Dès le lendemain de notre arrivée à ROSE Bay, Cap’tain Philip est revenu à bord avec un gros carton … un arsenal ! Et la guerre des tranchées a commencé, pilotée depuis Ste Marie par Géraldine ! le coup de tomates truffées à l’arsenic avec une seringue, c’était Géraldine et ça a bien marché, il en a bouffé deux ! Du coup, il a dû être malade comme un chien et on l’a plus entendu deux nuits de suite… mais la troisième, il était de retour… plusieurs pièges ont fonctionnés et il a dû se prendre des sacrés cocards, l’Alfred. Mais les pièges étaient trop petits pour l’attraper pour de bon. Il arrivait à s’en défaire… chaque fois qu’on trouvait le matin un des multiples types de poison éparpillés sur mes planchers, dans mes placards, mes coffres et mes équipets, déjà bien entamé par les petites dents sataniques et si on n’entendait rien la nuit suivante on criait victoire ! Trop tôt chaque fois … Quand même, jour après jour, son espace disponible et sa liberté de mouvement se réduisaient à l’Alfred ! Chaque fois qu’il était sûr d’avoir isolé une cabine ou un compartiment, Cap’tain Philip barricadait derrière… Les 4 cabines et les toilettes Tribord ont été condamnées de la sorte, les unes après les autres... le Vieux n’avait plus que le carré pour dormir, mais Alfred n’avait plus, lui, que l’étroit compartiment du réservoir d’eau pour circuler librement et accéder à ses dernières caches, le placard de toilettes bâbord, et ceux de la cuisine. Coté découragement, c’était fini, Cap’tain Philip était plus du tout inquiet, sûr qu’il était de la victoire finale ! Il me le disait tous les soirs.. « T’inquiète, c’est plus qu’une question d’ jours ! Ici, on a la logistique pour nous, intrants à volonté, force de frappe illimitée. L’autre salopard se terre, il sait qu’il est foutu ! » De fait, les grattements se faisaient plus rares et moins rageurs, la nuit… surtout les nuits où Cap’tain Philip vidait une bombe à cafards entière derrière le frigo (c’était l’accès le plus pratique aux appartements de ce salopard d’Alfred) avant de refermer hermétiquement la porte et de s’installer pour dormir dans le cockpit avec sa couvrante... Heureusement que je suis pas asthmatique !!!
Cela dit, Le vieux ne se battait pas qu’à bord… Dehors il communiquait à tout va, depuis un banc en face de la vitrine d’un coiffeur italien dont il utilisait la Wifi … Géraldine pour la stratégie, bien sûr, mais aussi les services de santé du consulat, l’association des français installés à Sydney, ce genre de truc… Les services d’hygiène de la ville étaient fermés pour cause de crise covid, mais Cap’tain Philip s’était déjà fait deux, trois copains qui le pilotaient à vue dans cette métropole assoupie.
En plus du coiffeur italien, y’avait la marchande de vin, ce qui n’étonnera absolument personne, et aussi un employé da la grande quincaillerie où il se fournissait en armement et qui parlait français.
Par la première, il a pu contacter une première entreprise de dératisation qui a envoyé un vieux Mahori à bord. Le gars a fureté un peu partout avant de rebalancer une énième couche de poison sur les couches déjà répandues. Des gros cubes vert et rouge cette fois…. Quand il a eu fini, il nous a claironné que d’ici deux semaines, au pire trois, l’affaire serait réglée… Cap’tain Philip l’a regardé incrédule… « TROIS SEMAINES ! » qu’il a éructé menaçant… ce que voyant, l’autre a rétropédalé fissa... « Une semaine, une semaine …. Rappelez-moi dans une semaine ».
Par l’autre, le gars de la quincaillerie, il a pu avoir les adresses des magasins spécialisés pour commencer à constituer le stock de fourniture et d’outillage nécessaires à la remise en marche de mes installations après les sabotages et déprédations en tout genre de l’autre allumé d’Alfred.
Le vieux Maori ne l’avait pas du tout convaincu mon capitaine et dès le lendemain un autre gars est venu, tout jeune lui, super content d’intervenir sur un voilier ! C’était la première fois, nous a-t-il confié, et il allait faire son max. De fait il a sorti une mallette de pro, lui ! seringue / doseur / mélangeur / . Tout ça pour faire le coup des tomates de Géraldine, mais cette fois, pas avec la vulgaire mort aux rats qu’on trouve à tous les coins de rue, mais avec un « anticoagulant 2éme génération » , la bromadiolone, pour ceux que ça intéresse ! Quand il a eu fini, il en a laissé un fond de flacon au Vieux à diluer dans 2 litres d’eau… « Au cas où il faudrait faire un rappel d’ici une semaine… » Le Vieux a encore tiqué en entendant parler de semaine et l’autre lui a du coup donné deux pièges à colle « américain » surpuissant, a-t-il précisé, à installer d’ici 3 jours si jamais… et encore un petit carton plein des mêmes petits sachets de poisons divers et variés qu’il avait déjà disséminés un peu partout….
