Cap'tain Philip venait juste de caler l'ancre dans le davier quand on vous a quittés ce jeudi 18 mars au matin dans le lagon d'Apataky. Mes quilles glissaient sur l'eau comme des skis sur la neige! Luxe, calme et volupté…
Pas une ride sur l'eau, je filais quasiment 5 nœuds avec un seul moteur au ralenti. Du jamais vu depuis ma mise à l'eau dans le port de La Rochelle au siècle dernier!
Première escale, le village d'Apataky où il était question de régler notre dernier problème… Le gaz pour «Vénus» privée de feu depuis un mois pour cause de détendeur HS!
D'après la rumeur, on trouverait ça au «magasin général». «Ça», ça voulait dire une bouteille consignée, la recharge et le détendeur idoine, puisqu'il y avait zéro chance qu'on trouve un détendeur adaptable à la bouteille achetée à Nouméa…
Mon capitaine qui s'était régalé avec le filet de dorade coryphène, qu'on appelle ici poisson maï maï, donné quelques jours plus tôt par le patron du chantier de retour de la pêche, avait mis une ligne à l'eau. Ce n'était pas arrivé depuis l'énorme tazar pris en quittant Nouméa et dont, à force de vouloir le «finir» à tout prix et à toutes les sauces, il avait fini par s'écœurer définitivement, croyait-il…
Avertis, que le «magasin général» n'ouvrirait pas avant quatre heures de l'après-midi, le patron est allé me chercher un mouillage tranquille à l'abri du platier occupé par les deux balises de l'alignement d 'entrée ; Les bateaux de passage n'étant pas censés occuper le quai de la goélette plus une heure ou deux, le temps d'embarquer leur avitaillement.
C'est donc à l'issue d'une après-midi de détente intégrale, entrecoupée de quelques bains prudents car il avait repéré plusieurs requins citron aux abords du chantier, que mon capitaine m'a accosté au quai de la goélette.
En effet, à presque 17h, le magasin n'était toujours pas ouvert, ce qui a donné au patron l'occasion de tailler une bavette avec les ménagères du village qui attendaient comme lui l'ouverture du magasin.
Un moment plus tard, il est revenu avec la bouteille de gaz en travers d'un petit diable et un sac plein de légumes frais. J'ai un peu tiqué sur les deux packs d'Hinano, la bière locale, mais bon, le gaz était là, le détendeur aussi, j'allais pas non plus faire mon rabat joie ! L’épicière se faisait, paraît-il, prier au niveau de la consigne qu’elle n’assurait plus normalement et il avait paru de bonne politique au patron d’étoffer un peu la note avec les deux pack de bière. Bon, admettons…
Le temps de ramener le diable au magasin, on était parti!
La marée haute était à 19h30. L'heure de départ idéale aurait été 16h30. Mais la passe était large et bien balisée et surtout je marchais du feu de Dieu, comme on l'avait constaté avec plaisir en traversant le lagon ce matin. Au cas où on rencontrerait un mascaret dans la passe, j'étais maintenant capable de décoller quasiment sur place si le patron balançait les deux moulins en avant toute,
Le soleil était tellement bas qu'il était déjà caché par l'étroite bande de nuages bourgeonnants sur l'horizon. Du coup, on est sortis comme des fleurs sans l'avoir en pleine tronche, comme ça aurait été le cas si on s'était mis en route une heure plus tôt!
A peine dehors, le patron a coupé un moteur et gardé l'autre au ralenti parce qu'il n'aurait servi à rien d'arriver devant la passe de l'atoll d'Ahé avant cinq heures du matin. Pas un pet d'air, pas une ride sur la petite houle du sud… C'est pas ce soir qu'on essaierait les nouvelles drisses!
Je glissais… littéralement! Sur bâbord le ciel s'embrasait, sur tribord les motus d'Apataki défilaient avec lenteur. Toute la nuit a été comme ça, fabuleuse… le ciel inondé d'étoiles, le doux friselis de mes étraves devant, comme accordé sur la vibration tout juste perceptible du moteur qui ronronne à feu doux… Tout autre chose, croyez-moi, que les vrombissements de ponceuse et les couinements de disqueuse!
