A Southport, le port Sud de Brisbane donc, ça s’est passé très vite ! Ce sont des gens organisés les australiens, j’l’avais déjà remarqué… Fanas de pêche et organisés ! Forcement pour un gars comme moi qu’ai passé presque dix ans à Madagascar, ça change ! Pour le moins… Mais c’est presque confortable, quelque part… Bien sûr le foutoir, ça a du bon… Surtout quand on n'est qu’à moitié en règle. Ce qu’était quand même plus ou moins mon cas à Nosy-Be, avec mon pavillon caribéen au nom d’une société écran dont mon ancien patron n’avait même plus les statuts…

Donc, au premier contact VHF, ils nous ont donné les coordonnées du point de mouillage de quarantaine, les gars, au centième de minute près… On devait mouiller là pour la nuit et attendre leur passage le lendemain, avec interdiction absolue de quitter le bord d’ici là… Mais ça, on savait déjà ! On avait compris et on leur a dit !

Le lendemain à huit heures pétantes, ils ont repris contact sur la VHF. Fallait que j’accoste à un ponton, quasiment en face, où y’avait pour le moment qu’une longue goélette blanche et donc largement la place d’accoster sur son arrière.

port de Brisbane (southport)

Le temps que le patron me manœuvre en douceur jusqu’au ponton, les deux gars étaient là, uniformes impeccables, écussons « border force » à la poitrine, affables et plutôt cools. Ils ont aidé mon capitaine à remplir le formulaire, pour aller plus vite… Pas qu’ils aient eu l’air vraiment pressés, mais plutôt comme s'ils étaient heureux qu’on dégage, un peu comme s’ils se débarrassaient d’un problème… Ou plutôt encore, d’une inconnue qui pouvait à terme poser problème… ce qui, bien sûr cadre mieux avec la sage devise de tout fonctionnaire qui se respecte : «fonctionnaires de tous les pays, unissez-vous pour éviter les problèmes et surtout pas faire de vagues" ! » après tout derrière leur écusson épatant, c’était bien deux aimables fonctionnaires qui monteraient les échelons un à un s’ils s’en tenaient à cette règle simple et universelle valable du fonctionnaire de base jusqu’au patron du service déjà en vue d’une  retraite prochaine et confortable entièrement dédiée à la pêche, puisque pour une demi-heure encore on était en Australie…

Voilà ! Mon capitaine a signé en bas du formulaire. Ils ont encore précisé qu’on pouvait s’arrêter ni là, ni là, en parlant de deux îles australiennes qui étaient plus ou moins sur notre route, dans la mesure où le patron avait inscrit sur  le formulaire en face de « next port of call » : Nouméa. Même si c’est pas là qu’on allait… mais vous verrez bien… Ils nous ont encore dit trois, quatre mots aimables avant de demander innocemment au patron s’il voulait qu’ils lui larguent les amarres… et tchao' ! Voyez que j’exagérais nullement !

Donc voilà ! On est parti ! Pour où ? On n’en sait rien encore… Pas pour Nouméa, en tous cas, vu que le vent vient pile de là ! Et ça risque bien de pas changer de sitôt puisqu’on est pile au début de la saison des alizées qui va durer six bons mois… S’il a coché Nouméa sur leur formulaire, Captain Philip, c’est juste pour pas qu’on lui pose d’autres questions… Tablant sur le fait que les fonctionnaires australiens se diraient simplement : « Il est français, il va en Calédonie qu’est française… voilà ! Qu’ils se démerdent entre eux les français, c’est pas nos oignons ! » Bien sûr, ils auraient pu tiquer sur le fait que je l’étais pas, moi, français… Mais penses-tu ! Ils étaient trop content qu’on dégage comme je l’ai dit à peine… un soucis de moins pour eux !

