Ben non ! Ils sont restés bien pliés sous l’oreiller nos petits pyjamas ! Heureusement qu’on avait pu les sortir une fois dans la réserve à piafs du récif Surprise à la barbe des gabelous ! On les a achetés en Australie, du temps où on se la coulait douce ! Autant dire qu’ils sont comme neufs…
Bref, la nuit était en train de tomber si vous vous rappelez, quand on a aperçu une petite embarcation à moteur qui décollait de la plage pour se diriger vers nous. Avant même de pouvoir distinguer les silhouettes de ses occupants, on se doutait bien que Ti Nemo ne se serait jamais commis à apparaitre sur une barcasse pareillement roturière… Surtout devant des étrangers !
De fait, c’était un émissaire. Il parlait, lui aussi parfaitement la langue du patron. Puisque moi, vous l’avez compris j’en parle quelques autres… dont l’anglais et le créole. Du coup, j’étais très à l’aise à Maurice. On y est quand même restés pas mal de temps à terre et j’ai eu du coup l’occasion de bavarder avec pas mal de collègues qui parlaient pour la plupart créole et pour les autres un anglais très correct, rien à voir avec le galimatias des australiens.
L’émissaire de Ti Nemo, nous a demandé très courtoisement si on avait pu finir notre réparation. Ce à quoi le patron a répondu sur le même ton courtois que «non car il avait d’abord besoin de se reposer, mais qu’il attaquerait à la première heure le lendemain matin…» Ce qui n’était qu’un demi-mensonge puisqu’on avait effectivement pas mal navigué de nuit ces derniers temps, d’où le besoin de se reposer un peu. Par contre, quand j’ai un moteur vraiment en panne, figurez-vous que je le sais avant tout le monde…
L’émissaire a poursuivi sur le même ton, sans se formaliser de cette réponse quelque peu évasive, en nous informant qu’un patrol-boat était en route pour venir nous chercher noise, et que le mieux pour nous était de partir avant son arrivée dans la mesure où l’on risquait, à son avis, de beaucoup plus gros soucis si il nous trouvait là… Je pense qu’il faisait en cela référence à notre moteur réputé en panne…
Le patron a discuté peu, le temps de réfléchir… Soit Ti Nemo se cachait à son tour derrière un petit mensonge pour nous faire déguerpir, soit il nous prévenait fort civilement d’un danger réel et de la meilleure façon d’y échapper… En fait dans les deux cas, il était clair qu’on ne pourrait pas rester à Tikopia bien longtemps... Certes, dans le premier on pouvait se refaire une petite sieste de deux, trois heures avant d’appareiller, mais dans le second, il fallait à l’évidence lever l’ancre au plus vite…
La sieste, on s’y était adonnés toute l’après-midi avec délice, donc à quoi bon tergiverser ? Quant à moi, je voyais mal en quoi un roi aurait besoin de mentir pour faire ce que bon lui semblait chez lui ? Mais pas de problème, Cap'tain Philip s’était déjà décidé, il était en train de démarrer mes moteurs.
Il a hissé la grand-voile à deux ris afin qu’on soit peinard pour la nuit avant de remonter l’ancre. C’est assez pratique ça quand on est mouillé suffisamment loin de terre. Moi, je reste sagement dans le lit du vent en rappelant doucement sur ma chaine et le patron hisse tranquillement ma voile sans avoir à courir de tous les côtés.
Il a coupé mon moteur bâbord dès que l’ancre s’est calé dans mon davier et le tribord moins de deux minutes plus tard dès qu’on a doublé la pointe nord de l’île, puisque l’alizée était toujours là, bien sûr. Toutefois il avait adonné d’une bonne quinzaine de degrés et quand « Gégène » a été sorti on a vu qu’on pouvait faire route au près / bon plein sur l'île d'Anuta qu’était pourtant à l’ENE , ce qu’on n' aurait jamais pu faire la veille. Anuta, c’est donc l’île la plus à l’Est de l’archipel des Santa Cruz (je rappelle, vu que je sais bien qu’il y en a quelques-uns qui sont attentifs, mais que les autres… bon, c’est comme ça dans toutes les classes, hein… j’en fais pas un vélo, je rappelle simplement pour ceux-là). Anuta était donc à 80 milles devant nous à l’ENE. Figurez-vous qu’avec le patron on a eu la même idée fumeuse…. On monte là-haut et on refait le coup de l’arrêt pipi… soit le coup du moteur, puisqu’on a clairement dit qu’on n’avait pas eu le temps de le faire à Tikopia… soit un autre truc qu’on improviserait sur place…
Huit heures du soir. Me voilà donc le cap sur Anuta. Deux ris dans la grand-voile quelques tours chez Gégène… Le pilote du coup gouvernait sans forcer et le patron allait pouvoir préparer son rata tranquille… Pensez bien qu’il a pas oublié son café dans la foulée ! Mais là, en sortant boire son café dehors voilà qu’il m’explique qu’il a changé d’idée…
Le Patrol-boat, si patrol-boat il y avait, aurait déjà fait deux cent mille pour venir jusqu’à Tikopia depuis N'dende, la capitale. Est-ce qu’il n’y avait pas un risque «raisonnable» qu’il pousse jusqu’à Anuta, histoire de faire un petit control flicard, puisqu’après tout c’est son métier et qu’arrivé chez Ti Nemo, il aurait déjà fait les trois quart du chemin ? C’est ce qu’il s’était dit mon capitaine en préparant son rata et qu’il avait pris le temps de venir m’expliquer en buvant son café sur MA PASSERELLE, dont j’ai déjà parlé par ailleurs…
Voilà qu’en plus l’alizée continuait à adonner. On a donc continué sur ce bord là en prenant les cinq ou dix degrés qu’Eole nous offrait.
Au petit matin on était déjà plusieurs mille dans le sud d’Anuta et le patron m’a remis un peu de toile comme il fait souvent le matin quand le ciel est clair.