Ce jour-là, au récif Surprise, on s'est donc réveillés à l'aube... Cap'tain Philip s'est préparé son café. Moi j'étais paré. On a mis une bonne demi-heure à sortir ma chaîne du corail, puis la passe, longer l'îlot Surprise par l'Ouest qu'était magnifique à cette heure-là avec le soleil qui se levait derrière, route plein Sud une heure pour se sortir de là, puis plein Est une autre heure pour passer bien au large de l'atoll Pelotas qu'était lui aussi une réserve intégrale d'après l’arrêté officiel que Christiane nous avait envoyé la veille...
Et voilà ! le vent était bien établi au Sud-Est, on était au bon plein pour filer sur le détroit de Bougainville entre les îles Spiritu Santo et Malekula. On y serait le surlendemain matin. Il était temps de tâter le terrain concernant l'entrée au Vanuatu...
Notre premier interlocuteur vanuatais (par mail toujours, avec l'iridium) nous a donné bon espoir. Un certain Sébastien, responsable de l'office du tourisme à Port Vila, la capitale de l'archipel. C'est encore par Christiane qu'on avait dégoté ses coordonnées. Il nous a communiqué les adresses des autorités compétentes à Duganville, le port de l'île Spriritu Santo que les vanuatais appellent simplement Santo. Également celle de Dave, un hôtelier anglais installé depuis longtemps sur l'île qui a l'habitude de s'occuper des yachts de passage. « Bienvenue au Vanauatu ! » qu'il concluait, Sébastien !
Le retour des autorités de Duganville toutefois a été beaucoup moins encourageant...« vous n'avez pas l'autorisation de rentrer à Duganville , ni dans aucun port de l'île. Restez hors des eaux territoriales vanuataises... »
la réponse de Dave était plus cordiale mais disait en gros la même chose...
« Sébastien aurait du vous prévenir que les frontières du Vanuatu était fermées à cause de l'état d'urgence . Les ports sont fermés. Aucun navire ne peut entrer au Vanuatu pour le moment. Bonne route ! »
Entre les aller-retours de mails avec Christiane, puis avec Sébastien, et enfin avec les autorités de Santo et Dave on avait déjà fait les trois quarts du chemin...
On était forcément salement déçus après le vrai espoir qu'il nous avait laisser caresser l'ami Sébastien... C'était même plus qu'un espoir... Nous on avait cru que ça y était ! Qu'il restait que les imprimés à remplir... Cocagne !! « Bienvenue au Vanuatu » qu'il nous avait lancé, Sébastien !
Du coup, on n'a pas réagi sur l'instant. On a laissé courir le reste de la nuit, même si le vent avait refusé et qu'il avait fallu serrer mes voiles.
A l'aube, on les voyait bien Santo et Malekula, 10 milles à tout casser. Le vent avait encore refusé, j'étais maintenant au près serré. On voyait bien qu'il faudrait tirer au moins un bord sur l'autre amure pour le passer ce canal, et la mer était forte.
Au lieu d'attaquer son café - puisque c'était l'heure - mon capitaine restait scotché au siège de barre à scruter le détroit, une île, puis l'autre, puis encore le détroit en marmonnant... D'aucun pourrait croire qu'il commence à parler tout seul, le vieux... Après tout c'est de son âge. Mais c'est pas ça... Enfin pas complètement. J'l'ai déjà vu indécis comme ça, le patron et j'sais bien comment il s'y prend... Si son second est là, il lui demande tout simplement son avis, bien sûr ! Un second c'est là pour ça, non ? Mais si c'est quelqu'un d'autre, le cuisinier, le mécano ou moi, par exemple, y s'débrouille pour avoir notre avis sans avoir à le d'mander ouvertement... J'sais pas si vous voyez ? Alors y marmonne comme ça depuis son siège de barre, mais de façon très intelligible en fait, et en même temps... Il écoute: « y va encore y avoir un courant de dingue dans ce détroit ! En plus il fait à peine 8 milles de large, du coup, leurs eaux territoriales à ces couillons, on va être au beau milieu ! Remarque c'était pas si grave, si on avait pu passer à l'aube en douce... Mais là, tirer des bords contre un courant furax à 9 heures du matin... Tu m'diras c'est pas l'Albanie, mais quand même ! » Voilà, il déroule sa litanie comme ça, d'une voix uniforme et... Il écoute...
Bon, l'Albanie, je connais pas ! Mais j'imagine... Et du coup j'abats un quart de poil. Ça porte pas à conséquence, vu que le pilote va me r'mettre en ligne recta. Mais j'vais l'faire deux ou trois fois de suite et on verra bien…
« Bon allez, on abat en grand si c'est comme ça ! On va être à l'abri toute le journée derrière ce gros pavé. On aura le temps de réfléchir... » Voilà, ça a marché ! Suffit de pas grand chose des fois...
Le pavé dont il parle, le pitaine, c'est l'île Santo, une énorme muraille de 80 milles de long qui tombe à pic dans la mer du haut de ses 1000 mètres sur toute sa face Ouest et fait barre à l'alizée.
Deux heures plus tard, le soleil est assez haut pour un bain de soleil relaxant. On a coupé le pilote et on est les pieds en éventail à dériver tranquille à quatre, cinq milles de la côte, avec juste la grand-voile arisée pour nous pousser au jugé vers le Nord dans des brises virevoltantes... ET ON RÉFLÉCHIT...
Les eaux territoriales, me direz-vous ? ON S'EN TAPE ! On a mauvais caractère tous les deux et on les a pris en grippe ces vanuatais... Ce foutu virus, eux ils l'ont jamais vu ni entendu, mais on dirait que c'est encore pire !!!