Le patron pétait la forme et j'étais pas loin derrière. Faut dire qu'on redevient très réceptif à tout ça après un mois entier sans voir la moindre étoile à force de se barricader hermétiquement chaque nuit contre les hordes de moustiques!
Une fois dégagés de la côte ouest d'Apataki, le patron a dormi deux heures. J'étais de nouveau seul à la barre, juste serein et… heureux! D'ailleurs j'y suis resté jusqu'au matin, vu que Cap'tain Philip ne s'est levé que pour liquider une boite de poires au sirop avant de sortir ses éphémérides pour aller fouiller le ciel jusqu'à l'aube depuis la plage avant…
C'est comme ça qu'au petit jour la pointe sud-ouest de l'atoll d'Ahé est sortie sous notre nez. Une petite heure pour remonter jusqu'à la passe de Tiareroa, seul point d'accès au lagon d'Ahé. Beaucoup plus étroite que celle d'Apataki, avec un seuil à la sortie, mais on était en fin de marée montante, c'était bon.
Le maître voilier de Papeete nous a donné un petit bouquin qui nous aide bien dans ces cas-là, la plupart des lagons n'étant pas cartographiés : «carnet d'escale en Polynésie française». Pour ce matin, par exemple, le petit laïus dédié à l'atoll d'Ahé nous apprend que la passe de Tiareroa n'est dangereuse que par houle du nord à marée descendante et aussi que le balisage vers le village de Tenukupara été refait en 2016. Ce qui est fort rassurant car nous devons traverser le lagon de part en part pour accéder au village. C'était le cas aussi à Apataki puisque là-bas, la passe est au sud-ouest de l'atoll, juste devant le village mais que la ferme d'Assam est de l'autre côté, au sud-est. Et là, pas de balisage du tout… Heureusement les coordonnées des deux seules patates dangereuses étaient données sur le site web du chantier. Sinon, c'est à l'ancienne, avec un gars dans la mature et le soleil dans le dos! Evidemment quand on est à la fois seul maître à bord et seule âme qui vive, ce n'est pas immédiat !!!
La ligne du patron était restée bredouille hier. Tant le matin en traversant le lagon, que le soir en longeant l'atoll, mais ce matin un barracuda de sept ou huit livres s'est pris les crocs dans les deux hameçons en même temps juste avant d'arriver au village ! Plus qu'à tirer les filets et à les mettre au frigo en attendant l'avis des gens du cru, puisque le barracuda, suivant les endroits et vorace comme il est, est une des espèces quelquefois contaminé par la Ciguatera à proximité des récifs coralliens .
Tout au bout du chenal on a trouvé le «quai de la goélette» et un peu au-delà un petit port naturel, bien décrit dans notre «carnet d'escale» au bord duquel Bernard Moitessier a habité quelques temps au début des années 70 .
Le patron n'a plus qu'à mouiller ma pioche au beau milieu, puisque j'y suis tout seul, et à partir à la rencontre Tenukapara !!!
Quand je dis tout seul, je parle de voilier évidemment, parce que des plates de service munis de moteurs conséquents, il y en a des dizaines de tous les côtés, vu le nombre impressionnant de fermes marines qu'on a longés, rien que de chaque côté du chenal ! Heureusement, nous, on est un peu dans un cul de sac et on voit tout cette activité d'assez loin.
Voilà, le patron qui revient avec les nouvelles. Pour le barracuda c'est bon. Aucune espèce contaminée dans le lagon. Il a acheté un litre de vinaigre blanc dans une des deux épiceries, et un paquet de betteraves cuites dans l'autre pour préparer ses «tofus» avec les filets du barracuda. Le bureau de poste ne sera ouvert que lundi matin et ici, la petite église est rose bonbon… Le 4X4 des pompiers est flambant neuf et le plus marrant, c'est qu'il y a déjà compté une bonne demie douzaine de pick-up, alors que la piste qui fait le tour du motu ne fait pas 500 mètres de long !!!
Programme de demain: il va à la messe de la petite église rose bonbon… Et ça c'est un vrai scoop !!!