Figurez-vous que mon safran bâbord a un sérieux pet suite à l’échouage au milieu des patates. La quille Tribord aussi ! L’autre quille a à peine touché, par contre elle n’avait jamais été correctement réparée depuis l’épisode de l’île Rodrigues pour ceux qui suivent mes avatars depuis Madagascar.   Bref, il faut me mettre au sec pour réparer tout ça…

Le patron s’est renseigné. Le seul chantier dans nos prix est à Taravao, la magnifique baie au sud de l’île de Tahiti où nous sommes « allés en week-end » tout récemment ! Outre que le gars ne peut nous garder que 15 jours, l’endroit nous a paru très humide, ce qui est quasiment rédhibitoire pour le travail des composites. Et pour tout arranger, le bled n’a guère plu à mon capitaine. C’est bien simple, à part le petit troquet où trois vahinés lui ont préparé un Tofu sur mesure, il ne m’en a même pas reparlé de ce bled en fait !

C’est dans une brochure offerte par le maître voilier que Tonton a découvert ce petit chantier aux Tuamotu. La réponse est arrivée le soir même sur l’iridium. Là, on pouvait rester au sec le temps qu’on voulait pour un coût très raisonnable. L’hygrométrie serait idéale et le charriot pouvait sortir des bateaux de 17 tonnes, alors que je n’en pèse que huit tout mouillé.

Destination les Tuamotu donc ! Plus précisément l’atoll d’Apataki à 220’ au Nord-Est de Papeete…

Un coup d’œil sur la météo de la semaine à venir ; même si il y a peu d’espoir de trouver du portant dans ce coin où l’alizée règne en maître… non, ce qu’il nous fallait c’était une fenêtre de 2 jours avec des vents inférieurs à 10 nœuds. Avec mes deux moteurs à mi-régime on y serait en une quarantaine d’heures. Ça nous boufferait un demi plein, mais après ce serait les vacances ! On attendrait tranquillement Géraldine au sec et quand tout ce business COVID serait enfin éventé, on n’aurait plus qu’à me remettre à l’eau pour revenir à Papeete chercher Madame…  à la voile, cette fois !

Une fenêtre comme ça y’en avait une à la fin de la semaine suivante. Et ça tombait très bien parce que le « président » du club de pêche de Faa’a venait de nous donner une semaine pour libérer son corps mort… ça nous menait au jeudi suivant. On a donc commencé à se préparer doucement en scrutant les fichiers météo matin et soir.

Se préparer ça voulait surtout dire ne pas oublier le moindre iota dans la liste des matériaux et fournitures à stocker en vue des travaux . vu qu’on n’avait aucune idée de ce qu’on trouverait sur place, mieux valait avoir tout à bord…

Jour après jour, Cap’tain Philip a donc constitué son stock avec soin, tout en continuant ses visites journalières à la médiathèque et en tapant généreusement dans leur stock de BD… On avait une semaine devant nous ; pas de problème donc. Entre temps, il s’est fait piquer le vélo de Giovanni par des gosses et a rencontré, en la personne du mari de la gargotière où il avait ses habitudes, un natif d’Apataki.

Le gars n’avait pas grand-chose d’autre à faire que de bavarder avec les clients de sa femme, puisque, matriarcat oblige, les tahitiens mâles, bien que très puissant physiquement – 200 à 300 livres par tête de pipe – se contentent d’aller à la pêche le matin et de jouer aux boules l’après-midi… le nirvana ! Il a donc appris un tas de truc à Tonton sur notre future destination. Lorsqu’il avait quitté son île à l’âge de 10 ans, l’atoll comptait 400 âmes, et son économie était entièrement tournée vers la culture des huitres perlières. Activité qui avait décrue, particulièrement cette dernière décennie, à cause de l’effondrement des cours. Jadis répartie sur les fermes perlières installées tout autour de l’atoll, elle était tombée à 300 âmes regroupées aujourd’hui dans deux villages construits à proximité des deux seules passes d’entrée dans le lagon.

