Sans doute vous souvenez-vous de notre dernière déconvenue ? Fakahina, le bout du monde et ses 50 âmes sans le moindre abri pour moi... Fakahina ne nous ayant pas offert l'abri attendu où mon capitaine comptait laisser tranquillement passer le flux de nord et attendre le retour de l'alizé pour remonter vers les Marquises, nous voilà donc condamnés à faire route contre vents et marées comme on disait antan !
De fait elle a bien faibli cette brise de nord... Du coup, après avoir repris une petite heure, la route Est que nous suivons depuis Tahiti, mon capitaine change de tactique. Puisque ce vent de nord est en train de tomber sous les dix nœuds, on va lui rentrer dedans... D'après les prévisions météo, l'alizé aura repris ses droits dès demain matin. Fatu Hiva, la plus à l'est des îles Marquises est plein nord à 320' on va donc s'offrir une nuit de moteur face au clapot qu'ont soulevé ces trois jours de brise de nord qui nous a jusque là fort bien servis. Demain matin on devrait pouvoir continuer notre route sous voile, bon plein/travers.
Au petit matin l'alizé est au rendez-vous... Il est temps de hisser les voiles !
Fatu Hiva nous met un peu trop près du vent. Ce sera donc Tahuata, un peu plus loin mais une dizaine de degrés sous le vent de sa voisine.
48 heures de bon plein dans un alizé modéré pour le patron et moi c'est les vacances ! Etienne de son côté est amariné maintenant, mais ce n'est pas encore le cas de Géraldine qui heureusement prend les choses très stoïquement....
l'arrivée sur Tahuata au milieu des dauphins, deux aubes plus tard est dantesque.... jugez vous-même !
Le mouillage d'hatamani qui avait été chaudement recommandé à mon capitaine s'avère décevant. Nous montons un peu plus haut, jusqu'à celui de Vaitahu qui nous séduit dès l'abord et que nous ne quitterons à regret que plusieurs nuits plus tard...
De mon côté, je suis royalement installé. la baie est large et profonde et les quatre ou cinq bateaux qui y relâchent ont comme moi tous leurs aises. Côté annexe, c'est une autre histoire ! le petit quai où accoste la goélette est très haut et battu par la houle. C'est pourtant le seul point de débarquement possible pour mon équipage... Cet aléa sera largement compensé par les rencontres qu'ils vont y faire...
Jimmy d'abord, le solide marquisien qui tient la gargote du port.... poisson cru au coco et Hinano ambrée à toute heure pour mon capitaine et sa moitié, hamburger frites et coca pour la génération montante...Concert / Yukulélé /guitare/chanson française revues et corrigées localement tous les soirs jusqu'à la fermeture....
Chaque soir on retrouve Dustin, un vétéran d'Irak. une prothèse à la place de la jambe droite, une autre à celle du bras gauche ... Pourtant Dustin navigue seul sur Tiama un cotre de douze mètres ! Il vient de faire le grand tour. Tahuata est sa dernière escale... Il est parti de Hawaii il y a deux ans et n'a plus que deux semaines de nav pour y revenir. En plus d'être époustouflant de courage, ce gars-là est disert et débordant de bonne humeur. Les habitants du village l'ont adopté, cela fait trois semaines qu'il est là. Le jour de son départ pour Hawaii, le pont de son cotre est couvert de grappes de fruits offertes par les villageois. Il viendra contre mon bord un moment plus tard nous apporter en annexe une bonne moitié de ce trésor qu'il ne saurait consommer seul au cours des dix jours de mer qui le séparent encore de l'archipel américain. Les rencontres ne se font pas qu'au village.... Géraldine et mon Capitaine, partis de bon matin pour une randonnée à travers les reliefs accidentés de l'île se retrouvent bientôt à l'arrière d'une vieille guimbarde conduite par un fermier de l'île, André. la piste caillouteuse grimpe en lacets puis redescend brusquement à flanc de colline avant de remonter en flèche....
Mes deux randonneurs font plusieurs fois signe à André de les déposer, puisqu'il faudra bien refaire un jour ce chemin épuisant dans l'autre sens sous le cagnard, mais André n'en a cure ! Ses 74 ans n'ont en rien entamé sa joie de montrer ses chèvres et son verger aux étrangers de passage !
Tanqué sous son chapeau de paille défoncé, il ne ralentira qu'à la porte de sa grange cinq ou six kms plus loin.... et plus haut surtout .
" Prenez tout ce que vous pourrez emporter ! " André parle bien sûr de ses pamplemousses, citrons , oranges et pommes cythère...
Ainsi lestés, mes acolytes s'assoient sur une souche pour dépiauter un monstrueux pamplemousse. L'affaire à peine conduite, voilà qu'un 4x4, rutilant cette fois, s'arrête à leur hauteur...
