Nous voilà donc rentrés à Port Phaéton ! Mon port d'attache en Polynésie. Géraldine, Etienne, le patron et moi.

On est de retour de Manihi, si vous vous rappelez, quasiment dans les temps puisque c'est demain matin qu'Yvan, le grutier de la marina de Taravao me sort de l'eau pour que “l'expert” puisse mater mes dessous... (inspecter mes œuvres vives en termes d'expert).

Globalement ça se passe pas si mal que ça. Le gars trouve forcement quelques trucs à objecter par-ci, par-là... Forcement faut bien qu'il vende son baratin, le gars, non ? Que Yann, mon futur patron ait au moins l'impression d'en avoir pour son pognon !

Finalement au lieu de me remettre à l'eau dans la foulée, une fois que l'expert a fait son petit tour et son petit baratin, Yvan accepte de me laisser sur la remorque jusqu'au lendemain matin, puisqu'il ferme sa boutique pour les fêtes le lendemain midi et qu'il n'a pas d'autre bateau à tirer. Du coup c'est le branle-bas... Yann, mon futur patron, donc, mobilise large, sa femme, sa fille, son fils et file avec Tonton chez le shipchandler acheter une grosse moque d'antifouling pendant que les acolytes d'Yvan passe le karcher. De leur côté Géraldine et Etienne se mettent en tenue de peintre... Et c'est parti jusqu'à la nuit ! Ça grouille de l'avant à l'arrière de mes coques et de mes quillons...

Du coup le lendemain repos. Mais le surlendemain c'est le départ ! Figurez-vous que pour Yann c'est le baptême... Je suis son premier voilier ! On part du coup pour une semaine de formation express, Yann, Tonton et Géraldine puisqu'Etienne, lui, prend l'avion le lendemain pour fêter Noël avec sa chérie en Bretagne.

Le plan de Tonton c'est d'aller jusqu'à Maupiti, la plus à l'ouest et aussi la plus petite des îles sous le vent. Depuis le temps qu'il m'en parle de Maupiti Tonton, vous pensez bien que je m'y attendais...

De Tahiti aux îles sous le vent

Pas mal de zef au départ le long de la barrière de Tahiti nui qu'on doit longer sur une quinzaine de milles, mais je suis au portant pas de soucis. Pas mal de manœuvres aussi, histoire de former mon nouveau patron puisque somme toute on est là pour ça !

Une fois au large, le vent tombe à une douzaine de nœuds et évidemment au portant c'est plus que juste pour filer bon train... Du coup, le vieux doit revoir ses prétentions à la baisse ! On ne pourra pas aller tourner la perche à Maupiti comme il en rêvait, Il faudra se contenter de Raiatea et Tahaa...

Bon, c'est déjà une belle ballade ! D'autant que les îles sous le vent, nous, on connaît pas encore le patron et moi !

Raiatea

C'est donc le lendemain dans l'après-midi qu'on se présente devant la passe Est de Raiatea... Bon Raiatea, c'est pas aussi "coté" que Bora-Bora, mais quand même... C'est "fléché" ! Donc la passe franchie, je suis sensé "virer" à droite vers le mouillage conseillé aux yachts... Je vire donc...

Je me faufile ensuite entre les bouées rouges et vertes... "tricot vert et bas si rouge". Si ça vous dit trop rien, mieux vaut continuer à boire l'apéro à quai... ça vous évitera de vous foutre au sec comme mon capitaine à Rodrigues, le jour où il est sorti de l'hosto avec une méchante piquouse de calmant dans le derrière ! Mais je vous ai déjà raconté ( épisode 16) ! Bon toujours est-il qu'on se retrouve à longer une marina tirée à quatre épingles... Je longe donc , mais c'est pour me retrouver devant un autre "fléchage" qui conduit vers un "parking" vert émeraude où sont stationnés au cordeau une douzaine de multicoques estampillés "dream yacht"...

Demi-tour ! Et sans traîner, vous imaginez bien ! Je redescends donc le lagon vers le sud à la recherche d'un truc qu'on finit par trouver sous la forme d'une profonde échancrure dans le relief de l'île. Comme dans un fjord, je m'enfonce entre deux versants abrupts, couverts de cette végétation généreuse et sauvage avec seulement quelques maisons de pêcheurs au bord de l'eau de place en place.

entrée baie de Fararoa / Raiatea

J'ai beau m'avancer, un mille, deux milles, trois milles, j'ai toujours plus de 30 mètres sous mes quillons...

On arrive enfin au fond de cet abri atypique et il faut que le vieux m'avance prudemment jusqu'à moins de 100 mètres du bord pour trouver un fond d'une douzaine de mètres pour mouiller ma pioche.

Le guide de Géraldine dit que la rivière qui se jette là peut se remonter en annexe jusqu'à un "magnifique" jardin botanique...

