"Rue de la femme morte" (roman)

Couverture : design Maryline Foucaut

Auteurs : Marie Totévi et Cap'tain Philip

Sortie : le 14 Mars 2022 aux éditions Traboule (591 pages)

Une nouvelle édition est sortie chez BoD en mai 2022 (492 pages)

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Pas d'histoires de bateaux cette fois, ou peu et relativement confortables sur des cargos de 8300 tonnes minimum, ce qui réduit significativement roulis autant que tangage... Forcément moins dans les tempêtes desquelles mon capitaine n'est pas plus à l'abri qu'un autre...

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Synopsis Rue de la femme morte :

Jeff, ancien marin de commerce, assiste sans pouvoir intervenir au suicide d’un travesti qu’il connaît de longue date. La situation lui paraît tellement inextricable qu’il préfère prendre le large avant que la police ne s'intéresse à lui. C'est donc chez sa femme, Esther que l'on s'attend à voir débarquer les enquêteurs. C'est pourtant un autre personnage qui frappe à la porte d'Esther, providentiel. À la fois troublée et intriguée par cette rencontre, la jeune femme parviendra à collecter suffisamment d'éléments pour remonter le courant de la vie de Jeff qu'elle croyait pourtant connaître aussi bien qu'elle-même.

Et comme un malheur n’arrive jamais seul, au cours de sa cavale, Jeff se trouve mêlé à une autre disparition sordide. Il est cette fois aspiré dans une spirale de violence dont les instigateurs ne sortiront pas indemnes.

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LIRE LES PREMIERES PAGES :

AHMED


Hyères, lundi 2 décembre 1982 – 06h 45 –

Ahmed progresse péniblement contre le vent. Sa tête est serrée dans la capuche d’un parka kaki. Il n’est plus loin de sept heures, mais l’aube n’est pas encore là. Le pédalier de sa vieille mobylette, dont le moteur a rendu l’âme quelques jours plus tôt, grince sauvagement.

Il arrive au transformateur, tourne à droite entre deux fossés qu’il sait profonds sous l’enchevêtrement de ronces. Tous les jours, sauf le dimanche, depuis des années, Ahmed emprunte le même chemin jusqu’à l’exploitation horticole de ses patrons.

La lune est pleine, orangée, comme injectée de sang, tel un gros œil fatigué. Déformée par l’humidité qui stagne au sol, elle s’empale pesamment sur la silhouette massive d’un tronc centenaire fendu par la foudre. Certaines des serres éparses de chaque côté de la route reflètent ses rayons rasants. Ahmed regarde machinalement par terre, car sa roue avant vient de rouler sur un objet mou. C’est un portefeuille sombre. Il s’arrête, le ramasse et le glisse dans l’une des poches de son parka.

À l’approche de l’arbre mort, il distingue une forme blanche au-delà du talus hirsute. Sans doute un sac d’engrais vide parmi les centaines qui traînent autour des serres. Après le vieux tronc, comme chaque fois que le mistral souffle, des grincements déchirants font soudain écho à ceux de son pédalier fatigué. La chaîne enroulée autour d’une grosse serrure hors d’usage n’empêche pas les deux battants d’un vieux portail rouillé, envahi par le lierre, de jouer sur leurs gonds.

Ahmed arrête de pédaler, met pied à terre, écoute. Il pose son engin contre cette grille qu’il n’a jamais vue ouverte, puis revient à pied jusqu’à l’arbre mort. Un sac vide coincé là aurait battu au vent d’un claquement sec, caractéristique, qu’Ahmed qui en a manipulé des milliers reconnaîtrait entre cent autres bruits.

Avant même de sauter le fossé, Ahmed a compris que ce n’est pas un sac, même plein... Il avance de quelques pas, hésite à faire les deux derniers qui lui permettraient de voir le visage de la femme... S’enfuit en courant, ressaute le fossé, force l’allure jusqu’à sa mobylette, l’enfourche et pédale sans s’arrêter jusqu’au portail de ses patrons, au-delà du passage à niveau.

