais c’est sans l’ombre d’un doute, lui qui fera les plus longs détours, ira tourner la bouée la plus lointaine.

Le chemin le plus court, puisque Michel approchait des dix-huit ans, c’était de s’engager dans la royale ; faire le mataf quelques mois ou quelques années et postuler pour la spécialité de ses rêves à la première occasion, un peu comme mon patron, qui voulait lui faire le capitaine, et a fait au même âge le « pilo » sur les cargos en attendant que les messageries maritimes l’inscrivent au cours de lieutenant au long cours, puis de capitaine quelques années plus tard. « Royale » d’un côté ; « Marchande » de l’autre. Deux honorables corporations où l’on prend également du galon au mérite mais qui se regardent pourtant en chiens de faïence depuis des lustres. Pourquoi me direz-vous, curieux comme vous l’êtes de ces petites histoires de rivalité féminine. La Royale comme la Marchande étant deux vieilles dames qui ont acquis depuis belle lurette leurs lettres de noblesse.

Ça remonte, figurez-vous, à deux de nos plus grands rois, Louis XIII et son petit fils Louis XIV…

Il y avait à l’époque des navires marchands élégants et rapides armés "à la course". Leur base historique était Saint-Malo et leurs Capitaines portaient des noms aussi prestigieux que Coursic ou Surcouf, à tout jamais inscrits dans l’histoire, au même titre que ceux des maréchaux de la grande armée.

Ceux des capitaines des navires de la Royale de l’époque, eux, étaient aussitôt tombés dans l’oubli... Eh bien figurez-vous, que tout vient de là !!!

Les navires corsaires, c’était un peu le « service action » de l’époque. Ils recevaient leurs ordres directement «d’en haut »  pour des actions ponctuelles et décisives contre l’ennemi héréditaire d’outre-manche. « En haut », c’était des cardinaux à poigne qui tenaient d’une main ferme les rênes du pouvoir  pour le compte du Roi. Richelieu, Mazarin (je cite quelques noms puisque l’histoire de France, c’est comme le reste, il y en a toujours qui sont dangereusement à la traîne !). Le ministère de la marine, lui, gérait les « navires du Roi » imposants et rutilants, mais lents, qui paradaient dans les eaux calmes, ambassadeurs pompeux de la puissance de feu du royaume, un peu comme « les grands gris » d’aujourd’hui, donc.

Bref, une très vieille histoire !!! Mais à ce point vivace que les « marchands » appellent toujours ceux de la Royale, les « fayots » et que lesdits fayots doivent bien avoir un nom de code pour ceux de la Marchande !  Détail qu’on aurait facilement pu tirer au clair auprès de Michel si tout s’était passé comme ça…

Mais non. Ça ne s’est pas passé comme ça ! Michel s’est bien engagé à 18 ans, mais sur place, à l’issue de ses trois jours au centre de Commercy…

Heureusement, tests concluants / aptitudes physiques ad hoc / il échappe à  la « biffe ». L’officier recruteur lui propose la cavalerie, les blindés.

En route pour Saumur et l’école de cavalerie. Notre voyageur tous terrains n’a pas encore 19 ans. Encore l’âge d’être élève, certes. Mais rien à voir avec le parcours gentillet d’élève rond de cuir à la sous-préfecture voisine… Non, élève chez les caballeros de Saumur ! Autant dire que les exercices se succèdent à un rythme effréné sous les ordres d’instructeurs tout juste rentrés d’Algérie après avoir pour la plupart ferraillé sévère en Indochine quelques années plus tôt… Le genre de gars à te soutenir mordicus que le « sous-off » est l’épine dorsale de la horde gauloise. Ce qui est plus que probablement vrai puisqu’on sait largement à quoi s’en tenir concernant les généraux depuis la der des ders… En moins d’un an voilà Michel maréchal des logis ! Certes ce n’est pas capitaine au long cours, mais avouez que ça sonne presque aussi bien. C’est vrai qu’on l’imagine plutôt, le maréchal des logis, en grognard pas commode au cœur de la grande armée en train de conquérir l’Europe sous les ordres du petit corse et au nez des aristos qui fuient en catastrophe comme autant de vols de moineaux ! Mais non, Michel est lui instructeur de tir sur toute les armes possiblement embarquables sur un char d’assaut...

Les boules Quies ont déjà été mises sur le marché par un apothicaire inventif du même nom, mais ne sont pas encore obligatoires sur le pas de tir de Saumur…. Bonjour les tympans !

tir missile SS11 - on devine Michel accroché à l'AR qui controle le tir, il baisse la tête, mais on devine son casque et sa montre qui brille sur la droite sur le chiffre 2

L’école est finie ! Voilà le maréchal des logis embarqué dans un régiment tout neuf, véhicules dernier cri, tout neufs eux aussi ! Le 7ième chasseur, stationné à la citadelle d’Arras, autant dire chez les « chti », pour la plupart d’origine polonaise… Faut déjà apprendre les rudiments de la langue !

Le métier commence à rentrer. Ce qu’il n’oublie pas, Michel, c’est le conseil de Mimile, son premier chef de peloton : « porte-toi volontaire pour tous les stages et ne reste jamais trop longtemps à la même place, ça sent vite la voie d’ garage ! »

Y’a plus qu’à !!! Premier stage commando à Givet, au fort Charlemont où il tirait jadis la grive au lance-pierre. Un retour aux sources qu’il n’a guère le temps d’apprécier car c’est un mois la tête dans le guidon !

Volontaire pour les forces françaises en Allemagne. Michel débarque au 6ème dragon avec le grade de maréchal des logis chef, un coup à se faire taper sur l’épaule par l’empereur  un soir de veillée d’arme ! Plus question d’escopettes et d’auto-mitrailleuses légères, le voilà embarqué sur des chars AMX et formé au tir de missiles « filo-guidés ». Entre-temps, les stages commandos défilent, Trèves, Brisach, Khel…. S’agit pas de prendre du ventre ! On est cavalier mais pas question de rester au manège à faire des pirouettes pour la galerie !

Un beau jour,  c’est l’arrivée du nouvel AMX 30 ! Volontaire évidemment ! Assorti du grade d’adjudant… Bon, évidemment beaucoup plus trivial que celui de «maréchal des logis chef» qui en dit quand même phonétiquement beaucoup plus long sur l’envergure du bonhomme, mais auquel on donne pourtant du « mon lieutenant » dans la cavalerie, comme on donne du « mon commandant » aux capitaines dans la Marchande.  Encore une faveur de l’empereur qui n’est jamais loin dans ces hauts faits de cavalerie ! Un adjudant de cavalerie avait-il mené son peloton à la victoire après que son lieutenant soit tombé sous le feu adverse ? Qu’à cela ne tienne, la troupe donnerait désormais aux adjudants de cavalerie du « mon lieutenant » !

Tout ce temps Michel a guetté sur le conseil du fameux Mimile, les notes de service susceptibles de le rapprocher un tant soit peu du but… Bien sûr, chez les dragons il avait moins de chance que chez les « marsouins » ; mais à dix-huit ans, il n’y a tout simplement pas pensé ; il a juste suivi le chemin, on l’a déjà vu.

Un beau jour pourtant, ça arrive ! Michel prend connaissance d’une note de service. On cherche des volontaires pour aller former les équipages des AMX 30 S récemment vendus à l’Arabie Saoudite ; un contrat de deux ans. Volontaire toujours ! C’est clair que le conseil était précieux… Il était sacrément au jus, le Mimile !

C’est très peu de temps après que le Grand Charles ait posé son hélicoptère chez eux à Baden Baden sans en avertir personne, histoire de rendre visite au Général Massu, commandant les troupes françaises stationnées en Allemagne, dans les tous derniers jours du fameux mois de mai 1968, donc.

Évidemment, le fringuant Caballero n’est pas seul dans la file… Ils sont même vingt, pour la plupart plus gradés que lui malgré son tout nouveau titre de lieutenant de cavalerie! Mais il faut montrer patte blanche… Pas de juif, pas de mauvais musulmans, pas de type qui trimballe toute une smala à ses basques, pas d’amoureux du goulot… Sans compter que Michel vient d’être formé à l’AMX 30… Atout décisif ! C'est lui qu'on envoie en Arabie ! En route donc !!!

Trois heures de jet, moquette de quinze centimètres, salle de bain en marbre, climatisation forcée, gardien chamarré somnolent sur son coussin à tous les étages, la description que Michel fait de l‘hôtel de Djeddah est en tous points fidèle  à l’image que je m’en faisais ! J’espère que vous n’avez pas oublié que j’ai zoné chez les rupins, moi aussi, avant que le patron ne me sorte un beau jour de toutes ces conneries pour vraiment tailler la route des océans ? Mais forcément, Djeddah, tout comme le lac Tchad, je n’aurai jamais l’occase de les voir de mes propres yeux ! Bien obligé d’imaginer !

