Tweed Head... Une rivière encore, mais dont l'entrée est beaucoup plus large ! Ça déferle bien sur la barre cette fois encore, quelques deux cents mètres avant les extrémités des deux brises lames qui encadrent l'entrée, mais la carte donne 6 mètres de fond et on est presque à marée haute … « pani problém » comme on disait aux Antilles dans ma jeunesse ! De ce côté là c'est tout bon ! Ce qui l'est moins c'est l'endroit... Une grande ville qui ressemble même à une banlieue de grande ville, je dirais....
Surtout qu’on venait de Clarence river qui n’était que luxe, calme et volupté. Large rivière qu’on avait du coup remonté assez loin en amont… ça allait nous changer !
Bon, donc, ce soir à Tweed Head, on remonte doucement jusqu'à un premier confluant.... Il y a des bateaux au mouillage des deux côtés mais on prend à droite pour se rapprocher de la ville car – j'ai oublié de vous le dire – on a eu un sacré problème qui nous est tombé dessus sans prévenir une heure avant d’arriver… On a un truc à réparer sans délai qui nécessite de trouver l'artisan qui va bien... et bien sûr, c'est pas en rase campagne qu'on va trouver le gars ! D'autant que c'est pointu l'histoire.... J'y viens !
Le bras de rivière s'enroule autour d'un ilot plat en forme d'escargot et ça devient assez étroit. Devant nous il y a trois ou quatre voiliers au mouillage, ou plus probablement sur coffre, on voit pas bien, ils sont encore trop loin. Ah si, il y a un coffre libre entre les deux premiers bateaux qui sont justement des catas... Jumelles ! « PINK BUOY» ! On file dare-dare dessus… On y est ! 2,5m, la marée a commencé a redescendre depuis un moment, ça ira ! Me voilà scotché... Et oui, la frontière du Queensland est à 500 m, Cap’tain Philip peut y aller à pied comme en annexe si ça lui chante , mais moi que t'chi ! Scotché là jusqu'à nouvel avis !
Ah oui, la tuile de tout à l'heure ! Mon chariot de grand voile s'est carrément fait la malle … pfiiiit !
Heureusement il était en bout de course puisqu'on arrivait tranquillement au largue sur Tweed Head. Du coup, le palan qui sert à le balader le long du rail, l'a maintenu le temps que mon Capitaine affale ma grand voile. Y'avait des petites billes en plastique un peu partout dans le cockpit, mais le hasard a voulu que Cap’tain Philip ait regarni ce rail de vaseline il y a quelques jours. Du coup beaucoup de ces petites billes sont restées collées au rail et mon capitaine s'est empressé de les récupérer une par une.
Voilà ! Du coup faut qu'y trouve un soudeur le patron ! Et pas n'importe quel soudeur, en plus... mais un gars équipé du matériel ad hoc pour souder la fonte d'aluminium... ça vous dit pas grand chose ? À moi non plus, je vous dirais… Heureusement, Cap’tain Philip connait pas mal ces trucs là, mieux en tous cas que les histoires de tablettes et autres petits bidules à écran, heureusement ! Ça, vraiment, il me fait marrer le soir quand il s'escrime sur le minuscule clavier avec ses gros doigts et ses lunettes de travers en râlant pis que pendre après toutes ces inventions à la noix !!!
La nuit a été calme. Pas la moindre vaguelette. Un peu de courant bien sûr, comme toujours en rivière, mais bien capelé sur la « pink buoy » , je m'aligne au gré des renverses sans même ouvrir l'œil ! Par contre on est à vingt mètres d'une des bouées qui marque le chenal. Du coup dès l'aube, ça s'agite et surtout ça vrombit de partout… entre le bourdonnement des gros chalutiers qui sortent, les bateaux de pêche loisir qui sont légions ici et les scooters de mer qui sillonnent le plan d'eau du matin au soir sans but précis, pas question de sieste ! Mieux vaut avoir passé une bonne nuit...
Bon le patron est parti en reconnaissance avec son petit panier en osier. L'annexe est là-bas, amarrée à l'écart d'une petite plage à une branche qui s'avance au dessus de l'eau. Je la surveille d'un œil distrait, car l'australien n'est pas voleur, c'est un de ses bons cotés. Un beaucoup moins bon, je trouve, c'est que même un type comme moi qui ait navigué plusieurs années aux îles vierges, donc chez des purs british, je pige rien à leur mélasse aux australiens ! Le patron, ça le fout carrément en boule, lui, qu'ils lui répondent systématiquement des « pardon me ? »/« pardon me ? »/ « pardon me? » comme des boites à musique, dès qu'il ouvre la bouche …. D'ailleurs, il se gêne pas pour leur assener des « can you speek slowly, please ? Avec son accent franchouillard à vous couper le souffle.... Et tout le monde comprend bien qu'il faut entendre « correctly » en lieu et place du « slowly »... que c'est par pure civilité qu'il n'y va pas crûment au « correctly » le capitaine !
Bref, j'en reviens à l'annexe et à la petite plage où y'a deux nudistes qui ont installé leur petite natte entre-temps. Une grassouillette et une efflanquée qui papotent bon train en me tournant les fesses, sans me prêter attention. De la pomme du mat, j'suis pourtant super bien placé pour me rincer l'œil ! Et j'vois pas pourquoi je m'en priverais, hein ? J'suis pas d'bois non plus !!!
Bon, ce petit bout de plage complètement isolé, cet îlot en forme de galette, ces maisons huppées que je vois derrière le rideau d'arbre qui borde l'eau … pas très facile à décrire, je dirais... Remarquez, j'ai tout mon temps, le patron va pas rentrer avant un bon moment !
Donc cet ilot galette au milieu de la rivière, ça doit être un sacré labyrinthe ! Les maisons sont cossues, assez distantes les unes des autres et sont bizarrement toutes au bord de l'eau. Mais pas le bord de la rivière ou les nudistes papotent à l'abri des regards (qu'elles croient!) et où le vieux a « ficelé » mon annexe autour d'une branche de saule. Non, la rive elle même reste sauvage, alors que les plans d'eau qu'on devine devant chaque maison sont aménagés, avec wharf privé et chaque fois un ou deux bateaux amarrés. On distingue encore des tas de petits ponts « japonais » un peu partout au milieu de tout ça et une longue promenade gazonnée derrière le rideau d'arbre dont je parlais au départ... On comprend bien que pour rentrer là dedans, il faut remonter le chenal au bord duquel je poireaute, et qu'ensuite ça s'enroule comme un escargot avec des entrées quasiment privées de place en place. Sur la carte il y a un pont qui communique avec la ville, sans doute au bout de cette longue promenade dont je parlais à peine... et c'est donc par là qu'est parti mon capitaine avec son petit panier... autant dire à feu de dieu pour lui qui n'aime pas marcher. Pour sûr qu'il va revenir sur les genoux, le vieux …!
Tiens, je l'avais pas vu car il fait déjà nuit ! Il arrive à la rame le capitaine... le petit moteur électrique, dont il est si fier a encore du tomber en rade ! Ou plutôt la batterie.... heureusement le courant porte du bon côté.
En plus du panier d'osier gonflé à bloc qu'il pose dans ma jupe, il ramène deux grands sacs de bouffe.... plus quelques bouteilles, j'imagine... Et ça rate pas ! (je vous l'avais dit) « nom de dieu, c'est à perpète ! Demain je remonte le vélo de Giovanni … »