De mon côté, j'suis pas si mal ici, à Tweed Head… Je dois bien le reconnaître ! Certes, Le paysage est plus que moyen et y'a beaucoup de passage, surtout les putains de scooter flottants avec leurs beuglements stridents dès 8 heures du mat'. C'est vrai, mais à côté de ça, y'a pas trop de courant, juste de quoi empêcher les algues de proliférer sous mes coques. La température de l'eau commence à être plus sympa, vu qu'on n'est plus qu'a trois ou quatre degré du tropique. Même dehors, il commence a faire bon, le soir... Fini la chair de poule dès la nuit tombée ! Et puis y'a les nudistes ! Avec un « turn-over » très plaisant, comme on dit ! C'est pas toujours les deux mêmes bavardes  que j'vous ai décrites hier ! Tiens, présentement, sur la petite plage, y'a une petite nerveuse qu'a un sacré chien, une brunette légèrement basanée. Au lieu d'être vautrée à poil sur sa serviette éponge à bavasser comme une pie du lever au coucher du soleil, elle pêche, elle ! Et alors, elle a un sacré lancé, j'vous l'dis ! J'en arrive à m’intéresser plus à ses prises qu'à son physique racé et très prometteur qu'est pourtant juste mon type !

Elle me rappelle un peu Corrina à Albany, dont je vous ai déjà parlé, qu'était pourtant une vraie rousse et que j'ai jamais vu à poil, elle, même si elle était déjà en haut de mon mât moins de cinq minutes après avoir mis le pied à bord ! La drisse de spi qu'était partie en haut du mât et qu'on était jamais allé récupérer tant on avait eu d'autres soucis pour arriver jusqu'à Albany ! Corrina, elle avait repéré ça du premier coup d'œil en montant à bord ! Il avait fallu la grimper là-haut séance tenante ! Avant même qu'elle goûte notre cambusard... Remarquez, elle s'est bien rattrapée après, la Corrina, pas de soucis ! Elle venait même goûter tous les soirs le plat du jour d'Alain, mon cuisinier.

Faut dire qu'ils bouffent vraiment n'importe quoi les australiens... Ça en est même dégouttant de voir la graisse leur dégouliner des lèvres quand ils mordent dans leur saloperies de hamburgers. Un truc sur lequel ils sont bien meilleurs nos amis australiens, c'est le pinard ! Chaque soir, Corrina amenait un  nouveau cru et, à voir les sourires béats de mon équipage dès le deuxième verre, je voyais bien que c'était pas des piquettes qu'elle nous amenait, la gazelle rousse ! Elle amenait quelquefois Mark, le skipper avec lequel elle avait gagné Sydney Hobart en 40 pieds, la saison précédente. Un joyeux drille qui connaissait le coin comme sa poche jusqu'à Brisbane, Tasmanie comprise, et qui nous a filé des tas de tuyaux pour la suite... Cap'tain Philip notait tout au fur et à mesure dans son journal de bord, et quand on s'est retrouvé plus que tous les deux à partir de Portland, elles nous ont super bien servi toutes ces notes-là !

Bref, tout ça pour dire qu'il y avait pas le feu au lac... Et que, si l'pitaine était rentré le soir en m'disant qu'on restait là une semaine de plus, « au final » comme dit souvent la grande fille de Cap'tain Philip  qui vient de temps en temps à bord, j'aurais trouvé ça franchement relax !

Tiens, question gazelle, la fille du patron, elle assure pas mal, dans son genre... Elle est pas juste « basanée », elle... C'est Black Panther, en personne !

C'est ses deux lardons qui sont juste basanés. À côté de ça ils sont très sages... Pas du tout le genre à cavaler partout en s'accrochant à n'importe quoi comme tant d'autres !

J'aime bien les avoir à bord, le papa aussi... Grand pêcheur devant l’éternel, un passionné même...

Avec eux, j'ai fait la plus belle balade que j'ai jamais faite en trente ans ! De Nosy-Be jusqu'aux îles Barren… La plus cool aussi... Quasiment pas de navigation de nuit, des mouillages hallucinants, des ports antiques abandonnés à la végétation endémique de ces coins-là... une ethnie nomade qui a ses camps de base sur la côte très sauvage et quasiment déserte et ses camps de pêche sur ces îles étroites, où il n'y a pas une goutte d'eau douce.

Bon , et ben ça s'est pas passé comme ça du tout !