Giovanni n’est pas resté plus de 2 jours sans vélo ! Coup de bol l’employée qui avait réparé mon lazzy bag à la voilerie de Nuutania, en avait un à vendre… le mardi soir l’affaire était conclue à 50 euros ! Et franchement Giovanni ne perdait pas au change ! L’autre avait disparu le dimanche à l’intérieur du club d’aviron pourtant fermé ce jour-là. L’antivol était attaché sur un tronc d’arbre et les petits sagouins étaient passées par la plage, avaient tout simplement coupé l’arbre et emmené le vélo par le même chemin !

Le mercredi soir la fenêtre ne s’était pas fermée ; vents faibles d’est à nord-est, forts grains d’orage, mais au moteur c’était secondaire. Un départ à dix-huit heures le lendemain jeudi nous amènerait dans la matinée du samedi devant la passe sud d’Apataki. La marée serait basse à 11H, mais le courant de reflux est tellement puissant dans ces passes qu’il faut souvent attendre deux ou trois heures avant que le courant ne finisse par s’inverser. C’est le bon moment pour s’y engager.

Histoire qu’on n’ait pas un soucis de dernière minute avec les autochtones, Cap’tain Philip, en partant faire les dernières courses le matin, s’est arrêté au club de pêche pour signaler au président qu’à 17h on aurait dégagé…. Et il avait été à l’heure pour une fois ! À17 heures il a embarqué le nouveau vélo, remonté l’annexe, rangé - si on peut dire - Charly (le petit moteur électrique) dans le souk des cabines avant. Plus qu’à larguer le mouillage, longer la piste de l’aéroport à l’abri du récif, et à 18h00 pétantes on signalait à la vigie du port qu’on sortait par la grande passe à destination d’Apataki.

Traversée sans histoires. Pas mal de grains la première nuit, un ciel magnifiquement étoilé la seconde. Au petit matin du deuxième jour on était donc en vue de l’atoll de Kaukura qu’on a contourné par l’Est. Très sauvage, sans doute inhabité faute de passe navigable. Inhabité par les hommes mais pas par les oiseaux, bien sûr ! J’ai même eu une très élégante passagère un bon moment sur le balcon. Jugez par vous-même…

Il nous restait trois heures de route pour arriver devant la passe sud d'Apataki, dont l'une le long la côte nord de l'atoll Kaukura…

Chemin faisant, bercé par le ronronnement des moteurs, je vous rapporte la dernière histoire que m’a racontée Tonton en revenant à bord un soir, son petit sac à l’épaule. Une histoire qui montre à tout le moins, à quel point Papeete est bien aux antipodes….

C’était un de nos premiers jours au mouillage de Faa’a et le patron était parti de bon matin à la recherche de la CPS (caisse de prévoyance sociale)… C’est donc le soir, au retour, qu’il m’a raconté l’histoire…«  Il est huit heure du mat et me voilà dans le bus qui mène vers le centre ville. En fait je voudrais aller un peu plus loin que le centre commerçant proprement dit, jusqu’à un bâtiment administratif qui abrite la dite CPS. D’après mon plan, c’est à un gros km vers l’est au-delà du centre ville dans le quartier de Mauno.

Une fois bien installé, la première sueur passée - il fait déjà très chaud à huit heures du matin à Papeete – je m’adresse à la petite dame assise devant moi pour lui demander si par chance le bus continuerait vers Mauno après avoir traversé le centre-ville… Elle me répond très aimablement sur le mode à la fois détendu et attentionné en usage ici, assez proche du mode malgache d’ailleurs mais moins brouillon et en tous cas à des années-lumière du mode métropolitain agacé, quand ce n’est pas hostile, que malheureusement elle descend toujours au même arrêt du centre-ville et ignore du coup tout du parcours ultérieur du bus… sourires affables/ fin de la conversation. Je me dis que je vais tout simplement suivre sur mon plan pour voir si le bus continue dans la bonne direction au sortir du centre, sinon je descendrai à la première station et je serai bon pour continuer à pince. Demander au chauffeur est illusoire ; entre le barouf du moteur à l’avant du vieux bus, l’accent roulant des polynésiens, le masque obligatoire et le fait que je commence à être sérieusement dur de la feuille…

Bref, arrive le centre-ville. Une petite moitié des passagers se lèvent, dont évidemment la petite dame. Quitte à bloquer la file des passagers qui s’apprêtent à descendre, elle s’adresse au chauffeur quand elle arrive à son niveau. Ici, pas de « ALORS VOUS DESCENDEZ OU QUOI ? ». La file attend tranquillement que la petite dame ait posé sa question et obtenu sa réponse… Suite à quoi le chauffeur se retourne et la petite dame m’ayant désigné, il me fait un signe qui peut s’interpréter de la sorte « Venez me voir quand l’allée sera libre »…

