Auteurs : Pascale Yvetot  & Cap'tain Philip

couverture : design Maryline Foucaut

Sortie en mai 2023 aux éditions Traboule distribuées par BoD  (284 pages)

Pour commander l'une ou l'autre version (papier ou e.book) cliquer le bandeau orange ci-dessus ou l'onglet "catalogue" en haut à droite de cette page pour accéder au widget de  votre choix  et mettre le titre choisi dans votre panier.

                                                        ******

Les auteurs de ce roman ont suivi le fil du récit d'une vielle dame de 84 ans. Elle y raconte sans détour son enfance avec son frère, puis son adolescence de l'occupation à mai 68.

De ce fait, peu de personnages sont entièrement fictifs. Veuillent tous les autres absoudre les auteurs des intrusions furtives et répétées dans leur histoires respectives.... honni soit qui mal y pense

                                                      ******

Synopsis d'une petite fille en pleurs :

En 1937 Jo et Pierrot ont vingt ans, ils se rencontrent à Doum Tataouine dans les régiments disciplinaires du sud Tunisien. La même année Michel naît à Lyon trois ans avant sa petite sœur Marie. Très tôt les deux enfants seront séparés et, chacun de leur côté, ballottés de nourrice en nourrice puis d’institution en institution au gré des déboires et avanies de leurs parents ; prostitution, collaboration, épuration, prison pour la mère ; déportation pour leurs pères respectifs.

Jo et Pierrot seront démobilisés en 1940. Les aléas de la guerre et de l'occupation les éloigneront plusieurs fois l'un de l'autre, mais leur indéfectible amitié aura toujours le dessus...

Par les hasards de la vie dissolue de leur mère, les deux enfants vont croiser Jo et Pierrot au fait de leur carrière de truands redoutés de tous...

C'est la course éperdue de la petite Marie pour retrouver son grand frère après la guerre qui va la ramener à travers un long labyrinthe vers Jo et Pierrot au crépuscule de leur cavale...

Une histoire qui, en contrepoint, semble narguer l'autre, plus exemplaire, des trente glorieuses.

********

LIRE LES PREMIERES PAGES :

1. Chalet des Marronniers

On est le 25 septembre 1946 à Champigny-sur-Marne. Une Citroën C15 soulève un épais nuage de poussière sur un chemin de terre qui contourne le bourg. Au volant, l’inspecteur Nozeilles. Il fait partie du dispositif de 350 policiers, assistés par deux automitrailleuses qui sont en train de se déployer autour du Chalet des Marronniers.

Ce déploiement inédit fait suite à une information reçue la veille au soir par la préfecture de police de Paris : le ″gang des tractions″ est réuni à Champigny pour préparer son prochain braquage.

L’inspecteur Nozeilles aperçoit une femme avec une enfant dans les bras qui escalade le talus à sa rencontre. Son visage est ensanglanté. Les quelques mètres qui la séparent encore du bord du chemin sont en pente raide. Elle semble épuisée. Elle lui fait signe de son bras libre, couvert de sang lui aussi. Nozeilles hésite, puis freine brutalement. Le nuage de poussière rattrape la voiture arrêtée, cantonnant la scène surréaliste qui va suivre dans l’incertain, le vague cotonneux d’une espèce de rêve qu’on aurait bien pu faire, après tout...

Quelques secondes passent, le temps que la femme parvienne jusqu’à la vitre baissée de la C15. L’épaisse gangue de poussière n’est pas encore retombée autour du véhicule. Pourtant, la femme identifie instantanément les uniformes des deux hommes qui accompagnent l’inspecteur Nozeilles. Elle a un mouvement de recul, laisse échapper un cri, se retourne brusquement avant de se relancer à toutes jambes dans la pente qu’elle vient de grimper péniblement. Dans son mouvement de panique, l’enfant lui a échappé. C’est une petite fille de six ou sept ans. Un des gendarmes, qui a jailli par la portière arrière, rattrape la gosse au vol. Il va bientôt apprendre de la petite fille qu’elle s’appelle Marie. L’autre gendarme rattrape rapidement la femme avant de la maîtriser à grand- peine et de la remonter jusqu’à la Citroën. La réaction de l’inspecteur surprend le jeune gendarme. Malgré le sang qui suinte encore d’une entaille au cuir chevelu de la jeune femme, malgré son état de choc et d’agitation manifeste, Nozeilles commence par lui passer assez brutalement des menottes avant de la contraindre à s’asseoir à l’arrière de la voiture en lui tordant quasiment le cou... La Citroën redémarre aussitôt.

