Épisode 63 : Quand souffle le Maramu

Bon, j’espère que vous vous rappelez encore de cette virée sur Fakarava ?

Donc ce soir-là, après la messe du dimanche soir aux côtés des quelques grenouilles de bénitier du quartier, suivie d’une copieuse assiette de thon blanc en dés, marinés dans du jus de citron et du lait de coco à la gargote du port, mon équipage est rentré à bord, courbatu, repus et confiant dans l’avenir….

A bord d’un rafiot, vous le savez déjà, *l’avenir est fortement conditionné par la météo du lendemain… L’annexe à peine amarrée au cul de ma jupe tribord, nous voilà donc en train de déplier nos antennes sur les satellites les plus proches….

NNE 15 nœuds… l’idéal pour notre programme de demain avec Francesco ! Je ne sais pas si vous en rappelez aussi ? Après tout vous avez aussi d’autres soucis ! Il s’agit de descendre à la voile par le chenal, à l’intérieur du lagon donc, dans les traces de Francesco qui est un pratique du coin…

L’affaire s’annonce donc sous les meilleurs augures…  Quand soudain, un bruit de hors-bord vient mourir derrière mes jupes… ça, c’est une visite !

C’est justement Francesco. Il vient nous avertir que leur programme du lendemain est reporté… Ses clients préfèrent faire une seconde plongée sur place le lendemain. La descente vers le sud, et le site de kite-surf d’Adrien et Aline est donc reporté de 24 heures... «  OK, on se tient au courant - canal 67 »

Au lieu d’aller retrouver sa bannette après cette journée bien remplie, voilà mon Capitaine replongé dans ses cartes…  Cette fenêtre de NNE va durer environ 24 heures, comme celle qui nous a amené de Rangiroa jusqu’ici, l’avant-veille. Pas question de la regarder passer comme des ruminants parqués derrière leurs barbelés ! En cette saison d’alizés, il y en a à peine une par mois ! Alors deux dans la semaine, ça laisse amplement présager qu’il n’y en aura plus d’ici un bail  !!!

Elle s’ouvre cette nuit, cette fenêtre. Autant dire qu’en appareillant à l’aube, on n’en manquera pas grand-chose.

Bon, est-ce qu’on a les provisions nécessaires pour plusieurs jours, au cas où les dieux nous seraient favorables et que cette courte fenêtre soit suivie d’une configuration exploitable. Vous voyez ce que je veux dire ? Certes, demain on met le cap plein SE, mais si dans la foulée on peut continuer à l’Est ou au Sud, on est preneur ! y’a que si le zef revient entre l’Est et le SE qui sont les vents dominants à cette saison, qu’on devra chercher un abri, sympa si possible…

Ben, il s’avère que non. Question provisions, il nous manque de l’essence pour le hors-bord, des fruits et des légumes pour le patron qu’est devenu herbivore, sans compter que le stock de ces granulés dont le mousse bouffe quasiment l’équivalent de son poids chaque jour est au plus bas… Un vrai phénomène, celui-là ! Or c’est pas de sitôt qu’on va retrouver une station d’essence adossé à une supérette carrément sur le quai comme ici !

Cette fois on a toutes les cartes en main ! Lever 6h30 / petit dej /préparation du bateau / aller et retour jusqu’à la station-superette dès l’ouverture à 7h30 / sans oublier la liaison VHF avec Francesco pour l’avertir qu’on met les bouts.

Pas d’anicroches. A huit heures pétantes, le lendemain, j’aperçois l’annexe qui ressort du petit port. J’espère qu’ils ont tout trouvé ? De mon côté, je suis paré. Pas fâché de partir en balade !

abri du village de Rotoava (FAKARAVA)

On a une heure au portant jusqu’à la passe. De ce côté-là, le chenal est large. Le  vent souffle déjà à plus de vingt nœuds et du coup, mon génois suffira pour nous amener jusqu’à la passe sans trop de manœuvres. Pour le moment c’est encore du NE, mais ça devrait adonner dans la journée.

Dans la passe, on sera quasiment en fin de marée montante. Ce sera beaucoup mieux qu’à l’arrivée où on s’est retrouvé à culer au beau milieu de la passe en plein jusant avec mes deux moteurs à fond ! Il a fallu se laisser glisser en crabe vers la bouée d’entrée qui marque les hauts-fonds jusqu’à trouver des fonds de 5 mètres pour recommencer à avancer tout doucement… Toujours avec les deux moulins au taquet ! Inutile de vous dire que des photos, on n’ en a pas à vous montrer ! Vu que ça dansait pire qu’à la fête foraine et qu’on avait le cul beaucoup trop serré pour seulement songer à prendre des photos  !!!

