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Je me demande si vous vous rappelez d’Anuta ? Et même de moi depuis le temps !!!

Donc moi, c’est Climax et je suis seul avec le patron depuis que le fameux virus sévit un peu partout… Un peu partout sauf ici, dans les îles du Pacifique, remarquez… D’où il n’est du coup plus question de bouger, même pour voguer d’une île à l’autre !

Anuta, c’est une toute petite île, la dernière dont je vous ai parlé, la plus à l’est de l’archipel de Santa  Cruz. Or, plus de quatre mois ont passé depuis cette belle matinée ensoleillée où on l’a eu sur notre travers tribord cette petite île d’Anuta…

à 5' au Sud de l'île d'Anuta / archipel Santa Cruz

Que s’est-il donc passé depuis ….?

Et ben du lourd, figurez-vous !

On était naufragés Cap'tain Philip et moi…. Pour de vrai… au beau milieu du Pacifique, à plus de 400 mille du secours le plus proche… En plein milieu du Pacifique et au beau milieu du Covid pour faire bon poids !!! Même naufragés, personne voulait de nous !!! « Passez votre chemin » qu’on avait le culot de nous répondre…

Heureusement on avait  encore du courant pour communiquer via l’iridium, mais pas question d’annoncer la couleur à nos contacts habituels ! Pourquoi, me direz-vous ?

Eh bien tout simplement parce qu’il était hors de question que Géraldine apprenne la nouvelle… Elle a le cœur fragile notre Géraldine maintenant… C’était la crise cardiaque assurée !

Et pour ça y avait une solution et une seule… Fermer notre gueule jusqu’à ce que les choses s’arrangent… et c’est ce qu’on a fait jusqu’à  aujourd’hui …!  Car c’est justement hier que Cap'tain Philip m’a remis un gréement et que je ressemble de nouveau à un voilier prêt à reprendre la mer ou quasiment…

En fait ça fait quatre mois que je suis  sur un coffre au milieu des requins de toutes tailles au fond d’une baie relativement calme heureusement. Heureusement encore,  j'ai quelques copains de mouillage sympa alentour, pas tous causant, c'est vrai... On se rend des petits services, ça entretient l'amitié...  Le patron a les siens lui aussi, bien sûr et ça va de pair puisque c'est souvent les skippers de mes copains à moi !.  De son côté depuis plus d'un mois, il fait tous les jours l’aller et retour en bus jusqu’à Numbo, le terminus du bus, sa  caisse à outils sous le bras, pour adapter à ma pointure un gréement d’occasion qu’il a trouvé là-bas. Et c’est justement aujourd’hui qu’il m’a emmené sur place pour m’installer mon nouveau gréement qui était enfin prêt !!!

mâtage au chantier de Numbo le 6 OCTOBRE et retour au fond de la baie de l'Orphelinat le lendemain.

baie de l'orphelinat / climax sur son coffre au fond de la baie / la marna de l'orphelinat et son club house                                                                                                                                            Regardez, c’est pas mal… je vous ai mis quelques photos. Bon reste à vous raconter tout ça… Accrochez-vous bien !

On était donc partis la veille à la tombée de la nuit de chez Ti Nemo à Tikopia et là, au lever du jour, on était déjà pile dans le sud d’Anuta à environ 5’. On la voyait donc très bien, surtout qu’il faisait un temps magnifique. On faisait route au 070° dans un alizé régulier plein SE 4/5. Cette île-là appartient encore aux Salomon, c’est la plus à l’Est de l’archipel Santa Cruz où on n’avait clairement pas voulu de nous…

Si  j’arrivais à tenir ce cap, on avait les Tuvalu devant nous  à un peu plus de 500’, puis les îles Phoenix, encore 500’ plus loin. Cap'tain Philip a donc lancé de bon matin la procédure habituelle… Mail à Bruno pour une recherche sur l’archipel Tuvalu (indépendant) puis sur le Kiribati (état auquel appartiennent les îles Phoenix)… que suivrait, on l’espérait encore, les formulaires de demande d’entrée aux autorités concernées…

Est-ce qu’à l’inverse du Vanuatu et des îles Salomon qui nous avaient hermétiquement fermé leur porte, il y aurait cette fois une chance de faire escale ? Avec le décalage horaire on ne pouvait pas espérer de réponse avant le soir…

On a donc profité du beau temps en attendant, hissé la grand-voile jusqu’au premier ris et sorti Gégène. Le patron s’est installé au soleil, un œil sur son bouquin, l’autre sur les cadrans. On a vu quelques grains à l’horizon, à chaque fois mon capitaine a légèrement modifié ma route pour passer  au large.  Au crépuscule, il m’a roulé cinq six tours de Gégène au cas où on passerait dans un grain pendant la nuit  et la réponse de Bruno est arrivée… « Pas mâche ! ni l’un ni l’autre… ! ». Personne voulait de nous !