" Peut-on vous aider ? "
La série de contreforts caillouteux escaladés pied au plancher par la guimbarde d'André un moment plus tôt incite mon capitaine à répondre que .... "Oui... Volontiers au fond !"
C´est donc reparti dans l'autre sens, mais en douceur cette fois et sans l'épais nuage de poussière qui, à la montée, leur a passablement brouillé la vue panoramique sur l'île voisine d'Iva Oa.
Maeva et son mari sont maraîchers et éleveurs, ils viennent livrer leurs clients des villages de la côte ouest de l'île. Eux habitent le seul hameau de la côte au vent, Motopu. Leurs deux filles sont en métropole, toutes deux engagées sous les drapeaux. Les deux fils sont restés au pays, à Moputu. Élevage et pêche. Papa et maman s'occupe exclusivement du maraîchage bio. Autant dire que ce sont des spécialistes ! la voiture embaume les senteurs d'herbes aromatiques. En sus des dix kilos de pamplemousses et de citrons glanés chez André, voilà donc mon carré parfumé au romarin et à la menthe fraîche pour la semaine...
Le programme de l'après-midi à bord, c'est grosse sieste apéritive car un gueuleton est prévu chez Jimmy le soir même !
Demain, il n'y aura que quelques milles pour Atuona, la capitale d'Iva Hoa où vécurent Gauguin et Brel. Mon équipage projette donc de consacrer le reste de la journée du lendemain à la visite du petit cimetière mais aussi à celle du dispensaire... Géraldine veut s'assurer que le diesel de mon capitaine tourne toujours à peu près rond...
Celle d'après sera elle consacrée à l'archéologie sur la base de deux scooters de location et des pages idoines de "lonely planet".
L’île d’Iva oa est rien moins que majestueuse ! Il faut franchir à plusieurs reprises les hauteurs de l'île pour en faire le tour, quasiment toujours dans les nuages. Il y pleut dru et il y fait fort frais... Mais il en faut plus pour décourager mes explorateurs...
le premier site est accessible à dos de scooter... pour les autres il faut grimper dans la montagne au milieu des taillis.
Le jeune toubib du dispensaire s'est très bien entendu avec mon Capitaine, pourtant volontiers bougon dans ce genre d'exercice. Il lui a néanmoins prescrit une prise de sang. Ce sera pour mardi. Nous avons donc un long week-end pour cingler vers Fatu Iva et sa magie. L'alizé est Nord-est pour toute la journée de demain... Pour une fois qu'on ne l'a pas dans le nez celui-là, c'est le moment d'en profiter !
A mi-chemin, on croise l'île de Mohotani , longue crête peuplés par quelques milliers d'oiseaux.
Puis, au couchant, c'est l'atterrissage sur FATU HIVA.
La baie des vierges est un excellent abri doublé d'un écrin de lumière magique.
l'endroit doit son nom aux fiers obélisques de basaltes qui veillent sur la baie. Il s'agit donc bien à l'origine de la baie des verges, terme aussi cru que ce paysage acerbe auquel les curetons se sont empressés d'ajouter un "i" salvateur...
Les habitants du village d’Hanavave, tapi au fond de la baie sont à la hauteur de leur environnement royal... jusqu'à l'épicier qui se comporte en prince ; manque-t-il à mon capitaine 150 cfp pour payer sa dose hebdomadaire de gruyère... "N'importe, prends le, manant , et que dieu te garde !"
Le gueuleton est commandé chez l'habitant cette fois. Le village, entièrement tourné vers la pêche, ne recèle qu'une épicerie, deux églises et un petit cimetière ; point de gargote, ni même de bar. On y vit en famille de la pêche donc6, de la chasse au cabri et de la cueillette.
Le gueuleton est comme le reste... Royal ! tomates du jardin / poisson cru au coco / cabri à la crème/ potiron au miel... Catherine est aux fourneaux, Serge à la tchatche ! Mon capitaine, après tout ça, ne peut plus se lever... heureusement, pour une fois il n'a bu que du jus de fruit .
Le seul chemin de l'île relie les deux mouillages de Fatu Iva. Hanavave et Omoa.
Le lendemain matin, Etienne prend son courage à deux mains et décide de se les faire, les 17 km par les crêtes.... Géraldine et le patron ont déjà fait une belle promenade jusqu'à la cascade la veille et leurs vieux genoux déclarent forfait pour cette fois...
Ils récupèreront leur matelot à Omoa après avoir fait la balade avec moi le long des falaises escarpées le lendemain.
l'escale suivante sera Ua pou... Traversée de la journée grand largue. nuit, au port. C'est le lendemain matin en remplissant quelques bidons d'eau sur le quai que Géraldine et mon capitaine croiseront Manfred..... Chocolatier de son état, résidant depuis 30 ans dans les montagnes de Ua Pou...