Malgré ces manœuvres de grande envergure, Alfred a encore mis 4 jours à rendre les armes ! Ça s’est passé un matin d’assez bonne heure puisque j’étais encore assoupi. J’ai entendu « Hourrah !!! » mon Capitaine venait de trouver feu Alfred solidement collé au piège qu’il avait fixé dès le départ du jeune gars sur le fond de placard sous l’évier, en marmonnant des « une semaine , une semaine… merde ! », placard qui avait été tout au long de cette guerre d’usure, une des lignes de front décisive et sur laquelle Alfred s’était finalement rendu, épuisé, hissant son gros ventre gonflé à la Bromadiolone pour le poser bien au milieu «du piège américain».
Une heure après, mon Capitaine était penché sur les cartes météo, qu’il me commentait abondamment, une vraie pipelette tout d’un coup ! Donc, je résume au plus court : « bonne fenêtre pour Port Macquaries dans deux jours / remise en service de toutes les pompes avant départ / check list du matériel et fournitures pour toutes les réparations en cours et qu’on ferait en route »
En attendant, il allait enfin pouvoir se balader un peu, l'esprit libre... Et se serait en ferries puisqu'ils traversaient Port Jackson en tous sens et que l'arrêt était à 100m...
Et voilà, l’épisode Alfred était clos ! Et on avait pris de concert une décision ferme … on se refoutrait jamais à quai dans un port de chargement ! D’ailleurs, je comprends toujours pas comment, on avait pu faire une connerie pareille !!! L’un comme l’autre on sait depuis belle lurette qu’on ne se met JAMAIS à quai dans un port de chargement sans disque anti-rats sur toutes les amarres et gardes. C’est bien la peine d’arriver à 60 balais pour refaire les conneries qu’on a fait trente ans plus tôt !!
Ah oui ! Vous n’avez pas tous trainé sur les pontons depuis tout gamin et certains ne savent peut-être pas comment on détermine « l’âge vrai » d’un bateau… En tout cas vous savez tous pour les clébards, non ? si ton chien a deux ans et toi quatorze , vous êtes tous les deux, tout fous , en pleine adolescence et si au contraire ton chien a 10 ans et toi 70 balais, vous avez tous les deux des p’tits enfants et vous glissez gentiment sur la même mauvaise pente…. Ben, pour les bateaux c’est du kif, sauf que le coefficient est deux. Par exemple, moi qu’ai trente piges, côté expérience, j’en pèse 60 par rapport à n’importe quel capitaine, même le meilleur ! Du coup Cap’tain Philip et moi on est juste de la même génération, vous voyez ? Même si lui est parti de Marseille à 19 ans pour l’Asie du sud-est et moi à 2 ans de La Rochelle où je suis né, pour les Antilles, et qu’on s’est retrouvés à 60 balais sur le même ponton de la petite Marina de Nosy-Be à Madagascar avec notre histoire derrière nous...
J’ai bien dit «retrouvés » … Vous avez noté ? Oui, parce que c’est ça qu’est rigolo et c’est même pour ça que j’vous raconte tout ça ! Cap’tain Philip et moi on s’est déjà croisés au cours de notre vie mouvementée ! À Malte, en novembre 1993…. Sur ce ponton de Nosy-Be, l’année dernière, moi je l’ai reconnu du premier coup d’œil, Cap’tain Philip ! Bien sûr, à l’époque, il avait pas de cheveux blancs mais une petite moustache par contre. Lui m’a pas reconnu, bien sûr … vous le connaissez, non ?
C’est vrai aussi que j’avais pas encore le grand bossoir à l’arrière qui m’change pas mal. Plutôt en bien, je trouve … enfin, bon, c’est pas à moi d’ le dire.
Lui, il était déjà Capitaine, d’une grande sœur à moi en plus ! Une snob ! Madame venait de « Hyères les Palmiers via Syracuse » …. Vous voyez l’genre !!! Elle pavanait parce qu’elle était déjà venue là plusieurs fois, vu que Syracuse et Malte, ce sont justement les deux escales préférées de Cap’tain Philip en Méditerranée, il me l’a dit depuis ; sans faire le moindre rapprochement d’ailleurs malgré mes clins d’œil …
Moi, à Malte, c’était ma première visite, par contre j’arrivais direct et sans escale d’Aruba, dans les Antilles hollandaises. Alors « Hyères les Palmiers », la belle affaire… Voyez c’que j’veux dire !!! Quant à Syracuse, c’est juste en face, y’a au moins 5 ferries qui font la liaison tous les jours ! Cap’tain Philip l’avait laissé à ses manières et à son équipage qui avait l’air assez conséquent et plutôt fêtard et était venu me voir de plus près avec son annexe. Il m’avait tourné autour avec pas mal d’intérêt m’avait-il semblé, mais il n’avait pas pu monter à bord car j’étais surveillé par un gardien maltais qui n’était pas commode.
Mais un de ces quatre ça va faire tilt dans sa vieille caboche, j’en suis sûr ! Je sais même exactement ce qu’il dira ce jour-là, concis comme d’hab' : « MERDE, C’ETAIT TOI !!! »