Lily et "Touch me" grand dauphin Tursiops / Passe de Tiputa / Rangiroa

Lundi matin. Lily est donc de retour à Mondésir. La première semaine se passe plutôt bien, Lily s’amuse fort, en fait ! Elle en esbigne un bon paquet de ces petits gendarmes avec son bâton, rien de méchant ni de personnel, bien sûr ! Sous les traces de boue rituelles aux joues, elle se remaquille discrètos avant chaque départ. Les jeunes gendarmes n’osent pas appuyer leurs coups, se contentent de la maîtriser, enfin d’essayer… un simple trait de rouge à lèvres, discret mais suggestif, leur bloque drastiquement l’agressivité… Oh, la Vilaine !!!

Les semaines suivantes. Lily apprend, ce qu’elle n’a pas appris chez Ken… faire sauter une porte, blindée ou pas, une bagnole, bidouiller une centrale de relais, rouler jusqu’à l’abri le plus proche quand une balle vient de défoncer ton gilet pare-balle ; pas seulement pour faire le mariole mais pour éviter d’en prendre une autre là où ça ferait encore plus mal - parce que oui, ça fait quand même très mal, même avec un gilet pare-balle -pratiquer le maniement des armes lourdes, en rafales, au coup par coup sans reculer de trois mètres à chaque fois… Oui, c’est aussi une fâcheuse tendance de ce genre de farce et attrape dans les mains des petits modèles comme Lily… Les sauts, escalades, rappels… etc…

Le capitaine B. ne compte cependant pas intégrer  Lily dans un escadron d’intervention ; il la destine au renseignement. La formation achevée, Lily trouve un arrangement avec le gérant de la Pharmacie. Elle ne lui cache pas la raison de sa demande.  Le vieux pharmacien, n’en croit pas ses oreilles, veut « en être » à tout prix, aménage le planning au mieux ! Lily viendra travailler quand elle n’est pas en mission ! « Vive la France  libre ! », « les français parlent aux français ! » Le vieux patriote revit sa jeunesse sans dissimuler son enthousiasme !!!

Lily continue à fréquenter régulièrement le stand de tir de l’avenue Foch. Le Capitaine B. lui a obtenu une carte à l’année. Elle n’a plus besoin d’être accompagnée. Le moniteur de tir qui lui a jadis conseillé de laisser la frime à d’autres, la trouve très douée, l’aide de son mieux à s’améliorer encore à l’arme de poing. Lui est là depuis des années, connait les ficelles. Un soir il présente à Lily les frères M. (pas de Michel là-dessous, heureusement). Ils tirent bien, mais Lily tire mieux. Les deux frères lui proposent de travailler pour eux comme garde du corps. Lily temporise, sonde le vieil instructeur en aparté.

-         D’où Ils sortent ces types ? De qui ils ont besoin de se protéger ?

Le vieil instructeur se marre.

-         De la police, Lily !

-         Mais qu’est-ce qu’ils foutent là ?

-         Bah, ils ont balancé des gens, rendu des services…  Ici, t’en verra d’autres, Lily, t’inquiète !

C’est sur une des missions confiée par le capitaine B. que Lily rencontre Michel S. (mais on va dire C. pour Concorde). Cette mission là ne l’a pas emmenée loin. Elle n’a même pas eu à sortir du XVIIème arrondissement où B. a toujours ses bureaux, même si entre-temps il a démissionné de la gendarmerie.

Elle est au bar du restaurant panoramique qui occupe le dernier étage de l’immeuble Air-France, porte Maillot. Elle doit approcher un commandant de bord de la compagnie qui a réservé une table mais n’est pas encore là. C’est un autre commandant de bord qui s’assoit sur le tabouret voisin, engage la conversation avec Lily. La cinquantaine extrêmement smart, chevelure argenté, distinction aristocratique. Lily tomberait comme une mouche, si elle n’avait que ça à foutre… Mais sa cible vient d’arriver, accompagnée ; ça va être plus compliqué que prévu. Ils n’ont fait que boire un verre ensemble mais Michel Concorde rejoint des amis à une autre table avec le numéro de Lily dans la poche.