Dès le lendemain toutefois, les choses s’affinent.  Vieux Fokker à hélices, passagers nettement moins « stylés », parfums d’Orient nettement moins « raffinés », posé à l’arrache sur une petite piste au milieu des sables, accueil assuré par un groupe de dromadaires aussi détendus qu’indifférents qui mâchouillent de concert… C’est Tabuk, au cœur du désert du nord de la péninsule, jadis sillonné par les tribus bédouines de Laurence d’Arabie…

L’homologue saoudien de Michel s’appelle Morched. Le boulot est simple et commence évidemment par le tableau noir…  Il faut de nouveau apprendre les rudiments de la langue ! Heureusement, sur un char en opération, le vocabulaire est restreint à l’extrême : « moteur » , « à droite » , « à gauche », « full speed », « feu ! », « écrase moi cette foutue vermine », « attention ça va secouer ». Avec ça tu t’en tires, même à la radio, puisqu’il s’agit ensuite de coacher les équipages en formation depuis le bord de la piste, puis au milieu des dunes, enfin sur le pas de tir d’où chacun déglingue de vieilles carcasses de Sherman préalablement lestées de quelques jerricans d’essence, histoire qu’un coup au but propulse les antiques tourelles en fonte  à 50 mètres au-dessus des dunes. Tout le monde rigole de bon cœur et applaudit ! D’autant qu’aux dernières nouvelles, les israéliens sont encore équipés de ces vieux chars américains… ça va être leur fête !!!

Le bédouin sur son méhari est un combattant redoutable, avec son fusil sans âge, son poignard recourbé et sa parfaite connaissance du terrain. Mais passer directement du djemel (dromadaire) à l’AMX 30S est une autre histoire…. Enfin, c’était la mission !

Dès treize heures on dépose les armes…. C’est vrai que par 50° à l’ombre, on fait plus trop le mariole dans un char d’assaut ! Le bourg est petit, mais ne manque ni d’épiceries, ni de tailleurs ou de barbiers. Pas le moindre problème pour un briquet Dupont authentique, la dernière montre Seïko, une chaine hi-fi Sony ou le meilleur tweed anglais. Par contre, si vos emplettes sont malencontreusement interrompues par l’appel à la prière, il faudra attendre tranquillement sur le trottoir, un verre de chaï à la main, le retour du croyant. Idem en cas d’entrée impromptue dans le magasin d’un saoudien accompagné de ses quatre épouses voilées de noir… Trottoir et chaï jusqu’à ce que la tribu ressorte en file indienne !

Le week-end, c’est moto à travers les dunes ! Le gros plus, c’est la plongée en bouteille dans le golfe d’Akaba… On y est enfin ! En amateur, certes… mais on y est ! AQL, un petit village sur le bord de la mer rouge  n’est qu’à 250 km, face au Sinaï. Un site aussi limpide que vierge et foisonnant…. Pas de bateaux, pas de pêcheurs, mais d’énormes mérous éberlués qui viennent se frotter au masque, des langoustes partout, des épaves antiques par dix mètres de fonds, des cols d’amphores qui émergent du corail…

vers Akaba à travers les dunes

Akaba, au fond du Golf du même nom, c’est la Jordanie. C’est certes un peu plus loin et soumis à autorisation de la hiérarchie  – simple formalité pour Morched, comme pour les  motos d’ailleurs qui ne sont pas à 200 km de dunes en plus ou en moins ! - Bière, vin, bacon grillé ; le bacon, tout le monde s’en fout, pourrait-on croire…. Là non ! Après six mois de solides steaks de dromadaire, alternés avec d’odorants ragouts de mouton, on s’en fout plus ! Plages agrémentées de touristes du sexe dit faible, fatiguées d’attendre au bord de l’eau leurs plongeurs de maris, discothèques où l’on recroisent les esseulées, puisque les mêmes maris sont cette fois profondément endormis dans leur bungalow après leurs deux plongées quotidiennes…. Bref, la légende !

C’est pendant cette période, on ne peut plus faste, qu’éclate la guerre du Kippour… Il faut remettre en catastrophe les véhicules d’instruction en service ! Les jeunes équipages saoudiens veulent en découdre, exploser du Sherman ! Pas question pour les instructeurs français de jouer les mercenaires ! La France ayant d’aussi bonnes relations amicalo-financières avec tous les belligérants…. Ce sera donc le départ vers la frontière syrienne pour Morched et le retour au petit village d’AQL et ses langoustes géantes pour Michel.

De l’autre côté du golf, à tout juste dix kilomètres, les phantoms  israéliens bombardent à tout va les troupes égyptiennes dans le Sinaï. Quelques mètres sous la surface, de très vieux mérous s‘interrogent de la lippe :

-           Encore les romains ? Antoine et César remettent ça à propos de Cléopâtre ?

-          Non , les hébreux, cette fois, paraît-il ! Ils veulent repasser la mer rouge dans l’autre sens avec armes et bagages.

-          Armes et bagages ?

-          C’est ce que disent les jeunes maintenant pour Impedimenta.

-          Ah ouais ? Ben faut s’attendre à de sacrés remous alors, comme la dernière fois avec Moïse ! j’ai un grand-oncle qui s’est retrouvé carrément au sec un peu plus au nord.

-          Il s'en est tiré ?

  •      Par miracle ! Ils ont toujours été barges ces hébreux !

-          Guère plus que les romains, rappelle-toi !

La guerre est perdue, bâclée même, mais les équipages de Morched reviennent heureux… ils ont enfin vu ces israéliens dont ils n’avaient qu’entendu parler et ont explosé quelques  Sherman abandonnés sur le plateau du Golan. Quelques morts par balle, un peu plus par accident de la route. Globalement, un bon exercice.

La fin du contrat de Michel approche, les adieux avec Morched aussi…

-           C’est la COFRAS qui ne veut pas te garder ? Si tu veux, on va voir le roi ensemble, il va arranger ça !

-           Non, il faut vraiment que je rentre.

-          On va te faire un cadeau alors. La tradition, c’est un costume saoudien sur mesure avec un manteau brodé d’or.

-          Si j’accepte un tel cadeau, je ne pourrai même pas le revêtir pour le carnaval, je respecte trop les bédouins.

-          Une montre Citizen , alors ?

-          Morched, tu es bédouin. Je voudrais faire une méharée dans les montagnes du nord…

-          Aïwa ! départ lundi matin de chez moi !


Lundi, levé du jour. Cinq méharis harnachés pour l’aventure.et trois bédouins sans âge poignard à la ceinture, fusil sanglé sur le dos, cartouchières en travers de la poitrine. Pas d’appareil photo car ils vont traverser des zones militaires. Le voyage se fera alternativement à pied ou en selle des fidèles coursiers du désert. Bien obligé de fonctionner par mimétisme dans ce désert que Michel croyait connaître, mais dont il va découvrir l’hostilité autant que l’austère splendeur. Dattes, viande séchée, boites de conserve rouillées ouvertes à la pointe du poignard, eau croupie dans les gourdes en peau de chèvre. Ils ne rencontreront qu’un seul puits à peu près sain en cours de route. Mais Morched s’était occupé lui-même du paquetage… Il y avait une caisse d’eau minérale sur le dos de l’un des méharis ; « Michel d’Arabie » ne devait pas rentrer malade au pays !!!

Dégradés de rouges et d’ocres à perte de vue, amas de rochers écarlates, seules taches d’ombre possibles pour une courte sieste. Monter la tente ou se glisser dans une grotte pour la nuit car la température baisse sévèrement dans les montagnes, même ici ….

Au dernier bivouac, à quelques kilomètres de Tabuk, alors que la nuit vient de tomber et que le tchaï  est servi autour d’un petit feu, une immense lueur éclaire le ciel du côté de Tabuk. Quelques secondes plus tard, l’onde de choc et un fracas dantesque fait vaciller la flamme du petit feu… Ech ada ? Au petit matin, la galette de blé dur avalée, petit trot jusqu’à Tabuk... A l’entrée du village, le parking réservé aux poids lourds de passage n’est plus qu’un amas de ferraille tordue et noircie, les maisons de pisé alentour sont rasées…

La veille, un routier a garé en toute logique sa citerne d’essence au milieu du parking à la nuit tombante. L’atmosphère fraîchissant, il a fait un petit feu de racines, histoire par ailleurs de préparer son chaï, traditionnel à cette heure ; sous le camion, en toute logique toujours, pour s’abriter un minimum du vent,  avant de se blottir contre les braises pour la nuit…. Bilan : plus de routier, plus de chaï, plus de camion, plus de maisons alentour !!!

Michel a 30 ans. Le voilà de nouveau à Paris devant un capitaine très « militaire » de la DAPMAT…

-          Alors adjudant, ces vacances avec la COFRAS, ça vous a plu ?

Ça commence mal. Très mal !

Miraculeusement le lieutenant-colonel  Z., sous les ordres duquel Michel a servi dans le 6ème dragon, glisse la tête dans l’entrebâillement de la porte pour s’enquérir auprès de son subordonné d’un détail qui n’a rien à voir.

-          Ben qu’est-ce que vous foutez là, vous ?

-          Je rentre d’Arabie, mon Colonel, et je souhaiterais une nouvelle affectation en Allemagne.

-          Affectez-moi ce gars là à Stetten , 3ème dragons, Capitaine. Il a l’air un peu hippie comme ça mais il connaît son boulot. D’ailleurs le colonel en second rentre aussi d’Arabie. Ça leur fera un sujet de conversation.

Stetten, c’est les plateaux du Jura souabe en surplomb du Danube. Surnommés « la petite Sibérie », terrain d’entraînement traditionnel de la Wehrmacht avant le départ pour la Russie ! Ciel « bleu Danube », -30° C en février, ski de fond six mois de l’année ! Ça change de Tabuk !!!