La tentation est forte ! En plus, il est à peine plus de 16 h... Voilà donc mes deux patrons partis à l'aventure... Ils ont déjà disparu dans la première boucle de la rivière aux yeux de Géraldine qui a préféré rester à bord. Très mauvais choix d'après les deux compères qui sont revenus très enthousiastes à la tombée de la nuit...

Ils n'ont pas vu le jardin botanique mais au beau milieu de la rivière, ils ont rencontré André... Cette rivière, ils nous la décrivent par le menu... La rivière indienne, à les entendre ! Elle méandre à qui mieux mieux sous les bambous couchés sur l'eau, les frondaisons enchevêtrées et les entrelacs de lianes...

Ce qu'il en a dit, André, du jardin botanique : " Bah, y'a que des fleurs ".

Évidemment, il faut un peu mieux connaître André pour apprécier ce jugement à l'emporte-pièce à sa juste valeur...

Donc, la pirogue d'André était au bord de la rivière amarrée à un cocotier penché sur l'eau. André occupé à la remplir de cocos, a cependant interpellé les patrons. Il allait les guider jusqu'à sa bananeraie en amont...

C'était assez loin en amont en effet et le guide n'était pas de trop, en particulier à cause des longues branches qui s'avançaient traitreusement sous la surface jusqu'au milieu de la rivière...

Arrivés à bon port, la visite a commencé... En fait de bananeraie, le domaine d'André, c'est un immense verger de plusieurs hectares mais pas que...

Au départ, André nous a présenté le totem géant confectionné par l'équipe de Ko Lanta... Eh oui , vous avez bien lu ! Les producteurs de la célèbre émission de télé-réalité ont été inspirés par l'endroit et y ont passé deux semaines il y a quelques années !

totem ko Lanta

André a créé le totem et l'immense table en bois où mangeait toute l'équipe. Loin de dormir sur ses lauriers ko-lantais, André cultive à tout va à peu près tout ce qui se mange sous les tropiques... légumes et fruits confondus ! Côté fruits, bananes de toutes espèces, papayes, jamblons, goyaves, corossols, arbre à cacao, caféier, pommes Cythère, fruits à pains, citrons, oranges, pamplemousses, mangues et avocats de variétés diverses, sans parler des longues lignes d'ananas tirées au cordeau ; côté légumes : haricots, patates douces, tarauds, courges, potiron, manioc, aubergines, tomates, petsaï et brèdes de toutes variétés... Le plus impressionnant résidant non tant dans cette variété incroyable justement, mais dans les surfaces cultivées ! Parce qu'André vit et travaille seul sur ces terrains où ses parents et Ancêtres travaillaient évidemment en famille, traditionnellement nombreuse qui plus est ! Mais André, lui, est parti très jeune à la guerre (comprenez à l'armée, là-bas en métropole) et quand il est revenu sur son île à 45 ans, il n'y avait plus personne et tout était en friche. ..

le " domaine d'André "

Au lieu de commencer par chercher femme et enfants, André s'est mis au boulot sur le champ. Seul. Sa houe, sa bêche, son sécateur, sa barre à mine et sa pirogue... Comme il était seul à exploiter les bords de la rivière indienne, il s'est même mis à exploiter le coprah. Il récolte donc les cocos tout le long de la rivière avec sa pirogue et extrait la pulpe au pied d'un gigantesque tas de noix ouvertes balancées les unes sur les autres au fil des années au pied du totem !

Seul, pas complètement donc puisqu'un beau jour, les pelleteuses sont arrivées avec une armée de jardiniers sur l'autre côté de la rivière pour "cultiver des fleurs" comme dit André en haussant les épaules...

Les voilà donc de retour les deux patrons , chargés comme des mules de lourdes papayes, volumineux avocats et régime de bananes entier... Au départ l'idée d'André, c'était de leur vendre des bananes aux patrons, mais comme ni l'un ni l'autre n'avait pris son baise en ville pour s'enfoncer dans la forêt, André a dit : oh là là, c'est pas grave ! Et il les a chargés ras la barque de sa production généreuse !

Le lendemain matin, Géraldine, passionnée de botanique est de la balade... Ils remontent cette fois la rivière jusqu'au jardin botanique qui est lui aussi magnifique et très documenté mais n'offre en effet que la variété de ses fleurs au visiteur . De ce point de vue, André a raison ! Au retour on croise heureusement la pirogue d'André en train de faire le plein de cocos un peu en aval de la veille. Les présentations de rigueur s'échangent et cette fois le vieux a son porte-monnaie dans la poche et mes trois passagers peuvent s'acquitter d'une généreuse obole en retour des somptueux présents de la veille.