Oui, moi je suis hollandais, figurez-vous ! Enfin, enregistré à Amsterdam, vous avez compris. C’est pas encore nickel, nickel comme histoire, dans la mesure où j’ai jamais mis les pieds là-bas, ni mes parents non plus ! Mais enfin, là, au moins on peut montrer des documents clairs et net (enfin à peu près) avec un propriétaire et un capitaine en chair et en os qui sont bien là, à mon bord, puisque c’est Cap'tain Philip qu’a les deux casquettes… À coté de ça, même si il est français, mon capitaine, du fait qu’il est résident à Madagascar, il est pas tenu d’importer fiscalement un bateau qu’il a acheté là-bas, de demander le pavillon français si vous préférez… Vous trouvez ça un peu compliqué ? A qui le dites-vous !!! D’autant qu’au fond, c’est beaucoup plus simple, puisque tous les deux on est malgaches maintenant et depuis belle lurette même ! Le patron, il a sa Géraldine, moi j’avais une copine pas mal à Nosy-Be, et j’ai déjà une sacrée bonne touche à Sainte-Marie… Est-ce qu’elle attendra ? Ça, c’est l’éternelle question… Et celui qui s’inquiète pour ça, mieux vaut qu’il reste à quai !!!

Donc mon capitaine a noté sur son cahier de bord toute une série de mouillages forains, où on pourrait s’arrêter une nuit ou même deux si l’endroit s’avère plaisant et sûr. Plus au voisinage d’une route Nord-Est puisque l’alizée souffle globalement du Sud- Est. Ce sont juste des récifs émergents, inhabités bien sûr, mais qui offrent un abri minimum. Captain Philip a épluché sa carte plusieurs soirs de suite et a noté tout ça en marge du journal, noms, positions, routes, etc…

Lire par-dessus son épaule au patron, c’est pas le plus facile ! Sans compter qu’il aime pas être dérangé quand il travaille sur ses cartes… Évidemment quand le journal de bord est fermé, y’a rien à faire non plus ! Mais des fois, il reste grand ouvert à la page du jour sur la table du carré... Ça me permet de vous lire ces quelques notes au cas où elles vous parleraient…

‘Frederick’reefs’ 21° S 154° 20’ E ;  ‘Kenn’reefs’ 21° 15’ S 155° 45’ E ; ‘Récifs Chesterfield’ 19° 50’ S 158° 20’ E ; ‘Récif Surprise’ 18° 30’ S 163° 05’ E ; ‘Récif Petrie’ 18° 30’ S 164° 25’ E

Voilà donc tout ça, c’est dans notre Nord-Est. Au-delà c’est le Vanuatu, anciennement Nouvelles Hébrides, où on va du coup aller tenter notre chance ! Le premier jour est « mou », comme on dit… Des brises faibles et changeantes, globalement bien orientées mais entrecoupées de calmes et surtout un méchant courant d’un bon nœud contre nous. Bref, le lendemain matin on est toujours en vue de la côte australienne et j’affiche une moyenne déplorable… Enfin il fait beau, le patron est de bon poil quand même, vu que ses cartes météo lui disent que ça va s’arranger rapidement. Et de fait, dès le début de l’après-midi le vent s’établit solidement au Sud-Est et on démarre enfin… Adieu l’Australie !

On marche bien, plein Nord-Est à 6/7 nœuds…  Plus vraiment question de s’arrêter en si bon chemin… On file donc 5 jours à ce train là ! Le matin du sixième, Captain Philip a dans ses jumelles l’îlot « surprise » qui marque la passe d’entrée dans le récif du même nom. Il est encore loin, disons, une dizaine de milles… On n’a pas internet à mon bord. Globalement c’est reposant, mais quand on a besoin d’un tuyau rapidement…

Cette fois encore on fait vite un mail – ça, on a -  à Christiane… Ici il est 7 heures. Là-bas à Toulon, il n’est que 11 heures du soir… Une chance qu’elle ait notre message avant d’aller au pieu...

Pas de réponse dans l’heure suivante… On est tout près maintenant, l’îlot est très boisé, survolé par des centaines d’oiseaux et bien sûr, entièrement ceinturé par un récif corallien. Mais juste au Nord de l'île qu’on distingue déjà parfaitement, il y a la passe. L’atoll est ouvert au Nord et immense. Du coup, même à l’intérieur il y a plusieurs milles de fetch et un creux d’un petit mètre. On tournique un bon moment  avant de repérer une étroite bande de sable posée sur un récif en forme de croissant derrière lequel on serait pas si mal… Mais tout comme derrière l’îlot lui-même, les fonds descendent très vite à plus de vingt mètres… Et c’est trop pour moi, puisque ma ligne de mouillage ne fait que 50 mètres. A force de me faire tourniquer dans tous les sens, le patron fini par trouver un fond de 13/15 mètres pas trop près du récif. Aucun risque, par ailleurs, que le vent tourne avant des jours et des jours !