C’est aussi la vie réglée des régiments de chars. Entretien des engins, formation des équipages,  embarquement sur trains vers d’autres régiments, séances de tir, stages commandos… A côté, il y a les pots, les Gasthaus, les Fräulein des bals masqués,  les raids à ski et autres challenges sportifs au cours desquels Michel se lie d’amitié avec Félix, l’officier de transmission qu’on retrouvera bientôt…

Le temps passe donc plutôt agréablement sans que l’ombre de Mimile ne se manifeste  ouvertement…

Mais ce n’est que pour mieux sauter ! Car cette fois, c’est la bonne !!! « L’armée de terre recrute des plongeurs d’aide au franchissement » (des cours d’eau, me dois-je de préciser pour ceux qui comme ma pomme, connaissent mal ces histoires d’armée de terre et encore moins d’eau douce)…   Il était grand temps, Michel n’est plus qu’à quelques mois de la limite d’âge pour la formation plongée !

Deux premiers mois de formation intensive pour apprendre le métier de plongeur à La Valbonne, au nord de Lyon. Rien à voir bien sûr avec les petits week-ends en compagnie de Morched sur les bords du Golf d’Akaba, on s’en doute ! Plongées en fosses, en rivières, en lacs, épreuves d’endurance dans le Rhône en crue, sauts d’hélicoptère, raids dans les monts Bugey… On est en hiver ;  le soleil est avare ! Entre la plongée du matin et celle de l’après-midi, la combinaison exposée aux trop maigres rayons a souvent gelé. Il faut la replonger dans l’eau froide avant de l’enfiler… Les défections se multiplient… « Il faut avoir les couilles plus longues que la bite ! » Bon, ça, vous avez reconnu,  c’est « l’humour militaire » que je n’accepte évidemment pas dans mon carré ! ( je me permets de le préciser au passage! ) N’empêche, il faut enchaîner avec la suite… stage CT1 ; deux mois de rab ! Explosifs aquatiques, reconnaissance des fonds de rivière pour les fameux «franchissements», formation des équipages de blindés à la submersion… Quelques plongées sous la glace dans les lacs jurassiens et raid de survie d’une semaine pour faire bon poids...

plongée sous glace

Heureusement, le week-end autorise quelques moments de détente ; les restaurants de la région s’y prêtent. Mais le lundi matin, c’est néoprène gelé et détendeur à poste pour la semaine …

Mai 1976, le franchisseur de rivière estampillé est de retour à Stetten. Il est le seul breveté du régiment dans la spécialité. Bien obligé de le bombarder adjudant-chef en vitesse avant qu’il ne se tire encore ailleurs… Toujours Lieutenant, bien sûr aux yeux du petit corse qui observe justement l’histoire de très près… Ce n’est pas tant le magnifique insigne épinglé au blouson de Michel qui monopolise l’attention de l’empereur. Certes la bouée couronne cerclant un poignard de plongée et un requin des rivières (brochet doré) en épate plus d’un au mess, mais dans ce domaine, l’empereur avec sa légion d’honneur sur canapé rouge sang et fond de Marseillaise, avait déjà frappé très fort en son temps. Non, ce qui épate franchement le stratège des plaines d’Europe centrale, ce sont ces incroyables forteresses ambulantes qui semblent se jouer du relief ! L’ingénieux petit corse observe de là-haut les exercices de ces foutus engins avec le plus vif intérêt… Ah, Si Lavoisier, Gay Lussac, Papin et quelques autres lambins, s’étaient un peu plus bougés à l’époque ! S’ils s’étaient attelés sans tarder à l’affaire en s’inspirant des crobars inventifs de Michel-Ange qui traînaient dans les tiroirs depuis plus d’un siècle,  la campagne de Russie aurait tourné tout autrement ! Tu parles !!! Avec quelques petits lieutenants de cavalerie comme Michel pour leur faire franchir comme qui rigole des rivières de 5 m de fond et la palanquée de maréchaux des logis qu’il avait déjà sous la main pour faire coller sa harde de grognards au cul de ces engins providentiels, le tzar et ses alliés de pacotille auraient eu tôt fait de baisser pavillon !!!

L’année suivante c’est le CT2, le graal du plongeur de combat. Rayon de soleil… On est en Juillet-Août, cette fois ! Reconnaissance hélico des cours d’eau à franchir, utilisation des  équipements spéciaux, travaux sous-marin,  lance  thermique, recherche d’épaves, quelques plongées très profondes en Méditerranée pour finir de préparer l’examen qui se passera au lac Izarlès à -30 m sans aucune visibilité.

Pas de virée restau/bamboula le week-end, cette fois… Entretenir son matos, courir, grimper, plonger… dormir. Point.

On se doute bien qu’après tout ce temps à cavaler après mordicus, Michel ne le loupe pas cet exam ! Il n’est que le 67ème à le décrocher et il n’aura même pas à aller chercher l’insigne tant convoité au fond de la fosse et à poil comme il est d’usage ! Encore un de ces petits usages délicatement « militaire », particulièrement pour ces dames, par lequel il faut bien passer avec le sourire ! Toutefois à ce niveau, il se trouve qu’il n’y a en a plus de dame… donc quel intérêt, franchement ?

Retour à Stetten, formation des équipages de blindés à l’immersion, en piscine, en caisson ; formation des palanquées de plongeurs en reconnaissance des fonds, balisage sous-marin. Franchissement grandeur nature d’un bras du Rhin par un régiment entier de chars de 30 tonnes. Largement de quoi occuper les trois années qui suivent !

franchissement de rivière - Michel en treillis sur l'avant

Mais Mimile est toujours là, au coin du bois. L’école de plongée de La Valbonne propose à Michel un poste de directeur de plongée…  Sauf qu’il faut d’abord passer par Pau (école des troupes aéroportées) pour décrocher le sésame. Il faut réagir vite… Encore cette histoire de limite d’âge, côté paras cette fois ! Comme s’étonne en aparté le général, maître des lieux, à la remise des brevets :

-          On fait sauter les vieux cons maintenant ? Bravo quand même Adjudant !

Michel est donc bientôt de retour au centre de formation de La Valbonne. Cette fois au sein du staff de formateurs. Le boulot ne manque pas, les rencontres non plus. Mais l’emploi du temps est serré : formation des plongeurs de l’armée de terre, de la légion, des marsouins, des pilotes d’engins amphibies, pompiers de Paris, plongeurs des services spéciaux… ça fait du monde ! Les gars du génie ont construit un bar, « le Taravana » qui, comme chacun sait, veut dire « cinglé » en tahitien. Tout le monde est largement rétribué de ses efforts à l’EPAT, staff comme stagiaires. Les cotisations du « Taravana » sont fixées en conséquence et le champagne coule à flot à la moindre occasion !

C’est au zinc du Taravana que Michel rencontre le Capitaine B., officier de gendarmerie « créatif », co-fondateur du G.I.G.N. qui est venu jeter un coup d’œil à l’EPAT et par conséquence à son bar huppé, histoire de voir ce que l’école pourrait apporter à ses propres  plongeurs tout  nouvellement incorporés au balbutiant GIGN…

Pas question pour autant de devenir pilier de comptoir, fût-ce à la barre de l’exotique Taravana ! Stage à la société Spirotechnique à Nice, recherches de véhicules disparus, de noyés, opérations de secours d’urgence lors des crues récurrentes de la Saône, assistance aux fermes inondées. Tiens, guider vers la sortie des troupeaux de vaches ou de canassons sous la surface… Vous le sentez-vous ? Alors moi pas, franchement ! Pourtant j’ai pas froid aux yeux dessinés sur mes coques, ni les poings scotchés à fond d’équipets quand il arrive une merde…  Mais là, franchement, je m’y vois pas !

Un épisode à marquer d’une croix fut l’invitation sur le Poséidon, navire support de l’école des commandos marine. Avec trois autres membres du staff  de l’EPAT. Michel y croise le commando Hubert, les nageurs de combat des forces spéciales pour une semaine d’opération en Méditerranée.

Voilà enfin Michel en haute mer et en opération avec une vingtaine de plongeurs de combat… Il va sur ses quarante ans… Il en a fallu des années pour que les desseins du jeune caissier du crédit agricole se calquent sur les prédictions de la vieille voyante du port d’Oran!!!

Pour conserver ses qualifications, Michel doit sauter six fois par an. Pas de problème jusqu’à ce que la réception d’un de ces sauts d’entretien se passe très moyennement… A vingt mètres du sol, une rafale déstabilise le parachute. Michel arrive une fraction de seconde avant son pépin. Craquement sinistre, ramassage du parachute, course vers le point de rassemblement… Mais la course du lièvre à travers les champs s’arrête là (provisoirement heureusement !). Hôpital militaire de Lyon, opération, rééducation.

La grande muette ne fait pas dans la dentelle… Elle est même très réputée dans ce domaine particulier ! Inapte Para, donc inapte plongeur de combat, donc inapte instructeur. Limpide et sans appel !

On est en 1986. Michel a quarante et un an. Cette fois Mimile n’y est pour rien, pourtant une mutation s’impose…

Voilà notre Michel muté à Paris ; au centre de documentation de l’armée de terre… Autrement dit « sergent recruteur ». Détails superflus. L’horreur, tout bonnement !

Certes, il y a une issue : présenter sa candidature « officier rang » sur dossier et passer lieutenant, non plus aux seuls yeux du petit Corse. Michel a été un bon sous-officier, volontaire et mobile. C’est du 99%.  Avec un peu de chance, il sera réaffecté dans un régiment de chars, mais à un poste administratif… Organiser le bal de la Saint-Georges et faire danser madame la Colonelle ?