Ils se reverront bientôt et ce sera le début d’une nouba cinq étoiles de plusieurs années pour Lily. Paul (le jadis capitaine B.) est un fêtard, lui aussi. Rien à lui reprocher de ce côté. Malgré son prénom dissonant dans la lignée des amants de Lily, il est parvenu à ses fins, les mois passant. Un petit brun teigneux (pas trop petit quand même), la pêche, pas froid aux yeux, toujours en mouvement, genre Nougaro sur scène, un peu. Une soirée avec Paul, c’est inoubliable ! Déglingue assurée chez les barjots les plus fadas. Seulement voilà : Paul travaille beaucoup, voyage beaucoup. Il est célibataire, dragueur, disparait quelquefois complètement du paysage. Certes dans le métier, les séminaristes sont rares ; Lily s’est fait depuis longtemps une raison.

Michel Concorde lui est « rangé », sa vie est ordonnée comme un jeu de cartes. Rangé, son appartement grand standing avec terrasse panoramique sur le jardin d’acclimatation, à trois encablures de l’immeuble Air France, rangée, l’épouse qui va avec, née sur place à Neuilly sur Seine, milieu respectable, confortablement bourgeois qui donne de si beaux enfants blonds, eux-mêmes en couveuse sur place ; le grand garçon à Pasteur ; la grande fille à Saint-James.

Bien sûr chaque semaine, Michel Concorde disparait pour un aller/retour chez les ricains. Ca aussi c’est réglé comme du papier musique ! Mais quand il revient, le temps d’aller poser sa mallette au jardin d’acclimatation, d’embrasser les mômes et la maman, il est tout à Lily… Les plus grands restaurants, les boites les mieux fréquentées, jet-set, fêtes privées. Sa bourgeoise et ses  rejetons ? Personne ne dit qu’il s’en fout. Il n’en parle jamais, c’est tout.

Il y a autre chose dont ce Michel-là ne parle jamais. C’est de sa jeunesse, de sa formation initiale sur Fouga magister, lorsqu’il n’était qu’un jeune officier frais émoulu de Sup-Aéro. Du temps où les ébauches des futurs mirages-2000 étaient encore sur les planches à dessin et que le Concorde ne volait pas encore à 58. 000 pieds, il fallait bien se contenter des long-courriers lambda de l’époque. Les 707, par exemple, dont Michel, revenu à l’aviation civile ne tarda pas à devenir copilote. Les quatre cinquièmes du trajet Paris/Tokyo consistaient à survoler l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques… On en était aux heures les plus délirantes  de la guerre froide et la DGSE recrutait dans toutes les spécialités, photo-aérienne civile comprise. La mise en orbite des satellites espions était encore loin du stade « recherche et  développement »…. En attendant, ça le faisait !

Il se trouve que par la bande, Lily est en partie au courant. Si elle avait mission d’approcher un autre pilote ce soir là, porte Maillot, c’est parce qu’on savait ce pilote menacé, qu’il fallait l’en avertir et lui proposer une protection. Michel C. est-il toujours de la partie derrière ses tempes argentées et fort séduisantes ? Peut-être… Peut-être pas ? Lily n’investigue que dans le cadre des missions dont elle est chargée. Elle n’en saura jamais rien.

Voilà donc pour Michel Concorde. Valeur sûre dont l’assiduité amoureuse  ne se démentira jamais au cours des dix ans à venir. Attention toutefois ! Tout cela ne conduit pas à un lâche abandon de Julie !!! Entre fêtes baroques et dîners aux chandelles, il reste quelque place pour les gardes entre copines rue du Commerce. Un client régulier, c’est Daniel. Un beau petit gars, lui aussi. Un autre genre, complètement. Sémite dégingandé, rouquin, cheveux courts qui frisent quand même pire que ceux d’un mouton. Très léger accent étranger, indéfinissable, beaucoup d’humour. Il passe quasiment tous les jours mais jamais avant onze heures du soir, acheter sa boite de « Biocanina ». Il plaît beaucoup à Julie qui le voit forcément plus souvent que Lily, compte tenu des activités annexes de cette dernière. Pourtant c’est sur Lily que le choix de Daniel va se porter. Certes le coquin ne manque pas de faire visiter son modeste studio à Lily, à deux pas de la pharmacie, rue de la Croix-Nivert, mais c’est pour lui présenter sa chienne, Maximilienne, dite Max évidemment. Un très inattendu loulou de Poméranie qui, la porte à peine ouverte, saute dans les bras de son maître d’un seul élan sans que celui-ci ait à se baisser. Une espèce naine pour mégère excitée, toute petite boule blanche qui ne tient pas en place, sauf quand son maître lui parle. Daniel n’est pas un tordu de la baise. Les autres non plus, ce n’est pas ce que Lily veut dire. Mais ceux-là oublient rarement de conclure les meilleurs soirées par un petit tour de piste, voir deux à l’occasion…

