FURAX

Une sacrée bagarre pour hisser ce foc 2, croyez-moi ! Même si effectivement ça avait légèrement molli à environ 20 nœuds et c’est justement ce qui motivait le patron… On avait devant nous plusieurs jours de sud-est modéré et avec 20 nœuds de vent par le travers, ses 20 m2 suffiraient pour me tirer à 4 petits nœuds. Bien sûr c’était modeste mais le gros plus aux yeux du vieux, c’est qu’une fois ce foutu foc bordé, il n’aurait strictement plus rien à foutre… Juste se reposer et dormir, et encore, dormir et se reposer… j’assurerai le reste !

Deux heures de claquements et sifflements divers et furax, interrompus seulement quand le point de drisse se bloquait ferme quelque part, bas haubans, auto-porteurs, barres de flèche, etc… Il fallait alors changer de cap jusqu’à inverser la pression du vent, avant de tirer à hue et à dia à la force des bras comme un malade pour libérer la toile entortillée… puis retourner dans le lit du vent et attendre une relative accalmie pour prendre quelques tours de winch en plus, avant que la drisse n’aille se bloquer ailleurs…et tout ça en surveillant de très près ce winch, vu qu’il avait poinçonné le pont dans des circonstances identiques pendant les essais avant le départ de Rodrigues… Guindant libre = « Jeu de vilain » !!! On le savait et avec le voilier à Nouméa on avait parlé de mettre des mousquetons pour gréer une voile de secours sur le bas étai flambant neuf. Mais c’était à propos du vieux génois acheté en lot avec le mât. Et le gars nous l’avait déconseillé, vu le prix au mousqueton et l’état de la voile. Mais bien sûr, sur le foc 2 qui est neuf et sur lequel 5 ou 6 mousquetons auraient suffi, ça se justifiait complètement… On le fera sans faute à la prochaine escale…

Du coup on n’est pas arrivé vraiment en haut. Mais dès que la voile a commencé à porter, le vieux m’a mis cap au nord-est et a gentiment bordé l’écoute. Même si le guindant de ce foutu foc ressemblait à un croissant de lune, je les faisais mes 4 nœuds ! C’est tout ce qu’on demandait pour le moment…

Alors un truc vraiment étrange, c’est qu’on est seuls au monde ! En tous cas, c‘est vraiment l’impression qu’on a… Pas aperçu le moindre mât ni la moindre cheminée sur l’horizon depuis l’île des pins !!! Comme si le covid avait aussi vidé la mer ! En temps normal, bon an mal an, on croise un bateau par jour en haute mer, un peu plus si on est sur une route fréquentée par les cargos. Mais là, NIB ! Mais alors NIB de NIB !!!

À l’heure où je vous parle, la brise de sud-est a bien molli et avec notre petit foc on commence à lambiner sérieux… Surtout que la mer qui était très forte tous ces derniers jours est encore agitée et que pour s’installer au soleil avec un bouquin toute voile affalée, c’est pas encore vraiment ça… mais d’ici demain, ça va devenir la seule option raisonnable, vu qu’on a une grosse calmasse devant nous ; genre deux à trois jours minimum. Espérons que le patron pourra en profiter pour nous bricoler le vit-de-mulet ! Sinon on n’est pas rendu… Papeete est à 1233’ !