Non, tout bien pesé, Michel se dirige vers le bureau des effectifs. Il va troquer le Képi bleu pour le chapeau mou. A 41 ans, avec une bonne moitié de ses affectations qui comptent double, il est largement dans les clous pour décrocher une retraite correcte…


Michel est donc revenu à la vie civile. Autant le prendre cool. Il s’installe à La Ciotat où le GEPS (groupe de pêche et d’études sous-marines), le plus vieux club de plongée d’Europe lui propose un poste de directeur de plongée. Lui, a de tous temps plongé, été comme hiver, en Méditerranée comme ailleurs, mais ce n’est pas le cas du plongeur lambda. Passé l’été indien, il y a des « trous » dans le planning du club. Or il se trouve que parmi les membres du club, il y a un maraîcher de Saint-Cyr sur mer… Michel partage désormais son temps entre maraîchage et encadrement de plongée quand la douceur revient. Une vie beaucoup plus tranquille, pour ne pas dire pépère, que ce qu’il a connu jusqu’alors…. Sauf que…

Sauf que réapparait, comme par enchantement Félix, l’officier de transmission du 6ème dragons. Félix qui, déjà ? Peu importe puisqu’il s’appelle désormais « Fred », son nom de code à « la piscine », siège de la DGSE. Il vient de passer six mois au Liban sans couverture sur la piste de cellules terroristes qui interviennent régulièrement dans l’hexagone. Fred propose à Michel un « job » dans une cellule qui se met en place à Paris sous les ordres de « Louis », un colonel à la retraite.  «Cellule France», ça s’appelle.  Mais c’est juste pour tranquilliser les esprits… une fois formés les gars ou les nanas comme Lily iront là où on leur dit d’aller…. Par essence, le boulot de la DGSE, c’est d’opérer hors des frontières. Pourtant la récente mission de Fred a mis en évidence quelques individus fort peu recommandables officiant sur le territoire national en liaison avec les cellules jihadistes investiguées au Liban.

Michel accepte. Pas que la plongée découverte lui pèse ! Au contraire, nombre de vieilles rascasses l’appellent volontiers par son prénom, quand elles ne lui font pas de l’œil ! Quant à son pote maraîcher, il roule quasiment sur l’or de ses légumes…. Toutefois un peu d’action ne nuit pas à la circulation sanguine. C’est en tous cas ce que Michel se dit en préparant son paquetage pour la capitale.

Présentation au patron. Choix d’un pseudo ; c’est la règle dans le milieu, cloisonnement oblige. Ce sera Marc, le prénom de son douanier de père. Installation dans un studio anonyme de la Défense. Début du stage de sécurité individuelle. Autrement dit, se familiariser avec le b.a ba de la corporation…. Protection rapprochée, boites aux lettres, actives ou mortes, filatures, rupture de filature, tourniquet, prétexte de présence, codage des messages, fabrication de supports adaptés et discrets pour appareil photo miniature, installation d’un sous-marin, etc…

La formation n’est pas dispensée par des énarques cravatés, mais par « Gilles » et quelques autres, des gars qui ont appris le métier sur le tas un peu partout sur terre au sein du service action.

En 1987, le jihadisme n’est pas encore omniprésent dans l’hexagone. On est par contre dans les derniers soubresauts de la guerre froide… Même si ce genre de mission était jusque-là du ressort d’autres services, il  faut bien faire ses classes… Tant pour la nouvelle cellule que pour ses dernières recrues. La surveillance de ressortissants des pays de l’Est, diplomates et assimilés entre autres, lui est donc confiée dans un premier temps. Ouverture de dossier, photos, domicile, rencontres, contacts habituels, mauvaises habitudes, défaut inavouables et autres travers… sans parler des fouilles de poubelles et autres joyeusetés du métier ! Très rarement en vue d’opération « homo » (là, ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas de ce vous croyez petits coquins…. C’est « homo » pour homicide !), car quand un pseudo-diplomate s’avère vraiment trop malfaisant pour la république, il est généralement plus élégant de le faire remplacer diplomatiquement, que de le faire remplacer par feu d’artifice géant à la Jean Reno… Certes, c’est plus rapide et il y a inévitablement des « cas limites » où cela s'avère nécessaire, comme dans tout commerce honnête… Bref le boulot ici, c’est plutôt de connaître, disséquer et contrôler dans l’ombre ce genre de personnage «pouvant à terme s’avérer nuisible»…

Une équipe de tir sportif d’Allemagne de l’Est débarquait-elle à Nancy pour une compétition interarmes ? Hop, envoi immédiat d’un sous-marin suréquipé photo et micros directionnels pour enregistrer tous les contacts de ces braves gens. Bref, des heures et même des jours entiers dans des véhicules fermés à loucher sur des écrans flous, cadrans et potentiomètres crachoteurs de tous poils et à bouffer des sandwichs rassis avec de la bière tiède…

La première mission solo confiée à « Marc » - bien sûr il y a « prescription » depuis belle lurette - l’amène dans un grand port du nord de la France. Budget quasi illimité sur présentation ultérieure des factures. Voiture équipée, appareil photo Canon, mini-jumelles infra-rouges, lampe mag-lite, micro directionnel, mini magnéto. L’équipement est là, le support aussi.  « Marc » n’a pas été choisi par hasard… Il s’agit de loger et d’en apprendre un peu plus sur un ressortissant polonais qui dirige une entreprise de plongée ! Entreprise de plongée qui intervient dans des modifications sur la centrale EDF de Gravelines… Les plongeurs sont tous domiciliés en Belgique. Autant de passeports polonais et de carrures athlétiques. Autant de photos que Marc fait suivre à d’anciens collègues plongeurs, sans négliger une brève visite nocturne dans les locaux où la dite société entrepose son matériel, les cadrages du personnel de bureau de l’entreprise à la sortie du boulot, transmis illico à « la Piscine » et une rencontre fortuite au bistro avec le patron de la boite…

Coïncidence de bord de zinc sur lequel les bières défilent, ils sont tous les deux plongeurs professionnels ! Incroyable !!! « Marc » raconte le GEPS de la Ciotat ( il faut toujours commencer par en lâcher, c’est le b.a. ba ! ). L’autre raconte sa formation sur le 4 mâts école de son pays…

« Marc peut rentrer tranquillement à Paris se reposer quelques jours avant d’aller faire un tour à « la Piscine », histoire de récolter les quelques graines qui auraient germé entre-temps….

Le seul 4 mâts-école en mer Baltique est le navire école de la marine russe. Tous les plongeurs ont été identifiés par les anciens collègues de Michel, ce sont tous des plongeurs de combat soviétiques.  « La piscine » a fait de son côté le travail nécessaire sur les clichés du personnel administratif. Tout aussi russe que le reste ! Seul hasard heureux de l’histoire, son convive du bar du port est bien né en Pologne ! Gros à parier qu’il n’y est pas resté bien longtemps !!! Bref, un entretien des plus sérieux avec EDF s’impose… Mais bien sûr ce n’est pas du ressort de «Marc», qu’on ne tarde pas à envoyer fureter ailleurs puisqu’il s’en sort si bien…

Un couple d’années plus tard le bloc soviétique bat sérieusement de l’aile… Ce n’est plus de ses maîtres espions qu’il faut se défier, mais des instructeurs formés par l’armée rouge, le KGB et plus récemment le GRU, partis chercher fortune ailleurs ; sans parler des monstrueux stocks d’armes disséminés ici et là et vendus à n’importe qui au gré de la corruption galopante au sein des républiques indépendantes qui se partagent les ruines fumantes de l’empire soviétique.

Plus grave encore, mais en relation quasi directe, des explosions meurtrières se mettent à ensanglanter Paris. Les poseurs de bombes ne viennent pas de l’Est, mais du Moyen-Orient et du Maghreb et sont formés en Palestine dans des camps du même nom où ils sont parfaitement entraînés et armés jusqu’aux dents par les susdits instructeurs venus du froid... La cellule du « colonel Louis » doit s’adapter à ses nouvelles cibles. Elles sont donc bien formées, méfiantes et extrêmement dangereuses, souvent bien intégrées dans le tissu social. Pourtant il faut les «loger» en restant très prudent sur la base des renseignements que « Fred » et ses collègues continuent à collecter au Liban et dans les pays voisins, de photos de pièces d’identités archi-fausses et souvent anciennes qui conduisent pourtant quelquefois à une adresse…

Reste à identifier… Reconnaître les abords à plusieurs, observer les allers et venues dans l’épicerie maghrébine voisine, isoler les types qui font innocemment le pied de grue dans la rue… le tout, aussi discrètement que possible ! Après faut bien ressortir la grosse ficelle… Se pointer à l’heure du repas en costume-cravate défraîchi, un bouquet de fleurs à la main et faire le con, le benêt amoureux. Sonner une première fois d’un doigt léger et attendre avec le sourire le plus crétin possible… Si un épais barbu ouvre la porte avec une main derrière le dos, c’est pas du poil à gratter mais la piste est prometteuse….  Dévisager le pépère sans trop d’insistance, sans perdre le sourire, ni la moindre goutte de sueur…  « Je suis bien chez Martine ? Elle m’a invité à diner pour me présenter ses parents… ». La réponse est connue… « Pas de Martine à bord ! »

Surtout ne pas se trisser en catastrophe la queue entre les jambes, encore moins balancer le bouquet dans la poubelle du rez-de-chaussée !!! Mais argumenter tout en souplesse, donner au moins un  prétexte de présence : « Nous sommes bien au 17 de la rue Meylet ? Ah, c’est le 19 ! Flûte ! Excusez-moi, Monsieur ! »

L’exercice est périlleux, même quand il est bien rodé. Carrément funambulesque lorsqu’il s’agit  d’une de ces cités qui commenceront bientôt à flamber un peu partout !