La femme pleure, s’étrangle en agrippant tour à tour chacun des gendarmes qui l’encadrent sur la banquette arrière de la C15. Elle est dans un état d’agitation extrême. Sa force semble décuplée par l’adrénaline, le stress qui alimentent cette crise de fureur ou de terreur absolue que les deux hommes s’avèrent d’autant plus impuissants à calmer qu’elle hurle des bribes d’explications complètement décousues que les sanglots convulsifs de la fillette couvrent presque totalement.

L’inspecteur Nozeilles a 54 ans. Il participe depuis plus d’un an à la traque rocambolesque du gang des tractions sous les ordres des deux commissaires qu’il est censé rejoindre au bout de ce chemin pour leur confirmer que tout est paré. Lui n’a pas fait d’études de psychologie, criminologie ou autres. Pourtant, intuitivement, il sait que les vociférations qui saturent l’habitacle de sa voiture de service émanent d’un témoin en état de choc, temporairement incapable de la moindre stratégie d’enfumage ou de mensonge construit. Ces éléments épars qui fusent en désordre de la bouche de cette femme seront forcément précieux s’il parvient à les restituer de façon intelligible à ses supérieurs...

Ce qui explique la brusquerie de l’attitude de Nozeilles, c’est qu’il doit rejoindre de façon urgente les deux commissaires qui chapeautent le dispositif et attendent justement son rapport pour lancer l’opération. Pourtant, malgré cette urgence absolue, il a stoppé la voiture à la hauteur de cette femme qui semblait demander un secours qu’elle aurait de toute façon trouvé très rapidement dans le cadre du dispositif imposant en place sur le périmètre. C’est une circonstance précise qui a déclenché le réflexe de l’inspecteur. Au moment où il a aperçu la femme, le chemin passait précisément en surplomb du Chalet... et cette femme venait manifestement de s’en échapper...

Le train avant de la Citroën a déjà chassé plusieurs fois sur la couche de latérite inégale. Les mains crispées sur le volant, Nozeilles n’a d’autres choix que d’essayer de mémoriser la suite d’éléments qui défilent au gré des hurlements qui saturent de façon insupportable l’espace étroit, sans relâcher sa pression sur le champignon de l’accélérateur... Il ferait le tri plus tard, quand le calme reviendrait... un futur incertain pour l’heure, voire plus qu’aléatoire !

La femme prétend être une prostituée... « Son nom de gagneuse c’est Marika et elle les emmerde ! Eux, les "poulets", autant que ces types-là, ces braqueurs sans merci avec lesquels elle n’a rien à voir ! C’est son "abruti de mac" qui l’a fourrée dans leurs pattes pour le week-end et ce n’est pas la première fois qu’il lui fait ce coup-là, "ce salaud"... genre putes de haut vol et Champagne à gogo dans des auberges isolées ! Les "régulières" des truands, elles, restent cantonnées dans leur planque respective... Quant à son mac, ce salaud de Riquet, il ne la prévient jamais à l’avance ; cette fois, il lui est tombé dessus, alors qu’elle était partie en Normandie pour un week-end avec ses enfants ! Elle n’a pas pu laisser sa fille là-bas au débotté et c’est comme ça que la petite Marie se retrouve à hurler à côté d’elle dans une bagnole de poulets hostiles sans qu’elle puisse la calmer à cause de ces "saloperies de menottes" ! Marie n’a rien à voir avec tout ce "bordel" ! Elle n’est même pas la fille de Riquet, son connard de mac, encore moins celle de Pierrot, s’enrage-t-elle... Pierrot pour qui elle reconnaît un petit faible, tempère-t-elle, et qui vient de se volatiliser sous ses yeux en sortant du tunnel juste derrière le Chalet... »

