Une aube magnifique s’est levée sur le rocher Saint Paul qui était encore devant nous à l'aube, mais vers huit heures du matin on était déjà dans l’est de l’île à moins de 3’. On s’est encore approché un peu au moteur car sous le vent de l’île qui est assez haute et très accidentée, d’où son nom sans doute, il n’y avait plus une once de zef…
Coup sur coup on a vu les yeux brillants d’un phoque, le premier du voyage, et les étoiles blanches d’un grand amiral ! Le phoque était juste devant nous à une vingtaine de mètres à tout casser et il s’est retourné plusieurs fois pour voir ce qu’on foutait, le grand amiral, cet albatros à l’envergure démesurée reconnaissable à l’étoile blanche qu’il porte élégamment sur chaque aile comme les avions de la R.A.F., a plané quelques instants sur notre arrière, histoire de jeter un œil sur nos lignes de pêche avant de poursuivre sa route vers le sud. C’était le premier du voyage, là aussi. Mais cette fois on était à 39° de latitude, soit largement au sud de la latitude du cap des Aiguilles où pour ma part, en route pour Madagascar, quelques années plus tôt, j’avais vu les derniers. Bref, on lambinait, profitant tous les quatre du paysage somptueux… Rien à voir avec la silhouette en galette anthracite aplatie par le poids des nuages de l’île d’Amsterdam qu’on avait doublée la veille au soir, le rocher Saint Paul, lui, dans la lumière du levant tamisée par un fin voile nuageux, était le modèle idéal pour une gravure en page de garde de l’île au trésor !
Alain préparait de la pâte pour les chapatis, le vieux les faisait dorer sur la Vénus, Franck, installé sur le siège du barreur les bouffait en surveillant la côte dont on approchait doucement, moteur au ralenti. En fait, on attendait la météo qui tomberait vers 09H00, heure du bord…
Le rocher Saint Paul comme la plupart de ces îles surgies un jour lointain du milieu des océans, est bien sûr un ancien volcan. Mais celui-ci a en commun avec quelques autres, la particularité d’offrir l’abri propice d’un cratère noyé par la mer qui s’ouvre sur la façade abritée des vents dominants. La passe est souvent étroite mais généralement profonde… et c’est le cas du rocher Saint Paul !
Le temps de vous raconter ça, la météo était là… Et du moins bon était en vue… Une dépression petite mais assez creuse était en train de s’approcher courant vers l’est à bonne allure, comme la plupart de ses consœurs…
Le bon plan c’était de rentrer dans le cratère, d’y trouver éventuellement un mouillage, en tout cas d'y passer la journée et la nuit à l'abri. Le lendemain matin on en ressortirait comme des fleurs, la dépression serait déjà dans l'est.... Restait que les chances que ce petit paradis austral, soit une réserve naturelle existaient bien sûr ! Or, comme j’ai dû déjà le dire, Mr Google n’est pas joignable depuis mon bord et la seule carte de détail de l’endroit dont mon équipage disposait était le grossissement du traceur de cartes qui pour cette fois ne donnait aucune indication… Pas même la petite ancre rouge indiquant un mouillage abrité qui aurait pu s’y trouver…
Donc, le temps d’engloutir les derniers chapatis en vidant le thermos de café, un plan avait été ficelé autour de ma table de carré… Un tant soit peu tiré par les cheveux, je dois dire, mais bon, à la guerre comme à la guerre, comme on dit, hein !
Donc, saison 1 … on appelait sur la V.H.F. une éventuelle équipe de fayots en poste sur l’île, un peu comme la veille au soir en approchant d’AMSTERDAM.
Occurrence A) : ils répondaient qu’on était les bienvenus ! Cocagne !!!
