Pas mal le p'tit réchaud ! « Made in china » of course… Mais assez large et bien stable. Le patron est assez fier de sa trouvaille... Pas tant que le jour où il est revenu avec le petit moteur électrique pour l'annexe sous le bras, évidemment ! Là, il pavanait carrément… Même si le dit moteur était tout déglingué ! Mais il l'a bien rafistolé, je reconnais.
Non là, il me dit juste : « Ça fera l'affaire, non ? »
Oui, c'est vrai que j'ai un peu survolé cette histoire de réchaud hier. Bien sûr qu'on n'a pas l'intention d'abandonner Vénus à son sort de but en blanc ! Le truc, c'est juste qu'on n'a plus de bouteille de rechange. Et qu'il nous faut une sécurité au cas où celle qui est en place se retrouverait vide... Bon, mon Capitaine, il fait pas dans la grande cuisine, je vous l'ai déjà dit, du coup on aura plus que probablement le temps d'arriver dans un pays dont les habitants utilisent autre chose que des explosifs pour faire la cuisine avant qu'elle ne soit vide. Sauf qu'à bord d'un bateau on peut pas prendre ce genre de risque. D'ailleurs, à force de petits cafés, de chapatis et de maquereaux grillé à la poêle, mathématiquement, elle sera vide un jour cette bouteille !
Bon, cette mise au point faite, j'en reviens à mon Capitaine... Ça fait donc déjà trois quatre jours, qu'il se balade en vélo, le patron. Grand bien lui fasse ! Mais je sens bien que dès qu'il aura réglé les petits problèmes en cours, il va pas tarder à avoir la bougeotte. L'endroit lui plaît pas vraiment... Je le vois bien ! Rien à voir avec Albany, Portland, Tamar river, Bermaguy, Laurieton ou même Rose bay où il s'était fait des copains dès le premier jour ! Ici, je suis quasiment certain, qu'en dehors du réparateur de vélo et de l'expert en soudure aluminium, il a parlé à personne, le vieux...
D'ailleurs il sera pas bien long à confirmer mon sentiment, le capitaine... Vu qu'avant même d'avoir fini son café, le lendemain matin, il me fait part de son intention de se mettre en quête du bureau de la « Border Force » pour « voir un peu où ça en est, cette histoire de frontière fermée... »
Bon, le voilà parti avec son petit sac à dos et son panier d’osier… Je préfère autant qu’il ne soit pas là, tant que je vous reparle de cette sale histoire de démâtage… Il aimerait pas ça… Pire, y comprendrait pas tant y’a rien à raconter… Et ça, c’est vrai… Un démâtage c’est un coup très dur qui te tombe dessus sans prévenir quand tout allait tellement bien… C’est beaucoup de bruit, beaucoup d’adrénaline, beaucoup de souffrance, tout ça concentré sur un court instant de malheur. C’est un putain de choc et du coup, tu penses plus à rien, tu perçois dans un semi-coma toute la longue liste des gestes que ton capitaine et son équipage font machinalement pour sauver leur peau et la tienne.
T’es impuissant, et lui tu sais qu’il pense à rien non plus… Qu’il fait juste tous ces gestes qu’il sait qu’il faut qu’il fasse et dans quel ordre, sans penser à rien jusqu’au moment où c’est fini, où tout le gréement part vers le fond dans un silence assourdissant… Parce que le bruit de la mer, tu l’entends plus depuis longtemps…Ça peut durer une heure comme quatre et comme par hasard, c’est toujours en pleine nuit… Quand le jour se lève, il te reste que ta coque, souvent bien éraflée en plus… Et c’est seulement là qu’y en a un qui ouvre enfin le bec… « Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
Voilà, c’est ça… Y’a rien d’autre à raconter, j’suis bien d’accord là-dessus. Mais même pour ça, je préfère qu’y soit parti en vadrouille sur son petit vélo plutôt que ressasser tout ça ensemble…
On était parti de Nosy-Be quelques jours plus tôt. Fallait qu’on aille doubler le cap d’Ambre qui est la pointe Nord de Madagascar. Un endroit difficile, dans ce sens-là en particulier, à la réputation sulfureuse ! Mais là on était bien passé. Pour une fois, il faisait même beau, là-haut ! Le couchant était magnifique !