Au nom de Pierrot, Nozeilles a dressé l’oreille, si c’est encore possible dans ce déluge sonore... Comment va-t-il pouvoir remettre tout ça dans l’ordre ? Mais après ce petit clin d’œil larmoyant vers Pierrot, la logorrhée reprend de plus belle... Les injures fusent en avalanche, tel un torrent furieux :

« Marie, c’est la fille d’un "demi-sel"qu’elle a aimé pendant les premiers mois de guerre... une époque où elle "trimait"déjà, mais au soleil, sur les bords du Rhône, pas dans des plans fumeux à rameuter pareille "armada de poulaille" ! Elle a un grand frère, Marie, il s’en est failli d’un poil qu’il soit là, lui aussi, dans "vos sales pattes de minables". En tout cas, Pierrot, vous l’aurez pas ! “pffffouit”, il vous a encore glissé entre les pattes, tas de "culs bénis" ! À chaque fois, elle en est de leurs "petites sauteries"à ces "salopards" ! Remarque, Pierrot et ses potes, c’est pas des "couilles molles" eux, au moins ! Rien à voir avec ces petits souteneurs "à la manque" qui lui "fanent l’horizon" depuis trop longtemps ! Ce minable de Riquet, depuis qu’il m’a récupérée à ma sortie "d’zonzon", il me colle dans leurs pattes à chaque occasion... À croire qu’il se prend pour leur petit pote sous prétexte qu’ils se sont connus aux "Bat’ d’af" ! Tu parles si y s’en tamponnent de "minables" comme Riquet, ces gars-là ! Eux, y z’ont juste besoin de "petits culs propres" pour se défouler au Moët et Chandon à l’occasion ! Et j’irai jusqu’à dire que je m’en plains pas tant que ça ! Mais vous êtes tellement "à la bourre" de ce côté-là, "tas de puceaux", que vous pigeriez pas tout ! S’trouve qu’aujourd’hui, ça a "tourné vinaigre" ! Il a fallu se tirer en catastrophe ! Panique au poulailler, fantasia chez les putes ! Mais "les gonzes" avaient prévu le coup, eux... Ils vous ont filé sous l’pif en ordre dispersé. Moi, j’ai soigné Pierrot, après je l’ai suivi. Mais avec la môme, j’étais "à la ramasse" ! Il faisait tellement sombre dans les caves que je me suis "emplâtré la gueule" plusieurs fois ! Quand je suis arrivée au puits à la sortie du tunnel, j’ai eu du mal à sortir Marie... Après "nib" ! Plus de Pierrot. Pourtant il était blessé et j’avais son sang sur la manche... »

Nozeilles se concentre à nouveau sur cet élément imprévu... Où le truand est-il blessé et comment est-ce arrivé puisque le feu n’a pas encore été déclenché ? Précisément, faute au temps qu’il met lui-même à avertir ses supérieurs que tout est en place... et merde !!! Mais pas moyen d’interrompre cette dingue ! Encore moins d’espérer d’elle la moindre réponse...

« Michel, il s’appelle mon garçon qui vous emmerde lui aussi du haut de ses neuf ans et vous en fera voir le jour venu ! Fils de gitan lui aussi, mais un vrai, un manouche, pas du genre à foutre ses sœurs au bord des routes ! Ce gitan, c’est lui que j’ai vraiment aimé, mais j’étais qu’une "môme". Il est parti comme il était venu, il a juste continué sa route et maintenant j’m’en fous… Faut juste que j’sorte de vos "salles pattes"puisque j’ai rien à voir avec ces gars-là, j’vous dis ! »

******