Le genre de Daniel, ce ne sont pas les restos cotés du pilote de Concorde, ni les bamboulas débridés entre anciens paras de Paul. Plutôt les petits boui-bouis au cœur de Paris. Cinq, six tables, un patron qu’on connait bien, une cuisine exotique, moyen orientale souvent. Des ruelles que ne fréquentent guère les deux autres ; la rue des vertus, le fin fond du marais, celle de la rue des frères Saint Séverin ou de Boutebrie, de l’autre côté de la seine. Ce que semble goûter le plus Daniel, c’est la compagnie de Lily dans ce genre d’endroit, bavarder, plaisanter, boire du bon vin certes, mais à la bouteille ou presque, en tous cas servi par le patron qui s’assoit cinq minutes à la table pour mettre son grain de sel dans leur conversation.

Bon tout ça se passe la nuit, le plus souvent quand Concorde est en virée aux States. Encore un coup sévère au planning des gardes avec Julie qui loin d’être jalouse s’intéresse de près à la question, s’étonne de cette lenteur extrême dans les progrès du courtisan, se demande si elle ne devrait pas prendre un relais pour animer l’affaire…

Bref, dû aux activités variées, tant qu’aux relations multiples de Lily, ces soirées bohèmes avec Daniel restent espacées dans le temps. Pourtant, à la longue, ils finissent par devenir très proches, se sentir très bien ensemble somme toute, sans qu’il soit besoin de grimper aux rideaux à la moindre occasion. Pourtant Lily ignore tout de l’activité de Daniel, si toutefois il en a une ? Il semble plutôt que ses « journées » commencent à l’heure tardive où il descend quotidiennement voir Julie pour la boite Biocanina de Max… Tous ces types qu’il connait dans un Paris finalement beaucoup plus souterrain que celui qu’elle fréquente habituellement ? Ce type vit la nuit ; pas la nuit trépidante de « la ville lumière » familière aux deux autres. Une autre nuit…

Tout ça ne peut qu’intriguer fortement Lily. Mais des questions, elle en a bien assez à glisser sous la nappe quand elle est en mission pour Paul. Elle laisse couler d’eux-mêmes les moments heureux et somme toute pittoresques qu’elle passe avec Daniel et la vie continue, entre missions pour Paul, le plus souvent sur Paris et sa région heureusement, les gardes avec Julie, les restos étoilés avec Concorde, les nuits torrides avec Paul et ses potes.

Pourtant un soir,  dans un boui-boui du XIXème, tout en haut de la rue Mouzaïa, Lily va risquer une question malheureuse…  Pour une fois, c’est une fête. Force musique traditionnelle d’elle ne sait trop où, rires, tournées à répétition offertes par la maison. Tout le monde a l’air de se connaître. Comme d’habitude Daniel semble un familier du tout nouveau patron comme si ils avaient usé leurs frocs sur les bancs de la même communale. C’est la soirée d’inauguration du troquet. Plusieurs jeunes femmes aident au service car la petite salle illuminée et bruyante est pleine à craquer, elles circulent entre les tables avec force assiettes de mezzés et pichets de vin gris. Daniel connaît suffisamment l’une des donzelles pour lui lâcher une petite vanne dans une langue que Lily ne comprend pas mais qu’elle reconnait immédiatement...

-          Tu parles hébreux, Daniel ?

Daniel ne réponds pas directement. Il sourit à Lily et remplit leurs verres avec le pichet que sa copine vient de déposer sur leur table.

-         Ne t’inquiète pas de ça Lily , je ne t’embête pas à propos des boulots que te donne le petit capitaine, ni avec tes soirées mondaines en tête à tête avec ton pilote photographe. Continue à faire la même chose, c’est tellement  sympa ces soirées sous-marin qu’on passe ensemble…

Lily est complètement scotchée. Sifflet coupé. Des couleuvres elle a eu à en avaler, mais alors celle-là… Il lui faut un second verre de vin gris pour refaire surface…

-         Mais comment tu sais tout ça ? Qu’est-ce que ça peut te foutre ?

-         Rien Lily, strictement rien. C’est précisément ce que j’étais en train de te dire. Je le sais, c’est tout et ça ne me dérange pas. Mais ça fait partie de mon boulot de le savoir…

-         C’est pour ça que tu m’as amenée ici ?