Une fois tourné le phare, on a eu le vent contre. Obligé, l’alizée de Sud-Est. On l’aurait jusqu’à Sainte-Marie… Plus question de voile ! On tournait sur un moteur, alternativement. Mais, même comme ça, le plein de Gasoil qu’on avait fait au départ, suffirait pas. On avait prévu une escale à Vohémar, à peu près à mi-chemin de cette redescente vers Sainte-Marie.
Tiens, pour vous parler d’un truc plus rigolo, elle, je vous la raconte l’escale de Vohémar ! Donc déjà Vohémar faut vraiment le savoir que c’est à Madagascar parce qu’il y a que des chinois ! Bon des chinois qui sont surement malgaches, remarquez, depuis le temps. Quand même ça les a surpris, Charles et le Cap'tain Philip qu’étaient descendus à terre avec leur kyrielle de bidons vides pour faire le gasoil.
Moi, j’étais mouillé au beau milieu de cette immense baie particulièrement calme car elle est entièrement fermée, à l’exception du petit goulet dans lequel on se faufile entre quelques bouées pour rentrer. Et c’est là, dans ce calme idyllique, qu’elles ont eu la peur de leur vie, Géraldine et Maman’Carla ! Sans prévenir le moteur du guindeau s’est mis en route… Tout seul ! Corrosion du contacteur ? Goutte d’eau salée tombée juste à l’endroit où fallait pas ? Bref, le guindeau a remonté sans vergogne les 30 ou 40 mètres de chaîne que Cap'tain Philip et Charles avaient dû donner à l’ancre avant de partir… Géraldine s’était précipitée sur la commande du guindeau… NIB… inactive, la commande ! Le guindeau a continué à tourner à toute berzingue jusqu’à ce que l’ancre vienne se bloquer avec un boucan épouvantable dans le chomar… Sans rien péter, heureusement, et que le disjoncteur saute dans la foulée…
Heureusement encore, il n’y avait quasiment ni vent ni courant dans cette immense cirque entouré de montagnes et je suis quasiment resté sur place. A tel point que quand mes deux coursiers sont revenus avec leur bidons pleins une heure après, ils ne se sont rendus compte de rien. Il a fallu que les filles expliquent leur malheur et comme elles parlaient en même temps, même moi qui connaissait toute l’histoire, j’y pigeait que dalle à leurs explications ! Mon Capitaine les regardait ahuri… Et le plus rigolo c’est qu’il ne les croyait pas ! Il les observait alternativement, soupçonneux. Finalement, il est allé voir le fusible du guindeau dans la soute moteur puisque là-dessus, au moins, il ne pouvait pas y’avoir d’arnaque, vu que y’a que lui et moi qui savons où il est ce fusible-là…
Quand il a ressorti sa tête de la soute, mon capitaine, son expression avait changé. Il avait compris qu’elle pouvait être que vraie l’histoire à la mords moi le nœud des filles ! Il est allé voir à l’avant, et quand il a vu qu’il y avait pas de casse, il s’est mis à rigoler Cap'tain Philip en imaginant leurs têtes, à toutes les deux, quand c’était arrivé.
Dès qu’on est ressorti de là, le lendemain matin on s’est retrouvé face au vent et à la mer vraiment foutraque dans ce coin-là, houles courtes croisées. Vraiment éprouvant, surtout pour la petite famille de Charles qu’avait pas du tout le pied marin. A l’exception de la petite Carla qu’avait l’air, elle, de beaucoup s’amuser. Y’aurait plus de port avant Sainte-Marie qu’était encore à 200 milles devant. Mais on s’est abrités deux fois dans des ouvertures du récif pour passer la nuit à l’ancre.
La deuxième fois, vers 2 heures du matin, mon capitaine a voulu profiter d’une petite brise de terre qui s’était bien levée. On est donc parti sous voiles vers le large. Et là, environ une demi-heure après, le vent est revenu au Sud-Est et le mât est tombé.