Son pouls a d’abord battu très vite sans qu’aucune image autre que celle de cette forme allongée, représentée à l’infini sous des angles divers comme dans des jeux de glaces, ne parvienne pleinement à sa conscience. Ensuite, avec le calme, d’autres images sont venues… Celle du blouson blanc, de la minijupe en peau et des bas clairs découpant une silhouette mince dans la nuit ; puis cette même silhouette courant maladroitement le long du talus, trébuchant à chaque pas sur ses bottines à hauts talons dans la lumière des phares qui remontent lentement vers elle. Celle encore de la forme blanche jetée à terre par un homme, deux, plusieurs ? Bâillonnée, puis violée ou au contraire déjà morte et balancée derrière le talus comme le vulgaire sac qu’il avait cru apercevoir d’abord… Série de flashs qui se bousculent sans cohérence depuis son court arrêt sous l’arbre mort qu'il a déjà décidé de garder pour lui…

Vers midi, alors qu’il revient ranger ses outils dans l’atelier, Ahmed entend son patron et Gilles Léotard, un voisin, commenter avec animation la découverte du cadavre contre une serre de ce dernier. Ahmed s’approche pour saluer Léotard, écoute un instant, puis se dirige vers le hangar où il remise chaque jour sa mobylette.

Ahmed n’a pas changé d’avis. Il n’a pas parlé de son court arrêt près du vieux tronc et si aucune circonstance ne l’y oblige, il n’en parlera pas. C’est un autre maghrébin employé par Léotard qui a découvert le corps vers huit heures du matin.

Alors qu’il pousse son vieux clou vers la porte, Ahmed saisit encore quelques bribes de phrases... « elle avait vraiment une drôle de touche, le genre pute, mais plutôt classe... Elle n’avait qu’une petite blessure au-dessus de l’oreille qui n’avait pas beaucoup saigné... J’ai entendu les flics dire que c’était un travelo. Apparemment, ils n’ont trouvé aucun papier sur lui ! »

Ahmed ne sort le portefeuille que lorsqu’il se sent à l’abri dans le petit logement qu’il partage avec un cousin à la Moutonne. Il en extrait six cents francs, quelques milliers de lires, d’autres billets qu’il ne connaît pas et des papiers d’identité. Son regard s’attarde sur l’adresse dans le vieux Hyères, puis sur le permis de conduire délivré à Fort-de-France quatre ans plus tôt...

C’est celui de Jeff.

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JEFF

Dix-huit jours plus tard… Bruxelles, vendredi 20 décembre – 01H45 –

Jeff est assis au volant d’une Ford Sierra bleu nuit. La voiture stationne en face du restaurant dont le petit teigneux, gérant du « SCOTCH », un bar de nuit de Boulogne, a fini par lui lâcher le nom la veille au soir, à Paris. Une partie des lumières vient de s’éteindre à l’intérieur de l’établissement. Jeff baisse à moitié sa vitre. Deux types sortent. Leur conversation semble assez animée. Ils parlent flamand. Jeff reconnaît aussitôt l’édenté qui achève de sangler la ceinture d’une gabardine claire en descendant du trottoir. Pour l’autre, Jeff a un doute… Plus trapu, col relevé et chapeau rabattu, celui-là s’éloigne aussitôt vers une voiture en stationnement.

Ils étaient trois, accoudés au zinc du Noctambule, rue du Temple, au cœur du marais, lorsqu’il s’y était abrité avec Pascal onze nuits plus tôt… L’édenté, là, dans sa ligne de mire, le ricaneur, plus baraqué, qui pourrait bien être ce type qui vient de sortir du restaurant avec l’édenté ; enfin le petit teigneux qui l’a mis sur la piste des deux premiers la veille.

Pourtant l’inconnu qui déverrouille la portière d’une Rover bordeaux lui paraît sensiblement plus grand que le ricaneur… Ou n’est-ce qu’une impression liée au lourd pardessus ?

L’édenté s’est avancé sur la chaussée pour héler un taxi. Jeff décide de commencer par lui. Celui-là doit payer cher et vite…

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