-         Non, Lily. Je t’ai amené ici, comme tu dis, parce que c’est aussi ta communauté et je sais que tu l’ignores encore. Ton père a été prudent, c’est tout. Il est arrivé d’Argentine en 1942. Ce n’était pas le meilleur moment pour faire état de ses origines. Il a épousé ta mère en bon catholique qu’il n’était pas avec un passeport bidon qui est devenu ton nom de jeune fille. Nom que tu as précieusement conservé  jusqu’ici, faute d’avoir trouvé le mari idéal malgré tes recherches tous azimuts !

Daniel éclate de rire. Lève haut son verre. Mais il est presque vide. Il fait signe à sa copine.

-         Tu déconnes là, Daniel ?

-         Non Lily, tu es dans l’ordi comme on dit au pays ! Sous ton vrai nom. Si tu crois qu’Esther nous alignerait les pichets à ce rythme si elle pensait que je leur ai amené une shiksé !

Le prétendu hasard est-il à ce point manipulé de là-haut ? Le fait est qu’après trois ans de ces petites « soirées sous-marin » éparses - comme les désigne plaisamment son amant le plus nonchalant - dans autant de petits coins d’ombre propices au badinage, les choses vont brusquement se bousculer…

Pas dès l’abord pourtant. Plusieurs semaines s’écoulent sans signaux de l’un ou l’autre. Le temps probablement que Lily digère et rumine à loisir ces infos très diverses. C’est pourtant bien Lily qui raccroche les wagons la première.  Elle n’a pas pu s’empêcher de rapporter une partie des infos au Capitaine. Elle a même pensé qu’il y allait de sa propre sécurité de le faire. Elle s’est toutefois cantonnée aux infos concernant ce Daniel - clairement un pseudo dans son esprit désormais – les infos la concernant plus personnellement ne regardent nullement Paul, ni personne d’autre d’ailleurs….

La surprise pour Lily, c’est que Paul le connaît ce pseudo, autant qu’il sait qui se cache derrière… C’est le numéro deux sur Paris d'un service à la réputation redoutable, depuis des années ! Paul ne le connaît pas personnellement et il le regrette, voudrait même y remédier. C’est donc la raison apparente de cette reprise de contact : « Paul » aimerait rencontrer « Daniel » et a chargé Lily de lui arranger le coup.

La raison seconde (peut-être même première) est sentimentale, certains l’auront deviné !

Daniel et Lily se retrouvent plus tôt que d’habitude car Lily « est de quart » avec Julie, la nuit suivante. Il fait même encore jour quand Lily grimpe les trois étages de l’immeuble ancien de la rue de la Croix-Nivert. L’heure de retrouver sa copine Julie venue, elle n’aura que deux cent mètres à faire. Et surtout ils auront pour seule public Maximilienne qui n’a que faire de leurs histoires ! Sait-elle seulement que Lily est une des deux dealeuses de biocanina ?

Notre héroïne va de surprise en surprise… La nouvelle est pour ce soir-là, mais la prochaine ne tardera pas….

La réponse de Daniel est en effet très inattendue :

-         Ton petit capitaine je ne le rencontrai pas, Lily. N’y vois aucune mauvaise volonté ou posture de ma part. Ce gars file à mauvais coton. C’est un euphémisme Lily, à mon avis, il va se retrouver très sérieusement dans la merde. Et c’est pour bientôt. Ca me ferait inutilement remarquer de le rencontrer, car figure-toi que ton petit camarade ne fait plus le moindre pas incognito ! Je n’ai aucun conseil à te donner, Lily. On n’a jamais été dans ce registre-là et c’est bien pour ça qu’on s’amuse autant, non ?

Ceci dit, pourquoi ne t’investirais-tu pas davantage dans la pharmacie ?  C’est un boulot intéressant aussi, que je saches ? Surtout en binôme avec une polissonne comme Julie ! Vous devez sacrément rigoler toute la nuit, à l’abri de votre haut comptoir ! Et puis on resterait proches voisins ; c’est un argument, non ?

L’épisode suivant suit de peu. Paul a en effet un nouveau message. Mais cette fois, ce n’est pas la raison première du rendez-vous de Lily avec Daniel. Pas la raison du tout d’ailleurs, car ce message, Lily n’a pas l’intention de le transmettre. Cela pour la bonne raison qu’elle connaît déjà la réponse et que cette réponse bloquerait définitivement l’affaire. Avec Paul sûrement, mais avec elle aussi, pour peu que le vent souffle dans le mauvais sens ce jour-là…

Pourquoi prendrait-elle ce risque alors qu’elle pencherait plutôt pour une réflexion plus approfondie sur le « non-conseil » de Daniel ?