La nuit s'écoule dans une quiétude inégalable jusqu'à l'heure du café. Puis c'est l'heure de lever l'ancre pour Tahaa... Curieusement, Raiatea et Tahaa sont dans un même lagon qui a la forme d'un diabolo. Mon capitaine choisit pourtant de  ressortir en mer par la passe la plus proche pour reprendre une passe face à la baie que nous visons sur la côte Est de Tahaa, histoire de faire quelques manœuvres en plus, j'imagine, puisque mon futur patron est justement là pour manœuvrer !

Bref, je vous passe ces détails et j'en viens au magnifique mouillage que le patron m'a trouvé... C'est au fond d'une baie étroite et profonde, comme à Raiatea, mais cette fois en face d'un petit village, Haamene.

Une nouvelle fois, mes deux gaillards reviennent à bord sacrément enthousiastes... " C'est la Polynésie dont me parlait mon vieux quand j'étais gamin" dit l'un ; "rien n'a changé depuis que je suis venu ici, quand j'étais ado" renchérit l'autre.

De fait, la petite mairie au bord du quai est en effervescence... La moitié du village est sur la brèche pour participer aux décorations de Noël. Autant de main d'œuvre en face pour pendre les guirlandes de la criée et de la bibliothèque qui voisinent sans complexe. Tout ce beau monde a le cœur en fête et nous accueille comme les rois mages ou presque puisque nous semblons bien être les seuls visiteurs.

La nuit est à nouveau d'une quiétude magnifique au fond de cette petite baie. Ce serait vraiment l'endroit idéal pour passer un Noël mémorable au sein de cette petite communauté de gens tout simplement heureux... Moi, de mon côté, j'aurais été peinard à souhait !

mouillage Haamene

Mais Yann, doit être rentré à Tahiti le 23 pour l'anniversaire de sa grande sœur.

Tôt le matin mon Capitaine et Géraldine partent à l'assaut du col qui sépare les deux bassins versants. La route redescend ensuite vers l'autre village de l'île, Harepiti.

baie d'Harepiti / Tahaa côte ouest

Au cours de leur ballade, pas moins de trois voitures s'arrêtent à leur hauteur sans qu'ils aient fait le moindre signe, juste histoire de leur demander s'ils n'ont pas besoin qu'on les amène à bon port.. .. Mes deux randonneurs du dimanche déclinent vaillamment, arguant qu'il leur faut quand même faire un minimum d'exercice... mais craquent sur le retour lorsqu'une quatrième voiture s'arrête ! c'est cette fois une famille entière de bons vivants et la cabine est pleine... Mais tout le monde se tasse en rigolant pour qu'ils puissent se serrer à leur tour !

À mon humble avis de vagabond, Y'a fort longtemps que personne n'a vu ça sur les terres habitées...

C'est en début d'après-midi qu'on lève l'ancre à regret, dans l'idée d'arriver à peu près à la même heure le lendemain à Port Phaéton pour que Yann ait le temps de se préparer. Je vais donc vivre ma dernière nuit avec mon capitaine, à regret, là encore, je dois bien le reconnaître, même s'il n'a pas le caractère facile, le vieux ! Des fois je l'aurais bien envoyé sur les roses, figurez-vous... Et pas qu'une encore !

Eh bien, Pour notre dernière nuit ensemble, on va être sacrement gâté !!! Une vieille ligne de grains à rallonge, la même qu'on s'est tapé la veille de l'arrivée à Papeete, il y a presque un an jour pour jour. Quatre gros grains à plus de trente nœuds dans la nuit ! Ça, des manœuvres, il en aura fait le plein Yann !!! Du taillé sur mesure même, on peut presque dire !

Du coup, avec les sprints que je me suis tapé toute la nuit, on était largement dans les temps et Géraldine nous a préparé une super dinette à l'arrivée, tellement elle était contente qu'on soit au bout du bout... Définitivement cette fois !!

Donc voilà ! mon capitaine se barre pour de bon cette fois ! Dans trois jours, il est dans l'avion... Moi, l'avion, je le prendrai jamais, bien sûr ! Et franchement, je m'en porte pas plus mal.... Même la pontée d'un cargo j'en ai jamais tâté ! J'ai toujours navigué sur mes propres pattes, de mes propres ailes, si vous préférez !

Reste qu'avec le vieux on a quand même fait la guerre un bon bout d'temps ensemble... démâté deux fois , remâté deux fois, monté sur le récif deux fois, sortis de galère deux fois encore, caréné, rafistolé, vaillamment repartis je sais plus combien de fois maintenant...

Et puis pour ceux qui ont bonne mémoire rappelez-vous Malte, le port de La Valette ! Ce ne serait pas la première fois que nos vies se recroiseraient.... Alors... Á voir ! Le monde de la mer a ses secrets...Comme l'amour a les siens !

Hasta luego cap'tain!!!