La cellule du colonel Louis loge ainsi  une belle brochette de barbus lourdement suspects. Les résultats transitent par « la Piscine » avant de revenir au ministère de l’intérieur. Pour « Louis » la mission s’arrêtait là.

La mission suivante tourne court dans des conditions assez étranges. Tout paraît pourtant aussi simple que routinier au départ. La consule du Panama à Marseille qui reçoit la visite de ses trois enfants pour l’été, cherche à louer une Renault Espace avec chauffeur pour faire visiter la côte d’Azur à ses rejetons. Ça ne pose aucun problème, le véhicule se gare à l’heure dite devant la résidence de la consule sur la corniche. Le chauffeur c’est Marc. Pourquoi me direz-vous ?

Ce n’est pas la consule qui est nommément sur la sellette, mais le consulat du Panama à Marseille…

Seuls trois panaméens y travaillent, dont la consule. Par contre, des sommes considérables y transitent, des Caraïbes vers le Luxembourg. Un, deux, voire trois de ces paisibles diplomates sont donc des hommes de paille du général Noriega qui dirige le Panama d’une main et un large réseau de narcotrafiquants de l’autre.

Pourtant, c’est une randonnée plus qu’innocente qu’entame Madame la consule le long de la côte. C’est une femme élégante et distinguée, Ses enfants sont très bien élevés, deux parlent couramment français. Saint-Tropez, Antibes, Monaco, Menton. Ce sont d’agréables vacances en très aimable compagnie dont Marc aurait mauvais goût de se plaindre.

C’est sur le chemin du retour qu’une visite sur un yacht à quai dans le port de Cassis fait rebondir l’innocente randonnée familiale…. Ce ne sont pas les amis escomptés par la consule qui attendent les vacanciers dans le carré du yacht, mais une brochette choisie de la brigade financière de Marseille…

Mais la surprise ne s’arrête pas là ! Quelques instants plus tard, deux fonctionnaires armés viennent quérir Marc qui est évidemment resté au volant du véhicule sur le quai. Bien obligé de jouer pour le moment l’honnête chauffeur de maître au courant de rien… Le voilà contraint de répondre aux chapelets de questions des bourres au côté de la séduisante consule qui prend évidemment ça très mal !

D’autant que du magnifique carré aux vernis rutilants, on migre bientôt vers les bureaux des douanes du petit port où parvient encore la rumeur estivale, puis sur le coup de dix heures du soir dans ceux, carrément glauques, du port de La Joliette à Marseille. Bien sûr, la consule retrouve ses enfants une grosse heure plus tard, avant qu’une voiture banalisée ne les reconduise tous au bercail, immunité diplomatique oblige…

Tous, non ! Marc, lui, a bien été obligé d’attendre le départ de sa « cible » pour montrer patte blanche… Les bourres n’ont absolument pas l’air au courant de sa qualité. Ce n’est qu’au vu de sa propre carte tricolore  qu’ils finissent par accepter de joindre le Colonel Louis qui n’est heureusement pas parti de son côté  en randonnée estivale avec femme et enfants….

Puisqu’on parle du loup…. Quelques jours avant cette cocasse virée azuréenne, « Louis »  a réuni ses troupes pour leur annoncer une fort méchante nouvelle… Le gouvernement a changé, leur ministre de tutelle et sa couleur aussi. Un nouveau protocole de fonctionnement vient d’être mis en place... En particulier concernant les frais engagés individuellement sur chaque mission...

Ça demande réflexion… Surtout après cette mission bouclée en queue de poisson derrière les vitres crades de La Joliette ! Marc sera mieux pour réfléchir à la Ciotat qui est justement la porte à côté. Ses copines rascasses seront contentes de le retrouver et n’hésiteront pas à le conseiller utilement…

Ainsi fût fait.

Outre les rascasses, girelles royales et autres cousines bavardes,  Michel retrouva avec plaisir son pote maraîcher. L’automne et l’hiver passèrent ainsi, « au vert » comme on dit volontiers dans la corporation.

Celui qui a fait du chemin ces derniers temps, c’est le Capitaine B., rencontré au «Tiravana». Avant de raccrocher son flingue au râtelier comme l’a fait Michel quelques années plus tôt. Il a dirigé avec les meilleurs éléments du GIGN une opération assez bluffante au cœur du plus haut lieu saint de l’Islam.  Par le biais d’une prise d’otage massive, plusieurs dizaines de terroristes  avaient pris le contrôle de la Kabbah, au cœur de la Mecque ; la pierre sainte de l’islam aux yeux des musulmans du monde entier. La police et l’armée saoudienne semblant impuissantes, le roi Fayçal avait demandé l’aide de la France qui avait elle-même immédiatement réagit… Il ne s’agissait évidemment pas de faire sauter un régiment de paras sur la Mecque ! Le Capitaine B. avait débarqué incognito avec seulement  trois de ses hommes à Ryad. Sauf-conduit du roi pour La Mecque, matériel de pointe (gaz de combat, grenades à fragmentation, armes automatiques et explosifs sophistiqués), budget illimité. Le problème fut résolu suffisamment rapidement et avec suffisamment peu de victimes collatérales pour que les services saoudiens fassent l’admiration du monde entier.

Pour les milieux bien informés de la région, le capitaine B. s’était fait plus qu’un nom. C’était devenu un label ! Sa plaque de gendarmerie rendue, la « boutique » qu’il crée est aussitôt submergée par les commandes venues du Moyen Orient et d’Afrique.

Au printemps 1989, c’est pourtant un autre revenant qui fait tinter le téléphone à la Ciotat.

C’est « Gilles » qui a guidé jadis les premiers pas de « Marc » dans les services. Il s’appelle « Bernard » maintenant… Il ne forme plus les jeunes recrues pour l’arrière-cour de la république, il recrute justement pour la boite en pointe du capitaine B.

C’est l’heure de l’apéro. Pour le coup, aux deux bouts du fil, on est parfaitement détendus. Chacun sait parfaitement à qui il a affaire, pas de lézard.  D’autant qu’il ne s’agit que d’un petit boulot bien payé et de tout repos… Protection rapprochée (P.R.) pour des gens du Moyen-Orient en villégiature sur la côte…

-          OK , alors ? Ben, Gare de Cannes dans 48 heures / costume de ville / tenue de sport / de chasse si t’as, sinon on trouvera sur place.

Le surlendemain à la gare de Cannes, Michel est de nouveau « Marc », mais c’est un autre « Michel » qui le récupère sur le quai. Celui-là est un des lieutenants du Capitaine B.. Il supervise le secteur P.R. sur la région où il y a du gras à faire chaque saison estivale.

Direction une Villa de «la Californie» dans les hauts de Cannes, où il retrouve plusieurs de ses nouveaux collègues. Leur boulot : protection rapprochée de la famille royale saoudienne. Marc écope d’une princesse, nièce du roi. La princesse Abir. Elle loue une des villas du très « réservé » lotissement, à proximité des autres membres de la famille royale. La villa louée par l’officine du capitaine B. est logiquement au beau milieu du lotissement.

Marc est « à l’essai ». Mais déjà avec un salaire à cinq chiffres ; c’est vrai qu’on en est encore au « franc lourd » à l’époque. La princesse est charmante et Jacqueline, sa dame de compagnie, est toujours dans ses pas. Les deux luronnes s’amusent fort des quelques mots de mahométan que Marc connaît déjà et disposent pour leurs emplettes d’une Mercedes 560 SEL avec chauffeur. Les quatre enfants de la princesse suivent (ou pas) dans un minibus bleu qui a sa propre sécurité. Marc ne pouvant monter dans la même voiture que la princesse, dispose lui, d’une Audi 200 turbo ; chauffeur de la maison à l’appui ; un polonais (un vrai peut-être, cette fois !). Suivre la princesse, veiller sur ses vacances entre côte d’Azur et Riviera. Sorties en mer avec les enfants sur le yacht du prince, l’Abdel Aziz qui stationne à Monte-Carlo. La princesse joue peu, elle préfère les restaurants de la Riviera, le shopping dans les boutiques de Nice, bijouteries, magasins de luxe, soirées avec Carlos à Juan les pins.

Tout se passe pour le mieux le premier mois. «Michel» passe à la villa confirmer « Marc» dans ses fonctions. La période d’essai est terminée ; on rajoute un chiffre à sa modeste solde de cerbère attentif.

La princesse Abir et Marc se retrouvent trois  étés de suite. Peu de problèmes de sécurité avec le duo Abir/Jacqueline que Marc briffe régulièrement…. Qu’elles laissent leur sacs monogrammés dans la Mercedes, qu’elles confient immédiatement leurs petits achats au chauffeur, en particulier quand elles sortent d’un joaillier de renom… etc…etc… !  Deux malheureux voleurs à l’arrache plutôt maladroits en trois ans. Bref, C’est la planque !

A chaque départ, l’ensemble de la sécurité raccompagne leurs inestimables clients à l’aéroport de Nice où les attend le Boeing royal en partance pour Riyad. La tradition arabe du back-chich se déroule au départ de la villa. Miss Jacqueline réunit l’équipe sur le parking en vue de la distribution d’épaisses enveloppes de Pascals ou de petites bourses garnies de réaux- or…

-          La princesse vous remercie… A bientôt ! » Accompagné bien sûr d’un gracieux signe de la main de la princesse derrière sa vitre.