Occurrence B) : ils répondaient au contraire que l’accès de l’île était réglementé et patins / couffins On sortait notre joker… S'il y avait une équipe de fayots sur l’île, il y aurait presque certainement un toubib ou au moins un infirmier dans la bande… Et justement on avait un malade ! On avait pas eu à chercher loin… Le pitaine qu’avait déjà la hanche complètement bloquée depuis le départ de Maurice s’était en plus fracassé une côte contre un coin de la table du carré quelques jours plus tôt. Ça lui faisait évidemment fort mal et en plus, plus moyen d’aller aux chiottes !!! Bref on était paré, le malade, on l’avait sous la main…
Occurrence C) : Pas de réponse… l’île était très probablement déserte pour l’instant et on allait chercher un point de mouillage dans le cirque sur la pointe des pieds…
Saison 2 … Dans tous les cas on allait découvrir de plus près le rocher Saint Paul !!!
Dès son deuxième appel sur le canal 16, mon capitaine avait quelqu’un sur la fréquence, c’était le radio d’une flottille de pêche au travail sur le large plateau qui prolonge l’île vers le sud. Le vieux a débité notre histoire en s’en tenant au plan prévu, mais, première déception, il n’y avait pas d’équipe sur l’île pour la bonne raison que c’était une réserve naturelle intégrale. ACCÈS STRICTEMENT INTERDIT !!!
Il était très sympa le gars et s’était proposé de contacter pour nous le service d’assistance médicale aux marins embarqués sur le champ. Évidemment, vu la façon dont on avait présenté les choses, c’était difficile de faire marche arrière… En tout cas, il paraissait désormais plus que délicat d’aller s’abriter en loucedé dans le cratère, dans la mesure où on avait clairement reçu l’information sur le statut de l’île…
Le gars avait donc fait le relais avec le service en question, nous mettant chaque fois en stand-by pour une heure ou deux avant de nous répercuter de nouveaux questionnaires de plus en plus stricts et contraignants. C’était évidemment des fayots qui géraient ce service probablement depuis L’île de la Réunion et y’avait pas la moindre place pour l’ombre d’une galéjade…
En attendant les heures passaient et la dépression approchait deux ou trois degrés au sud. La mer était toujours aussi calme et on avait commencé par se laisser dériver en attendant la vacation radio suivante, puisque le courant portait globalement vers l’est. Puis comme il y avait quand même toujours un zéphyr du nord ouest, mon capitaine a décidé d’essayer le spi qu’on avait reçu à Maurice et pas encore sorti depuis. Bref, ils se sont amusés comme des gosses pendant deux ou trois heures, pour en arriver à la conclusion que le spi était quasiment inutilisable à cause du bimini, dans la mesure où il était impossible de surveiller le bord d’attaque du spi depuis le poste de barre.
Finalement il est apparu dans le dernier questionnaire qu’on a reçu sur la V.H.F. que l’alternative c’était un débarquement d’urgence par treuillage hélico ou un abandon pur et simple de la procédure des fayots. Dit comme ça, c’était parfaitement clair et aussi plus facile pour nous de nous désengager sans froisser personne… Le vieux a répondu qu’on reprenait notre route et basta. Il a encore remercié chaleureusement le radio de la flottille de pêche qui nous avait quasiment consacré sa journée et il a bien fallu qu’on reprenne la route… On a continué au SSW, moteur à mi-régime puisque c’était maintenant le calme plat, toujours dans l’idée de passer derrière cette dépression qu’on avait vu arriver sur le fichier GRIB du matin.
Et c’est là qu’on a eu tort…. On aurait du rester là, à dériver tranquillement aux abords de l’île en « attendant voir » traduction marine du « wait and see » des british… On aurait juste eu à contourner l’île par le nord pour se mettre à l’abri de la mer complètement foutraque qu’on a eue quelques heures plus tard ! Personne ne se serait occupé de nous, surtout pas les pêcheurs dont ce n’est pas du tout le boulot de surveiller les « réserves naturelles intégrales » qui doivent d’ailleurs les emmerder autrement plus que nous…
Certes la dépression avait continué vers l’est mais en se renforçant notablement et même à plus de 100’ derrière le centre, on serait en fait en plein dedans, mais la météo suivante qui le montrerait clairement ne tomberait que vers neuf heures du soir…
Une heure avant la nuit le vent était passé de 2 à 35 nœuds en l’espace de moins d’une minute et la mer pourtant complètement plate était devenue blanche dans le même laps de temps et dans un concert de sifflements aussi furieux qu’irréels…