Autrement dit, tout ce qu’on pouvait faire c’était continuer…. Et attendre l’embellie même si elle semblait s’éloigner tous les jours un peu plus depuis ce jour où on l’avait espérée toute proche, deux semaines plus tôt, en quittant l’Australie…

Ce qu’il m’a expliqué, le patron, c’est que le meilleur endroit pour tenter notre chance  maintenant, c'était Futuna, île française à 700’ dans notre ESE… Après tout, nonobstant mon tout nouveau pavillon hollandais, on était tous les deux français que je sache ! Ils allaient pas nous faire un deuxième trou au cul !  Pas même de quoi nous mettre en cabane ! En quarantaine, ça sûr, on y aurait droit ! Et après ? On avait du riz pour un sacré bail et même le réchaud magique en cas de panne de gaz… Tant que le mouillage était abrité de ce sacré alizé qui semblait ne jamais faiblir, ça nous allait…

C’est vrai que de l’ESE, la route directe, on risquait pas de se caler dessus avant longtemps avec ce putain d’alizé justement… Y’avait plus qu’à continuer sur ce bord-là ! On devait pouvoir serrer le vent un peu mieux, 10° à peu près. Et le jour où ça refuserait en grand je virerai de bord ! Du coup les 700‘ risquaient fort de se transformer en 1000’, voir plus…. Mais quel autre choix on avait ?

Le point de midi du lendemain, 26 mai  nous a mis par 172° Est et 10 Sud. On n’était plus si loin de la ligne de changement de date… Futuna était juste de l’autre côté ! Là-bas on était encore le 25 Mai !

Le soir est arrivé tranquillement, y’avait pas de grain à l’horizon quand la nuit est tombée. Les derniers fichiers G.R.I.B. donnaient toujours de l’ESE 4/5 pour la nuit et la journée du lendemain.

Il faisait déjà nuit et on avait encore un  ris dans la grand-voile. Au lieu de me rouler simplement 5 ou 6 tours de foc comme il fait tous les soirs, le vieux est rentré dans le carré pour répondre à un mail qu’il venait de recevoir… Quand j’ai senti un grain approcher un moment plus tard, j’ai filé deux coups d’épaule bien sec, coup sur coup pour qu’il s’arrache à son maudit bidule et foute le nez dehors fissa… Il l’a fait, mais pas immédiatement…. J’suis resté tout seul une longue minute à épauler les premières rafales … Quand il a enfin pointé sa fraise, son premier regard a été pour l’anémo… 24 nœuds. L’écoute de Gégène bordée sur le gros winch sous le vent, était donc  tendue en travers du cockpit, ce qui laissait libre le gros winch au vent pour le bout de l’enrouleur. C’est le système qu’il avait trouvé quelques jours plus tôt pour réduire plus rapidement le foc, avec seulement ses deux mains et ses deux pied quand j’étais tribord  amures. Or, tribord amures, on l’était quasiment en permanence depuis Brisbane !

Le patron  a même pas eu le temps de mollir l’écoute… Le mat est tombé dans un fracas épouvantable et j’me suis dit « c’coup-là on est cuit !!!»

Le vieux, qu’aurait dû gueuler comme un âne, tel que je le connaissais, a rien dit, lui. Il est juste resté hébété plusieurs secondes sur le banc du cockpit avant de descendre  chercher le projo pour évaluer les dégâts à l’avant, vu que le projecteur de pont, y’en avait plus !!! Mais il pensait forcément quelque chose d’approchant puisque la première terre sous le vent  était à plus de 400’… C’était Port Patteson à l’extrême nord du Vanuatu, devant lequel on était passé trois nuits plus tôt… Et il le savait aussi bien que moi…