Le cadre de leur rendez-vous suivant a d’ailleurs retrouvé son parfum habituel. C’est cette fois, un petit couscoussier de la rue Boutebrie tenu par un vieux tunisien et son fils, tous deux culs et chemises avec Daniel comme à l’accoutumé. Pourtant cette fois la surprise va être violente. La salle est minuscule, sa largeur est quasiment réduite à celle de la porte d’entrée. Il n’y a que quatre tables dont trois sont occupées. Daniel est déjà là, installé à la dernière, face à la porte d’entrée, dos à celle des toilettes reléguées au fond de l’étroit local. Daniel affiche son sourire habituel tranquille et chaleureux. Il est heureux de voir Lily ; pourquoi le cacherait-il ?  Il n’y a pas de chaise en face de Daniel, Lily s’assoit donc  en face du couvert qui est dressé au côté de Daniel, sur l’étroite banquette en molesquine bordeaux adossée au mur de briques nues. Aucune question gênante au programme ce soir, mais un  Gerrouane  gris qui ressemble assez à celui du pendage de crémaillère de la rue Mouzaïa qui date pourtant déjà de presqu’un mois. Lily n’a pas pour autant oublié l’aspect corsé de ce vin frais et des petites blagues échangées à la volée avec la brune et hiératique Esther à son sujet… Le mystère de la jeunesse de son père dont Daniel semble avoir davantage entendu parler qu’elle, la taraude depuis… mais ce registre-là n’indispose nullement Daniel. Au contraire la soirée s’annonce sous les meilleurs auspices ! Ce ne sont pas des couscous qu’annoncent le sourire malicieux du vieux tunisien mais des Tajines. Végétarien pour Lily, agneau pour Daniel.

Le petit commerce familial – puisque maman est bien sûr derrière les fourneaux – tourne fort bien ; les quatre tables sont occupées maintenant. Deux maghrébins d’une trentaine d’années qui ne dénotent nullement dans le paysage,  se sont installés entre-temps à la dernière table libre, la plus proche de l’entrée. Ils bavardent en buvant du thé à la menthe, tout comme Daniel et Lily qui ont eux opté d’un commun accord pour une seconde boutanche de Gerrouane.

Une violente bourrasque balaye soudain la petite salle dans le sens de la longueur… Un des deux derniers arrivants n’a pas eu le temps de lever son flingue car les deux types de la table voisine l’ont instantanément maîtrisé / Lily, elle, a eu le temps de reconnaître un Beretta 9mm / le type est propulsé la tête la première jusqu’aux toilettes au fond de la salle. Lily ne le reverra jamais. Personne ne le reverra jamais, c’est plus que probable. / L’autre maghrébin, était certainement armé lui aussi, mais plus près de la porte, il a préféré s’enfuir à toutes jambes. Les gardes du corps de Daniel n’étant que deux, ont paré au plus pressé… On ne le reverra pas de sitôt lui non plus. Au moins s’en est-il mieux sorti que son comparse / la quatrième table était occupée par un couple de jeunes amoureux en goguette. Ils refluent vers la sortie au ralenti complètement éberlués. Aucun coup de feu, la police ne viendra pas ; ce n’est pas eux qui iront la chercher ! Eux reculent à pas prudents vers la porte que le fils de la maison leur ouvre obligeamment. Ils se serrent fort par la main en attendant mieux, se déplacent à reculons sans quitter des yeux leurs surprenants convives, bizarrement penchés vers l’avant, recroquevillés sur eux-mêmes plutôt, peut-être pour éviter les balles perdues…

Un dernier geste éloquent du soupirant qui dit tout à la fois «  excusez-nous m’ssieurs dames, on n’y est strictement pour rien ! Excusez-nous encore, vraiment… On s’en va de ce pas !». Ils sont partis. On ne les reverra pas non plus.

Le coup de Kahmsin est derrière. Lily reprend ses esprits… « Quand même ! s’avoue-t-elle in petto… ». Puis la réalité s’impose à elle. Daniel était sur ses gardes, Lily s’en rend compte maintenant, ses gardes du corps aussi. Ces types, ils les attendaient. Ils les attendaient parce que Lily allait les y amener, à son insu bien sûr. Mais tout le monde était au courant, papa et fiston compris ; maman même, peut-être, dans sa cuisine… Tous ces bouis-bouis où Daniel, l’a invitée depuis tout ce temps, dans le jargon, ça s’appelle des protecteurs.  Lily connaît. Mais un tel réseau ! Ça, c’est du jamais vu !!!