Entre-temps l’idéal, ça aurait été : retour au club de plongée de la Ciotat / maraichage à Saint Cyr sur mer et sieste l’après-midi…. Mais les « vacances » étaient souvent drastiquement écourtées…

Ainsi quelques semaines seulement après avoir quitté à regret l’intimité strictement professionnelle avec la généreuse princesse Abir,  le téléphone sonne dans le cosy corner de la Ciotat. Michel est encore en combinaison de plongée. Il commence par se changer…

Une fois sec, il jette un coup d’œil sur le numéro d’appel. C’est le bureau parisien de «Michel». Il est censé rappeler évidemment, mais l’eau est encore très bonne en ce début octobre en Méditerranée… Pourquoi ne pas faire le mort ?

Peine perdue, le bigo vibre de plus belle une heure plus tard….

-          Dispo pour une mission de formation à l’étranger ?

-          Quel coin ?

-          Tu le sauras dès demain. Envoi toujours ton passeport au bureau pour le visa. Fissa si possible…

-          Tenue ?

-          Légère, vous serez quasiment sous l’équateur.

Quelques jours plus tard, premier contact avec Jo. Et les deux gorilles de service, Gaston et Olivier, à l’aéroport de Roissy.  Jo, «Marc» le connait déjà ; c’est un ancien béret vert et vieux complice du Capitaine B., mais ce sera la première mission de Marc à ses côtés. Un membre du bureau les dépose devant le terminal ; remise des passeports munis de visas pour le Congo Brazzaville, d’une enveloppe kraft bourrée de francs CFA et d’une mystérieuse paire de bottes de saut taille 48 impeccablement cirées à remettre en mains propres. Marc  apprendra de Jo pendant le vol le reste de ce qu’il faut savoir avant de poser le pied à Brazza

Il s’agit tout bonnement de former la garde présidentielle, en particulier les gardes du corps du président à la protection rapprochée. Le président Sassou Nguesso est en place depuis quelques années déjà ; il s’agit de mettre en place sans tarder des moyens plus adaptés pour qu’il y reste…

C’est un officier congolais qui accueille le quartet de musiciens à l’aéroport et fait passer leurs étuis d’instruments par un raccourci puisqu’il s’agit d’un vol régulier.

Il se présente. Colonel Oba. C’est le responsable de la « contre ingérence », également  destinataire de la mystérieuse paire de bottes. Son titre ronflant impressionne sans doute le chaland, mais certainement pas autant que l’allure du bonhomme. Le mystère de la taille 48 est levé ! Le colonel Oba est tout bonnement un géant… Il dépasse largement les deux mètres et doit peser à peine 120 kg. Ce qui ne fait pas de lui « un gros »… Mais plutôt le genre de très beau bébé taillé sur mesure pour jouer les très très méchants dans les productions hollywoodiennes. D’autant que sur cette carrure de char d’assaut en campagne sont plantés une dentition fort inquiétante et un regard proprement insoutenable qui cache mal que ses ancêtres ont bouffé du missionnaire et qu’on ne va pas s’arrêter là….

Le colonel Oba les reçoit néanmoins fort civilement sur la base d’une bouteille de Champagne forcément un peu tiède – à l’impossible nul n’est tenu ! - et de cinq verres à moutarde parfaitement propres sortis du placard métallique où ont atterri entre-temps les étuis à flûte et les bottes de saut sur mesure de notre futur guide…

-          Bienvenue et longue vie au président !

C’est vrai qu’on est un peu là pour ça ! Nos appartements sont en étage dans les locaux de la présidence. Le restaurant est au rez-de-chaussée,  fréquenté par une faune composite. Civils cravatés, militaires en tenue de campagne, beautés locales à foison. Les colts 45 sont ostensiblement portés à la ceinture, les fusils d’assaut nonchalamment posés contre les chaises. Prière de ne pas avaler de travers ni d’éternuer trop fort. Les amazones se replient dans les étages la nuit, effleurent les portes, infiniment plus dangereuses que les armes automatiques qui traînent toute la journée au restaurant de la présidence…

Dès le lendemain, premier contact avec les « élèves »…. Sacrés clients les guerriers ! Une bande de garçons de tous âges, toutes tailles, toutes ethnies, dotés d’armes de poing russes dans un état lamentable. Pas de holster, l’arme est portée à la ceinture du pantalon (quand il y en a une) et tombe à chaque mouvement brusque…  Mais par définition les musiciens itinérants connaissent toutes les musiques, en particulier celle qui chante de longue date que partir de zéro avec de braves gars, vaut souvent bien mieux que d’avoir affaire à une bande de branques qui croient tout savoir !

Bref, y’a du boulot ! Autant commencer tout de suite…  sports d’endurance, de reflexes, observation, réactions et prises de décision rapides,  déplacement en convoi, contrôle des véhicules, sports de combat. Olivier et Gaston s’en donnent à cœur joie ; les gars sont solides, en veulent et ne craignent pas les coups. Port, nettoyage et désenraillement des armes, séances de tir en brousse à quelques kilomètres de Brazza.

La présidence a cru bien faire en allouant à l’équipe deux voitures officielles. C’était une mauvaise idée.   Des « munzungus » dans des voitures officielles, ça sentait le mercenaire, aux yeux des journalistes d’opposition en tous cas. Le bruit se mit à courir que des « gars » de Bob Denard étaient arrivés de la RDC voisine…

Ignorant les grains d’orage et les élucubrations des journalistes, la mission se poursuit. Plutôt bien, d’ailleurs. Les plus jeunes assimilent bien ; les plus vieux suivent cahin-caha, un peu comme pendant le footing du matin.

Les élections approchant, même si le président Nguesso est sûr et certain d’être réélu, ses 48 opposants se doivent de « faire du bruit ». Les esprits s’échauffent, les incidents se multiplient. Il est de plus en plus difficile de circuler car les points de contrôle improvisés (officiels ou pas)  s’érigent un peu partout en ville comme en brousse. Les voitures sont de plus en plus systématiquement caillassées…

Les journalistes devenant de plus en plus percutants et toutes les forces de l’ordre n’étant pas acquises au pouvoir en place, la situation devient vite intenable, l’air irrespirable pour l’équipe…  Jo embraye sur le plan d’exfiltration qu’il avait sous le pied ; Kinshasa en RDC est en fait juste de l’autre côté du fleuve, exactement en face de Brazza ; Jo n’y manque pas de contacts. Côté Brazza l’officier de « contre-ingérence » est dans le coup. Il conduit l’équipe au bord du fleuve de nuit dans un camion civil bâché. Tout se passera bien.

Retour à La Ciotat en rêvassant de la princesse Abir qui ne devrait plus tarder, puisque les trois étés précédents, elle est arrivée à Nice vers la mi-juillet.

L’appel de Paris arrive plus tôt que prévu. Le rendez-vous est à Cannes le 1er juillet. Adieu princesse ! Marc est monté en grade ; Il s’agit cette fois de la protection de l’Emir de la presqu’île la plus riche du golfe persique, la plus turbulente aussi ! Plus de villa louée à prix d’or à la Californie. Mais un territoire diplomatique, autrement dit une enclave accordée par les hautes sphères du quai d’Orsay dans  le modeste département des alpes maritimes avec vue sur le cap d’Antibes. Petit arrangement avec la république qui autorise l’émir à disposer d’armement conséquent sur sa « frontière » avec le pays hôte. Une vingtaine de gardes lourdement armés interdisent strictement l’accès aux curieux, police et autres administrations comprises. Les pompiers ? En cas d’urgence, peut-être ? De toute façon ce n’est marqué nulle part. C’est juste une réalité que personne ne discute.

Marc, lui n’a rien à voir avec la protection de ce territoire cédé à l’émirat par les instances supérieures de l’état français. Lui est logé sous la piscine avec plusieurs collègues et c’est de la protection rapprochée de l’émir et de sa famille au cours de leurs déplacements qu’ils sont chargés. Si l’émir loue les services de l’officine du capitaine B. plutôt que de faire tout simplement appel à ses propres services de sécurité, c’est que si, à l’intérieur de cette «forteresse», l’émir a peu à craindre d’une menace extérieure, il n’en est pas de même à l’intérieur… Imaginez qu’un simple vassal ou conseiller veuille devenir émir à la place de l’émir ? Ça s’est vu ! Et pas seulement dans les BD belges ! Le capitaine B. n’a pas manqué de le rappeler à l’émir… C’est d’ailleurs bien ce qui se passera lors d’un prochain séjour de l’émir en France, lorsque le prince héritier interdira purement et simplement à son père de rentrer au pays !

« La famille royale », ça fait du monde ! Quatre femmes (le nombre béni fixé par la religion : au-dessus, c’est abuser ; au-dessous, c’est quand on n’a pas les moyens). Sans compter que chaque femme a un ou plusieurs enfants !

Le salaire de Marc est maintenant celui d’un ministre du pétrole ! Les moyens sont à l’avenant : chambre par deux à l’hôtel Majestic sur la Croisette pour les jours de repos, Porsche 911S pour la route, 4x4 kaki pour la réserve de chasse privée dans les Alpes de Haute Provence. L’Emir est un adepte du « sport en chambre ». Il sort peu ; quelques promenades en ville, quelques courses de luxe, des journées sur son yacht amarré dans le port d’Antibes. Son grand plaisir c’est la chasse ! Le terrain de la réserve payée cash  est-il inconstructible ?  Qu’à cela ne tienne ! L’émir a fait construire un palais  en bois réputé « démontable » !  Pas d’espace pour le gibier d’eau ? Qu’à cela ne tienne ! Une armée de bulldozers aménage un petit lac ! Malgré les abondants lâcher de gibier d’eau qui vont y élire domicile en attendant les volées de plombs, le gros gibier se limite au sanglier et à quelques lièvres ? Qu’à cela ne tienne ! On a repeuplé de mouflons tchèques  et de cerfs Polonais !