Bon là, comme prévu, cette fois ça se passe très bien. On a maintenant une bonne heure de moteur bout au vent le long de l’atoll jusqu’au phare de la pointe nord-est de Fakarava. Pas question de finasser, on a déjà pris assez de retard comme ça sur ce bon vent !

Phare NE Fakarava

Et là on ouvre en grand ! On est plein travers, ça ira très bien pour commencer !

Au coucher du soleil, pas encore de terre en vue ! Pourtant le mousse guette…

Au petit matin par contre, l’atoll de Katiu est en vue. Le vent a bien adonné comme prévu, on va pouvoir le longer avant de continuer plein Est vers l’atoll de Makemo, dont Francesco nous a vanté les mérites.

C’est l’affaire de la journée. Makemo a une passe dans sa cote nord devant laquelle on sera vers midi, cependant le village dont nous a parlé Francesco est derrière la passe sud-est. Mais pas de problème on  y sera avant le couchant, sans se presser… De toute façon pas question de se retrouver dans la passe en plein jusant comme l’autre jour…

La marée basse est à 18h30 et à cette heure-là nuit sera tombée. il faudra rentrer un peu avant et on n’échappera donc pas au courant sortant, mais au moins peut-on espérer qu’il sera plus maniable à l’approche de l’étale.

Aux abords de la passe nord, le vent a déjà bien faibli et c’est péniblement qu’on va doubler le pointe nord de l’atoll, avant de pouvoir retrouver du portant pour longer sa côte Est.

atoll Makemo - côte nord

Il était temps ! Derrière la pointe en question, il n’y a plus qu’un simple zéphir. Bon, c’est vrai qu’avec cette histoire de marée, on n’est pas pressés… Nous voilà donc, grand-voile affalée, à lambiner  derrière mon grand génois qui se gonfle et se dégonfle au gré de la houle… Mais on avance ! Un nœud ou deux ; ça suffira bien.

18H00. Ca y est on rentre. Il y a encore pas mal de courant, mais la  passe est large et il n’y a plus un pet d’air.

passe Est de Makemo

Effectivement ça parait très chouette, sauvage et «lointain». Je veux dire par là, éloigné de tout le business plongée et RBNB qu’on a côtoyé dans d’autres atolls.

Il y a une immense jetée qui s’avance vers l’intérieur du lagon et paraît même démesurée en rapport de la taille du village. Mais comme on va le voir bientôt, elle va bien nous tirer d’affaire….

Pour l’heure, le temps de la contourner et de mouiller ma pioche derrière, la nuit tombe déjà. C’est l’heure des doigts de pied en éventail et de l’apéro !

Sauf que le patron, non content d’être devenu herbivore sur le conseil d’un de ses voisins de mouillage à Rangiroa qui était aussi le toubib du dispensaire, est devenu abstinent… J’irai jusqu’à dire dommage…. Il est plutôt marrant quand il a un coup dans l’aile, le patron ! Certes, pas autant qu’Haddock, mais marrant quand même ! Bon, pas à la mer, bien sûr ! Ça, je suis très strict là-dessus, je vous l’ai déjà dit ! Et pour cause, la plupart des rafiots qui se foutent au sec, c’est des histoires de pitaines bourrés !

En tout cas, j’ai bien l’air d’être le seul « touriste » dans ce joli petit coin ; pas le moindre collègue à l’horizon !

mouillage Pouheva (atoll Makemo)

Au beau milieu de la nuit, on entend le zef se lever… C’était prévu. C’est même pour ça que mon capitaine a décidé de s’arrêter là. Les voilà sur le pont tous les deux. Mon capitaine devant, Mandarine derrière, soucieuse elle aussi de voir de quoi il retourne…

Le vent s’est levé d’un seul coup, il souffle du SSE ; c’est signé et contresigné, c’est Maramu !

Le truc qu’il avait pas calculé, mon capitaine, c’est que si cette immense jetée, derrière laquelle on a mouillé ma pioche, est très rassurante, elle a été construite face aux vents dominants qui oscillent entre l’est et le sud-est. Mais Maramu, lui est un vent du sud qui vient de loin et ne plaisante pas le moins du monde… C’est vrai aussi qu’on est dans un lagon fermé ; et qu’il est plus étroit que celui ceux de Rangiroa ou Fakarava. N’empêche ! Une heure plus tard on danse déjà comme des malheureux sur un sacré clapot….