D'abord le patron est pas rentré à la nuit comme les autres jours, mais au beau milieu de l'après-midi, alors que j'étais encore occupé avec les nudistes, tout particulièrement, le petit modèle tout en muscles dont j'ai parlé plus haut, qu'avait un magnifique coup de poignet et manœuvrait son moulinet avec le doigté d'une pro...

« la frontière est fermée jusqu'à dieu sait quand, mais on peut aller à Southport, juste de l'autre côté de la frontière, uniquement pour faire la sortie au mouillage de quarantaine le temps de faire les formalités de sortie. Quand les papiers seront tamponnés, on aura une heure pour dégager de leurs eaux territoriales...  T'en dis quoi ? »

Comme je vous l'ai dit ce matin, j'étais pas surpris outre mesure... C'était dans l'air depuis quelques jours déjà... J'aurais bien dit: « pour aller où ? Vu que c'est le bordel partout !!! » Mais il m'a devancé, le gros malin... Il avait eu le temps de peaufiner ses réponses en revenant de chez les flics à son train de sénateur, le long de la rivière...

« C'est en train de s’essouffler cette connerie du virus, les gens commencent à plus être dupes... Y'a plus personne qui porte de masque dans la rue... Et puis, regarde ! On demande à passer la frontière qu'est réputée fermée et même les flics te répondent – OK, pas de problème, on passe un coup de fil à nos collègues de là-bas ! Vous y serez quand ? "  J'ai même lu hier que le trafic entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande allait reprendre incessamment sous peu, que c'était qu'une question de jours, d'heures peut-être... Tu vois bien, non ? »

Et avant que j’aie eu le temps de rien, il enchaîne déjà: « On fait des courses pour un mois et le temps qu'on arrive quelque part, toute cette histoire à la con sera derrière nous, pas de soucis ! »

Bon, il est d'un naturel optimiste Cap'tain'Philip, et plutôt gai, même s'il parle pas beaucoup... C'est pas aussi contradictoire qu'il y paraît, pour un marin, en tout cas. Croyez-moi ! Tiens, vous connaissez sûrement la chanson de Charlelie Couture … « y'a qu'un seul vrai navigateur pour dix mille baratineurs » et bien malgré cette proportion saisissante - un  peu exagérée peut-être, pour que la rime tombe juste - eh bien moi qui vous parle, je connais plus de vrais navigateurs que d'foutus baratineurs ! C'est vrai aussi, qu'à ça, il y a une raison toute simple: l'habitat du baratineur commun c'est la terre ferme, le mien, c'est la mer ! Du coup, on se croise guère...

Bon j'en reviens à mon Capitaine … Lui son truc, c'est les îles, les petites îles qu'on découvre sur l'horizon le matin et qu'on a tout le temps d'approcher en douceur, le temps que le soleil monte et redescende. Et là, cette grande-là, l'Australie, si on peut encore appeler ça une île, on y zigzague depuis deux mois pleins, presque jour pour jour, depuis le 11 mars, qu’on a quitté Tamar river et la Tasmanie où je me suis tellement plu, moi aussi ! J'y reviendrai...

Du coup, il a plus qu'une envie, mon bonhomme de patron... c'est de mettre les voiles et de tailler la route !

Bon j'ai déjà expliqué ma position...moi, j'suis pas si mal ici, même si c'est loin, et même très loin d'être un lieu culte... Ah, on serait à Hobart à cet instant, ce serait une toute autre histoire ! Là, je freinerais des quatre fers et j'aurais des arguments solides, croyez-moi ! « Pourquoi quitter un endroit comme ça, quand on sait même pas où ni quand on va atterrir, avec toute les conneries de virus qui gangrènent le bon sens des gens un peu partout ? » Et d'une !

Mais bien sûr, cet argument-là, il n'a plus guère de poids à Tweed Head, cette banlieue frontière sans charme, où tout le monde est rentré chez soi à six heures du soir... Ce dont je me fous royalement, remarquez, mais qui à la longue arrive à peser sur la joie de vivre de mon Capitaine, qui comme tout marin au long cours, sait apprécier une petite virée nocturne de temps à autre... y'a quand même un minimum !

Bref, je finis par répondre que c'est OK... On est une équipe, non ? Qu'il aille faire nos courses, qu'il remonte mon chariot... Correctement, tant qu'à faire et OK, on file d'un coup de moteur jusqu'à Southport, qu'est à moins de deux heures de route, sortie de la rivière comprise.