L’Emir possède une collection d’armes de chasse magnifique. Sa préférée est une carabine semi-automatique Winchester Luxe. Le problème est qu’il n’y voit plus grand-chose, l’émir…  Qu’à cela ne tienne ! L’arme est montée sur trépied articulé et munie d’une lunette double. De sorte qu’un servant puisse l’aider à « ajuster son tir »…

Combien Michel regrette sa clique des bédouins d’Arabie, capables d’aligner un chacal à cent mètres avec leur fusil hors d’âge !

L’émir ne passe cependant pas l’été entre sa forteresse azuréenne et sa réserve de chasse. Il se déplace fréquemment. « Marc » est de tous les voyages, Genève / Paris / Mont Carlo. La troisième épouse de l’Emir aussi. Aurait-il une préférence ? Ce n’est pas nos affaires, ni celles de Marc. Le souci de Marc c’est plutôt la  fille de cette troisième épouse, un poison d’à peine 15 ans qui lui en fait voir des vertes et des pas mures et rappelle assez bien le petit Abdallah, fils d’émir lui aussi, dans le "crabe aux pinces d’or" (on n'a que la culture qu’on mérite !)….

Son jeu préféré, à poison, c’est d’essayer de semer sa protection en changeant sans cesse d’ascenseur ou de sortie. A Genève, conviée à une soirée à l’hôtel du Rhône donnée par une honorable  aristocrate du cru, voilà poison qui déboule, défoncée à on ne sait quoi, affublée d’une perruque vert fluo en bataille et allume le chapelet d’énormes pétards qu’ils ont achetés en chemin dans une fête foraine en même temps que la perruque… Bilan : un énorme trou dans le tulle calciné d’une robe longue très guindée et des cris d’orfraie à hauteur de l’attentat ! Marc n’a d’autre choix que d’exfiltrer poison d’urgence et discrètement… Avant d’aller régler au mieux l’incident auprès de la septuagénaire outrée….

Heureusement il y a une « interface »…  c’est une arménienne d’un bon mètre quatre-vingt, amie intime de la troisième épouse et sans qui celle-ci ne se déplace jamais… Les voilà toutes les trois sur la Croisette. Pas un endroit où les voleurs à la tire pullulent, la police cannoise y veille sans doute davantage qu’à Aubervilliers ! Pourtant à force de sortir systématiquement un Pascal pour acheter une glace ou une gaufre et de laisser la monnaie à chaque fois, ça finit par attirer l’appétit des nécessiteux. Toutes les trois à bavasser de front et Marc qui suit à dix mètres. Et voilà qu’un de ces abrutis de nécessiteux qui ne comprennent pas que ces trois pouffes dilapident les Pascals pendant qu’eux n’ont rien à bouffer, a encore le culot d’arracher le sac de l’arménienne à la volée en croisant le trio et ne se mette du coup à courir que pour tomber dans les bras de Marc… Et boum, c’est encore à lui de coincer le gars contre le réverbère voisin pour récupérer le sac bourré de Pascals et continuer son chemin au cul du trio comme si de rien n’était.

Entre-t-on dans un magasin de lingerie de luxe un peu plus loin que poison veut essayer toutes sortes de soutien-gorge. Bon, lingerie fine, Marc est resté dehors. Il se contente de bloquer l’entrée et de surveiller le manège de poison, qui naturellement ressort avec un des soutien-gorge sous son chemisier pour s’amuser évidemment, la coquine. Bien sûr Marc ne le voit pas ce soutien-gorge. Poison porte des perruques fluo mais pas des chemisiers transparents ! Mais, connaissant l’oiseau, il s’en doute…. Et la tête de la vendeuse après contrôle des articles restés dans la cabine confirme ses doutes…. L’Arménienne est en train de régler un autre article à la caisse. Il faut rentrer dans le magasin, se renseigner auprès de la vendeuse sur la valeur du sous-vêtement manquant et le régler avec un gros pourboire ….   Et  qui s’y colle ? Marc, bien sûr !

Entre-t-on quelques jours plus tard dans une grande surface des Champs-Élysées que poison en ressort avec une paire de gants en laine car elle a froid aux mains, suivie de près par un vigile sénégalais à qui les petites beurrettes du neuf trois ne la font pas. Et c’est encore à Marc d’expliquer au gars que la jeune princesse n’est pas une beurrette tout à fait comme les autres et d’arranger le coup avec deux ou trois Pascal … Avec heureusement à la clef un grand éclat de rire général du staff de sécurité du magasin !

Et c’est comme ça toute la sainte journée, avec poison qui lui donne plus de boulot que l’Emir et sa femme réunis. Encore que voilà que cette épouse préférée dont personne n’a jamais vu le visage (à part le chanceux émir évidemment) a besoin de soins dentaires. Rendez-vous est pris chez un praticien spécialisé dans la dent royale à qui il faut expliquer préalablement que le jeu consiste à soigner les dents sans voir le visage puisque la femme de l’émir ne pourra pas ôter son masque noir brodé de fil d’or pendant les soins…

L’émir a finalement loué une résidence à Paris. Pour lui et sa troisième épouse ? En loucedé ? Attention Allah voit tout !!I A croire qu’il protège cependant avec la plus grande attention les têtes couronnées, car une des plus mauvaises habitudes de la préférée de l’Emir est de piquer la Mercedes qui, il est vrai, est la sienne, pour filer à tombeau ouvert vers la place de la Concorde, enfiler les Champs-Élysées sans ralentir, puis l’avenue de la grande Armée, enfin l’avenue de Neuilly jusqu’à la Défense et retour. Le tout sans lâcher le pied, sans permis, et dans un défoulement rageur autant que hautement compréhensible  dans la mesure où il est strictement interdit dans son pays aux femmes, fussent-elles de sang royal, de conduire leur voiture... Là n’est pas le moindre souci de Marc, qui parvient quelquefois à coincer la chauffarde à un feu rouge quand exceptionnellement elle s’y arrête, mais éprouve à chaque fois plus de difficulté à la convaincre de faire demi-tour. C’est un brave sergent de ville en faction Porte Maillot qui mettra fin aux furieuses échappées en bloquant la Mercedes folle le long du trottoir, le temps que Marc parvienne à apaiser la colère du fonctionnaire. L’affaire parviendra cependant aux oreilles de l’Emir qui y mettra bon ordre.

Le fait est qu’il a bien fallu équiper le nid des deux suspects / linge de maison / vaisselle et bouffe bien sûr l La Mercedes a de nouveau été mise à contribution. Aux mains du chauffeur cette fois. Le brave homme ayant certainement reçu de l’Emir l’ordre express de ne plus se séparer des clefs de la voiture. Une grande surface voisine fera l’affaire et c’est bien sûr la femme de l’Emir qui a été chargée de l’opération « nid d’amour ». Poison et la géante arménienne donnent la main, le chauffeur aussi, chacun un charriot. Marc est dans les parages, les mains libres, lui, prêt à parer toute nouvelle connerie du trio de tête…  Voilà les quatre charriots archi-pleins devant la caisse. C’est l’arménienne qui a l’air de tenir la caisse. Elle sort une énorme liasse de Pascals, en tire la douzaine nécessaire au paiement du trousseau complet des polissons. La caissière ramasse le paquet, les yeux comme des soucoupes, à l’image de toutes les ménagères des queues aux caisses voisines et rend la monnaie. Monnaie que le trio laisse sur place d’un geste condescendant comme la fine équipe le fait systématiquement dans tous les magasins de luxe qu’il fréquente habituellement et où la chose est parfaitement acceptée avec la bouche en cul de poule et le cul bien serré. Mais là, la caissière du supermarché étant étrangère au monde du luxe refuse de façon claire cette aumône contraire au règlement. En français naturellement. Français qu’aucun membre de l’équipe n’entrave…  Pire ! L’arménienne n’a vu que du courroux dans le regard de cette honnête caissière…. Pourboire trop bas ? S’interroge-t-elle in petto … Et de rajouter un Pascal à la monnaie qui traine toujours sur la surface nickelée de la caisse. Le brouhaha alentour s’intensifie mais le trio, suivi par le chauffeur est déjà en route vers le parking.

Évidemment Marc ne peut pas abandonner ses ouailles et leurs liasses de Pascals à l’obscurité du parking  sous-terrain où elles sont parfaitement capables de se paumer !

Il franchit à son tour la caisse. Récupérer purement et simplement « la monnaie » alors qu’il est censé être un quidam risque de poser de nouveaux problèmes … il demande donc à la caissière de mettre le tout dans une enveloppe et de la faire porter chez le directeur du magasin. Une personne « accréditée » passera la récupérer plus tard …

Malgré son salaire royal, jamais Marc n’a autant souhaité la fin d’une mission… D’autant que la princesse Abir avait, paraît-il, demandé de ses nouvelles… Hé, hé, les friands de croustillades prêtent soudain l’oreille !