Daniel a simplement raison. Le capitaine B. est pisté comme un loup malade comme tout ceux qui l’approchent. Ceux qui pistent ceux-là se font pister à leur tour et ça donne ça…

Or Lily ne fait pas qu’approcher Paul, c’est devenu son âme damnée et sa couverture de pharmacienne rangée ne vaut plus tripette ! Elle se doit d’admettre que Daniel et Paul, et a fortiori elle, ne jouent pas dans la même cour. Elle a été formée à ce boulot, elle en connaît les limites. Et là, franchement, ça dépasse l’entendement ! Ca fait plus de trois ans qu’elle fréquente Daniel, or ces deux types, elle ne les a jamais vus… Jamais remarqués en tous cas ! Elle n’a même jamais soupçonné que Daniel pouvait bénéficier d’autre protection que celle de Maximilienne qui lui saute dans les bras en toute confiance comme si son maître était le plus doux des agneaux ! Ce qu’il paraît à tous en effet, Julie comprise !

« Je t’aime parce que tu es moi au féminin ! » Le madrigal dont Paul a voulu l’honorer devant ses copains un soir de fête bien arrosée, lui paraît soudain creux… Bref, un sérieux petit coup de blues… La nuit suivante, elle se rêve déambulant dans les rues avec une étiquette « porte-poisse » sur le front… Allons-bon !

Le fait est que ce vilain cauchemar a une suite le lendemain, tout à fait consciente cette fois. Lily réalise qu’elle croise fréquemment des émissaires africains dans l’ascenseur de l’immeuble où Paul a ses bureaux. Pas si souvent en fait car elle, préfère les escaliers. Ce n’est pas nouveau d’ailleurs, la protection rapprochée des potentats d’Afrique de l’ouest a été depuis le départ un des meilleurs filons de l’agence. C’est juste qu’il y en a plus et qu’ils ne ressemblent plus vraiment à des chefs de cabinet…. Se pourrait-il que Paul prenne le risque de se mouiller dans des histoires de trafic d’armes ? Par ailleurs, Lily a l’impression que le capitaine B. ne s’intéresse plus vraiment au Renseignement proprement dit. C’est vrai que ça n’a jamais été sa marotte et que même bien fait, ça ne rapporte pas tant de fric que ça (surtout quand c’est pour le compte de l’état français, radin comme c’est à peine permis). Peut-être que Paul a besoin de beaucoup plus de fric ? Côté investigation, c’est un peu pareil. Pourtant ça, ça peut rapporter gros, merde ! …Suffit de bien choisir ses clients (éviter l’état français de nouveau, qui paye peu et tard !). Là aussi, Paul a plutôt tendance à piocher dans ses réserves. Genre :

-         T’as besoin d’une pharmacienne ? J’ai ce qu’il te faut, démerde-toi avec elle !

Paul, Lily le connait sur le bout de ses ongles acérés ; c’est un déconneur, un des plus graves qu’elle connaisse même ! Mais c’est un bon gars. Evidemment au niveau où il est, s’il s’est embarqué dans un truc un peu trop borderline qui a, en plus, foiré, il peut se retrouver avec de sacrées dettes… Du très très lourd peut-être ? C’est vrai que son humeur a changé. Pas récemment, non. Plutôt progressivement en quelques mois.

Paul a récemment assigné une mission à Lily. Un truc plutôt délicat sur la côte d’Azur en duo avec un autre type de l’agence qui habite sur place. C’est pour la fin du mois. Lily a déjà prévenu son complice, le vieux pharmacien. Aucun problème de son côté. Ah s’il avait, ne serait-ce que  trente cinq ans de moins, il en serait que diable ! Tous en garde ! Sus à l’ennemi ! A bas ces planqués de pharmaciens …!

Non là, c’est moi, Climax ! Je déconne, emporté par l’élan patriote … Le vieux bonhomme a juste terminé par « à bas les planqués ! » mais je suis sûr qu’il pensait d’abord à tous ses collègues aussi confortablement établis que lui ! Pas à lui, bien sûr, qui a vécu la dernière débâcle en première ligne et erré comme tout un chacun au petit bonheur vers le sud sur les routes encombrées de charrettes !

Mais le destin l’a finalement élu ; avec quel panache il se rattrape aujourd’hui dans l’ombre de Lily ! De toute façon, comme Lily le lui a expliqué…  le tir, c’est d’abord un truc de fille !


                                                                FIN DE l'EPISODE