Bon l’ancre tient bon. C’est l’essentiel ! on donne au guindeau les dix mètres de chaine qui restent et chacun retourne à sa banette…

Le lendemain matin, vu la situation, mon capitaine décide de se faire un café… pour la première fois depuis des mois ! Fini la tisane au réglisse prescrite par la pharmacienne… Faut pas déconner non plus ! Pas que je sois dans une situation critique, loin de là. Je suis à l’intérieur du lagon ; les platiers qui encadrent la passe nous protègent quand même partiellement ; l’ancre tient bon. Non, c’est plutôt que le patron voit bien que ça va être coton de mettre l’annexe à l’eau, et encore plus de remonter avec contre le vent jusqu’à la jetée…

Bon, ben dans ces conditions, on va rester ensemble pour aujourd’hui ! Admirer le paysage… C’est vrai que c’est un spectacle de choix, ce soleil qui se lève sur le lagon blanc d’écume, cette lumière crue chargée d’embruns… Moi, je vais écrire un épisode, le patron va bricoler ou prendre un bouquin et Mandarine va continuer ses cabrioles à l’intérieur !

Et c’est bien comme ça que la journée se passe, dans la bonne entente, on va dire et sans que personne ne râle outre mesure…. Pourtant y pelle ! On a même fermé les écoutilles ! Il vient pas du sud pour rien Maramu !

Pas de changement pendant la nuit suivante. On danse toujours allègrement mais ça reste vivable.

Au matin, voilà qu’il se met à pleuvoir. Assez dru même, un bon grain quoi ! Ça, ça peut changer la donne…

De fait, le vent faiblit rapidement. Est-ce que le patron va mettre l’annexe à l’eau ? Je vois bien qu’il se tâte et que Mandarine est déjà dans les starting-block….

Au lieu de ça, il démarre les deux moteurs. Qu’est-ce qu’il mijote ? Il commence à sortir pare-battages et amarres et à installer le tout sur tribord en vitesse….

Un simple coup d’œil devant me suffit à percer ses intentions…. L’extrémité de la jetée se referme en « L ». Oh, c’est l’histoire d’une vingtaine de mètres, justement de quoi caser mes 14 mètres en laissant quand même un peu de marge dans la manœuvre. Et c’est vrai que là on serait parfaitement à l’abri du clapot avec en plus très peu de fardage car le quai est assez haut.

Quand même ça va être très rock & roll d’accoster là-bas… il n’y a strictement personne par ce temps au bout de cette jetée qui fait au moins trois cents mètres de long. Pas le moindre pêcheur à la ligne prêt à quitter son pliant deux minutes pour prendre nos amarres comme ça arrive souvent. Et surtout faut drôlement se magner le train, vu que le grain va pas durer des plombes !

Des fois je discute quand je le vois partir sur des plans à l’arrache dans ce genre-là, Tonton. Mais là, ça servirait à rien, je vois bien que sa décision est prise…  Ça ferait que faire perdre du temps. Or justement, faut se grouiller pour profiter de l’accalmie. Après ce sera trop tard…

Pour l’heure, faut que je donne mon max, on discutera après !

Eh ben figurerez-vous qu’on s’en sort pas si mal, du premier coup en plus ! Et là vraiment on est bien. Mieux que ça même après la java qu’on se cogne depuis plus de 24H ! Bon, on va voir ce que ça va donner quand le vent va reprendre, une fois le grain passé. Mais ça devrait aller à mon avis, puisque le vent va nous écarter du quai. En prévision, le vieux triple l’amarrage, rajoute des gardes ici et là et règle le tout pour qu’on soit à un bon mètre du quai.

Celui qui nous fait bien marrer, c’est le mousse ! Il a sauté à terre à la première occasion pendant que le patron réglait l’amarrage, dès que ma pointe avant s’est approchée suffisamment du quai. Un vrai miracle qu’il se soit pas foutu à la baille, vu qu’il marche en crabe, le lascar ! Un bon vieux mal de terre lui a vrillé la boussole, on dirait bien !!!

Voilà. Moins d’un quart d’heure plus tard, le zef est de retour ; 30 bons nœuds de nouveau. Je rappelle de l’avant  sur mes deux amarres de pointe. Tout baigne. Par contre le vent nous tient fermement à un bon mètre du quai et plus moyen de descendre le vélo ! Fallait y penser avant, coco !

Pour aujourd’hui ce sera donc un tour du village à pince !

Une mention spéciale pour le presbytère que bien des curés pourraient envier si l'envie n'était pas un des sept péchés capitaux , et pour la guimbarde de l'heureux élu que bien des amateurs de stock-car pourraient envier à leur tour !!!

                                                         Fin de l'épisode