Voilà, je tire sur ma chaîne. Ça tient bien… Le patron coupe les moulins, café, œufs au bacon, bain de mer (avec le masque quand même, à cause des requins), bain de soleil, c’est parti pour une vraie journée de repos et une bonne nuit franche à suivre !!!

On ne reçoit la réponse de Christiane qu’en fin d’après-midi : « réserve naturelle intégrale » ! L’ensemble de l’atoll « surprise »et de celui d’Entrecastaux juste au Nord sont strictement interdits à toute embarcation « non spécifiquement autorisée »… Eh merde !

Pourtant sur la carte, juste au nord de l’îlot, il y a bel et bien un petit voilier rose, symbole d’un point de mouillage conseillé aux yachts de passage, je peux en témoigner ! Sauf que cette carte numérisée est américaine... elle signale simplement que ce point est suffisamment abrité des vents dominants et de la houle. Seulement voilà... en six jours, on a rejoint les eaux françaises, calédonniennes, plus précisement... Suffit donc qu'entre-temps une putain de commission composée exclusivement de fiottes de l’ENA ait décidé unilateralement ce statut de " réserve naturelle intègrale" ! Comment c’est possible qu’il y ait jamais le moindre marin dans ces foutues commissions d’écolos cravatés, pour dire au minimum que sur un périmètre de plusieurs milliers d’hectares réservé aux piafs, on pourrait peut-être envisager de délimiter un petit carré d’un ou deux hectares pour que les navigateurs de passage puissent se reposer une nuit, voire réparer une avarie !!! »

Voilà ce qu’il en pense le patron ! Je vous le livre tel quel !!!

Il ajoute même une confidence à mon intention: « remarque on me l’a dit ça, les premiers reçus au concours de sortie chaque année, on les colle aux finances, et les crasses, on les planque au ministère de l’écologie...»

Faut dire pour sa défense au pitaine, que ce coup-là, on nous l'a déjà fait il y a quelques mois... Au Rocher Saint Paul, pour être précis, au beau milieu de l'océan indien, déjà bien sud, au delà de l'île d'Amsterdam qu'on avait doublée la veille. On continuait de descendre plein sud pour attraper la route des quarantièmes vers l'est et y'avait une vilaine dépression sur notre route. Le Rocher Saint Paul - terre française comme l'île d'Amsterdam - c'est un cratère quasiment fermé, un rêve au milieu de nulle part ! On avait juste à se glisser dedans pour attendre au calme que le front passe... Et BOUM ! "réserve naturelle intégrale" !!! Du coup, je me la suis pris sur le râble, la dépression ! 30 heures de zef à plus de 40 noeuds et une mer d'apocalypse...

« Bon de toute façon, la nuit va tomber dans moins d’une demi-heure et cette nuit franche on l’a bien méritée, non ? Donc on se lèvera juste un peu plus tôt demain et on filera au moteur pour sortir de leur foutue réserve intégrale en moins d’une heure. Je vois mal le garde champêtre du coin attaquer sa journée à 4 heures du mat pour traquer qui, d’ailleurs ? On n’a pas croisé âme qui vive depuis 6 jours et en plus on est à 150 milles du port le plus proche de Calédonie ! »

C’est comme ça qu’il conclut l’affaire, mon Capitaine ! En fait, j’aime bien quand il se fâche contre des ombres Cap'tain Philip. Il est rigolo et on y croit ! Parce que là, c’est bien de ça qu’on parle, des ombres ou des moulins à vent, comme vous voulez ! Parce que le garde champêtre (enfin là, il rigolait), plutôt les gendarmes maritimes ici, à 150 milles de toute terre habitée avec ce zef qui s’arrête jamais en plus, à moins d’un fondu, je vois pas trop… Ah, on serait survolé par un petit avion ou un hélico, là, je dis pas ! Pour le coup, on aurait bel et bien que deux heures pour se trisser fissa… Mais là, ça y est, la nuit est tombée… côté hélico ou autres, on est peinards jusqu’à demain matin !