En fait, y’a que l’Emir qui ne pose guère de problème. Lui ne se ballade pas pied au plancher de sa Rolls sur le périf,  ne se  gave pas de glaces et de gaufres sur la Croisette, ne « grille » pas les queues aux caisses de supermarchés, ne pique rien dans les boutiques de lingerie fine et ne passe pas ses soirées à faire le clown en perruque fluo, allumant çà et là des pétards « pirate » ou distribuant des Pascals à tout va ….  Et cela tombe très bien car dans les missions à venir, l’Emir sera seul. Voyage chez les roastbeefs pour rencontrer la dame de fer, à Milan pour rencontrer les galeristes d’art contemporain, à Mr Dassault pour négocier un nouvel avion. Bref, la routine de l’Emir du Qatar et de Marc par conséquence…

Mais les meilleures choses ont une fin et ce n’est pas pour la belle princesse Abir que Marc quittera l’Emir, mais pour une urgence imprévue…

Un incident très grave vient de se produire à la raffinerie de Limbé, au Cameroun, où travaillent plusieurs cadres métropolitains. Le directeur financier et son épouse ont été pris en otage plusieurs heures, une machette menaçante brandie au-dessus du berceau de leur nourrisson.  Les coupables étaient des évadés d’une prison au nord du pays, surnommés les « 40 voleurs » par la population environnante, bien trop pauvre pour être valablement rançonnée. La bande s’était donc déplacée vers le sud, se nourrissant de bétail volé et violant à tout va, avant de rejoindre la mer au niveau de la raffinerie de Limbé.

Un naturel optimiste avait conduit le cadre français qui travaillait en Afrique noire depuis de longues années, à espérer que le type qui s’était hissé à la tête de cette horde de désespérés, pouvait après tout n’être qu’un voleur malchanceux ou un assassin maladroit au lieu du forcené sanguinaire qu’aurait été à coup sûr le meneur d’une bande de sauvages sortie de la forêt en quête de rapine…

Il n’avait pas entièrement tort. En parvenant à garder un calme apparent malgré la machette suspendue au-dessus de son rejeton, il était parvenu à expliquer à l’autre le fonctionnement de son service basé sur des échanges de chèques et de virements.  Il avait bien sûr remis ses  espèces personnelles au pirate compréhensif et la horde s’était évanouie dans la brousse  en quête de valeurs plus trébuchantes lors d’une prochaine escale…

L’alerte avait néanmoins été sévère. Le complexe avait besoin de toute urgence d’une équipe de sécurité correctement formée…

Marc serait chef de mission cette fois. A ses côtés, «Jean Michel». Guère d’imagination manifestement dans le milieu, concernant ces noms de code ! Pas d’Abraham, ni de Modestine dans les circuits ! Sauf qu’en l’occurrence, le soi-disant Jean-Michel est ancien plongeur de combat lui aussi, membre actif de la confrérie des sabreurs de magnum du « Taravana ». Autant dire une vieille et heureuse connaissance. Marc lui a fait passer ses niveaux à l’EPAT, avant que le désormais Jean Michel ne soit envoyé chez les « wallabies » bricoler sous la coque du Rainbow Warrior…

Les irremplaçables Gaston et Olivier en seront aussi… le monde des forces spéciales est encore plus petit que tous les autres !!!

Le groupe de Marc est logé dans un petit hôtel restaurant sur une plage de sable noir. Les palaces d’Arabie saoudite sont très loin… D’autant qu’on est en pleine saison des pluies et qu’il vase 18h par jour ! Mais le petit personnel est charmant … Vilains colonisateurs !!!

La formation pose peu de problèmes, l’équipe est rodée. Quelques aménagements spécifiques ; sorties de nuit avec matériel infrarouge, formation anti-manifestation, montée et descente en rappel sur les cuves de pétrole et les tours.  Rondes de nuit croisées, etc... Le seul problème rencontré fut « Mamy Wata »… Un problème de taille toutefois, puisque sur les trente-cinq types en maillot de bain réunis sur la plage voisine, pas un ne voulait mettre un pied dans l’eau ! Renseignement pris, la principale responsable est donc « Mamy Wata », une créature marine, proche de nos sirènes qui attire les hommes sous l’eau et ne les rend jamais ! C’est fort ennuyeux car la raffinerie est au bord des quais. Outre que l’accès côté mer doit être contrôlé, un employé tombé à l’eau par accident doit pouvoir être récupéré aussitôt par les membres du staff sécurité.

Heureusement les africains sont fondus dingues du foot. Quelques parties sur la plage ; Revanche les pieds dans l’eau ;  Eau à la ceinture pour la Belle et water-polo pour finir la semaine en beauté à l’abri des cordes de rappel tendues dans l’eau par Olivier et Gaston pour dissuader Mamy Wata d’intervenir dans la partie… Mais manifestement Mamy Wata n’est pas venue cette année. Profitons-en !

Quelques virées jusqu’à Douala avec nos deux voitures de service. Javas endiablées dans les discothèques de la côte. Marc a un peu dépassé la limite d’âge sur ce plan-là aussi, mais il veille sur sa troupe… Attention Sida ! Soufflé n’est pas joué !

Arrivent enfin les tests finaux de leurs « étudiants ». Mission accomplie. Chaleureux remerciements du directeur de la raffinerie. Retour à Paris. Débriefing à l’Isle Saint Germain. Les années quatre-vingt sont passées !

Mars 1990, ce n’est pas le bureau de l’Isle saint Germain qui rappelle Marc, mais le capitaine B. , lui-même. Il affiche d’emblée la couleur :

-          Salut Marc, tes vacances se sont bien passées ? Pas le temps pour Michel de dire ni oui, ni non, ni bof ! B. enchaîne. «  Une petite Lily va te rendre visite dans le sud. Elle est charmante, tu verras. Tu seras sa protection et son support. Elle t’expliquera le topo elle-même. Je laisse le bureau s’occuper des détails pour la rencontre. Ce sera pour la fin de semaine. C’est une mission importante pour la boite, Marc. C’est pour ça que je t’ai ai choisi comme support. Bonne chance ! »

Le rendez-vous est à Hyères, le samedi suivant sur le parking du Casino au centre-ville. Marc redevient Michel. Il est trop connu sur la presqu’île, directeur de plongée oblige. Les plus belles épaves antiques de la côte sont dans les environs immédiats. Port saint-Pierre, le nouveau port de plaisance de Hyères étant construit à proximité des ruines du port romain d’Olbia .

A l’heure dite, Michel est au volant de sa voiture, stationnée à la limite du halo de lumière  distillé par le fronton du Casino municipal. Les vitres avant sont ouvertes. Une silhouette élégante se dirige vers lui, blonde, pas très grande. Premier contact par la vitre passager : «Michel ?» ; «Lily? » Tout va bien… Lily est en effet une jeune femme très séduisante, la quarantaine sportive. Elle arrive de Paris mais a déjà adopté le look local, jean et bandeau dans les cheveux. Le topo de la mission est concis. Lily parle vite, mais c’est précis et efficace.

De fait la mission est simple à décrire, délicate à réaliser sans bavure. Un individu hautement suspect et potentiellement dangereux a pris ses quartiers dans un hôtel de luxe de la région. Il faut collecter un maximum d’informations  sur lui et ses contacts, avoir accès à un maximum de documents. Lily logera dans le même hôtel que la cible. Michel dans un hôtel voisin, plus modeste. Il sera son support sur place, sa protection rapprochée si les choses venaient à mal tourner. En attendant il rodera dans l’ombre à proximité immédiate. Chaque semaine, l’un ou l’autre passe par Marseille pour rendre compte, communiquer en main propre les photos des contacts et les copies de documents quand la moisson a été bonne.

C’est souvent le capitaine B. en personne qu’ils rencontrent. Décidément cette mission semble lui tenir à cœur. Une fois, ils vont à Marseille ensemble et B. n’hésite pas à leur avouer qu’ils forment « un très gentil petit couple ». Bien sûr, le capitaine plaisante ; ce genre de mission « serrée » supporte mal le badinage, ils en sont les premiers avertis.

La mission dure un mois et demi et les résultats s’avèrent excellents au dire du commanditaire.  Pour le « gentil petit couple »,  les adieux approchent à grand pas. Pourtant, il reste une petite somme sur le budget alloué à la mission. Pour Lily, la tension a été forte ces dernières semaines. Le capitaine B. est reparti en Afrique assister dans la peine un président qui a de nouveaux problèmes (qui n’en n’a pas de nos jours ?). Personne au bureau ne voit d’inconvénient à ce que ce reliquat soit dépensé le plus honnêtement possible… Lily et Michel prolonge donc d’une semaine leur séjour sur place à l’hôtel des pins, au bout de la presqu’île. Vue sur le Grand Ribaud, la jaune Garde et la grande passe balayée par les coups de vents d’Est et de Mistral qui se succèdent avant l’été. Intermède hors champs qui restera leur secret, avant que Lily ne rejoigne le printemps parisien et Michel son copain maraîcher, chasseur d’épaves à l’occasion.  Passent ainsi la saison estivale, l’été indien et même les fêtes de fin d’année avant qu’un appel de Paris ne revienne déranger les poissons… Mais ce n’est que « Bernard », le recruteur maison de passage au bureau de l’Isle Saint Germain, qui l’appelle en copain….

-          Comment tu vas camarade ? Tiens je te passe quelqu’un….

Michel reconnaît instantanément la voix de Lily

-          Salut mon Loulou ! Tu comptes passer par Paname un de ces quatre ?

-        Ouais, justement, j’y pensais. En fait je pensais même partir demain matin...


                                                          FIN DE L'EPISODE