La petite dame descend, la file à sa suite et je m’approche enfin du chauffeur jovial et rigolard qui me demande où je vais exactement à Mauno… « Ah, la CPS, enchaîne-t-il, pas de problème, je vous y emmène ; j’ai largement le temps avant mon prochain départ ! »

En fait, on était au terminus, mais je ne m’en étais pas immédiatement rendu compte, car ce n’est pas du tout dans les gènes des polynésiens de se lever tous en même temps au prétexte qu’on arrive au terminus ! Faut dire que les 200 livres faut les porter une fois qu’on les a mises debout… Et à moins de 200 livres ici, on ne trouve guère que les ados, et encore…

Voilà, sans s’arrêter de blaguer une seconde, le gars m’a emmené avec son bus de 15 mètres pile devant la CPS, planquée dans une rue transversale à un bon km en effet du terminus du bus. Crissement de pneu et redémarrage express… Tchao vazaha et belle journée !

Je dis « vazaha » en pensant à Madagascar, où la même scène aurait fort bien pu se passer à bord d’un « taxi be » ( taxi collectif de trente passagers mini pour une douzaine de place maxi autorisées) qui serait arrivé à son terminus avec un peu d’avance ( ou pas d’ailleurs… qu’est ce que ça veut dire « un peu d’avance » pour un malgache ? strictement rien , c’est du chinois ! autant parler de rendez-vous urgent à un caméléon au fond de la forêt ! ). Mais, à Madagascar la signification aurait été légèrement différente toutefois, genre, « tiens je vais rendre ce petit service au vazaha, y’aura surement un bon pourboire à la clef ! » Là, pas du tout ! C’était juste pour rigoler ! J’ai parfaitement senti que sortir un billet de 500 (le plus petit/ environ 4 euros) aurait été tout à fait malvenu, voire insultant…

N’imaginez pas que j’ai lambiné en réécoutant d’une oreille distraite l’histoire de tonton ! on y est quasiment devant la passe d’Apataki, à l’heure idoine en plus ! Elle est large à l’entrée, plus étroite à la sortie dans le lagon, mais bien balisée, pas de problème. Pas de photo non plus car le patron est concentré sur le petit village établi sur le coté sud de la passe et s’interroge…. Va-t-on s’arrêter pour une visite de courtoisie au poste de gendarmerie local avant de traverser le lagon puisque le chantier est au sud-est de l’atoll ? Un petit clocher gris en bardeau, quelques cases de plein pied, un bâtiment jaune, entrepôt ou magasin, rien de remarquable. Il y a bien un petit quai, mais il n’y a de place que pour un seul bateau et il y a toutes les chances qu’il soit réservé aux navires de transport. Sur la carte, un mouillage à l’est du village paraît possible, mais l’endroit est occupé par de nombreuses bouées qui balisent une ferme d’élevage ou même plusieurs. Le patron rebalance mes moteurs en avant, au ralenti cette fois car le lagon n’est pas cartographié. Sur le site web du chantier la position d’une patate dangereuse à mi-chemin environ entre la passe et le chantier est indiquée, et Cap’tain Philip l’a reporté sur le GPS. Pour le reste le soleil est encore haut et derrière nous ; on voit parfaitement les fonds devant.

Il est immense ce lagon… Ce n’est que deux bonnes heures plus tard que Tonton mouille ma pioche devant le chantier. Il y a cinq ou six autres bateaux au mouillage et une forêt de mat à terre au milieu de cocotiers.

lagon d'Apataki

Comme on est samedi on s’installe gentiment pour un « week-end détente » au mouillage. Le temps s’y prêtre parfaitement et l’endroit est magnifique. Je suis à un gros quart de mille de la plage sur de fonds de 10 mètres. Il faudra s’approcher un peu lundi matin avant de mettre l’annexe à l’eau, pour ménager la petite batterie de Charlie… Aussitôt Charlie rassuré le patron averti le chantier de notre arrivée et… à nous le farniente !!!

C'est le mardi matin qu'on m'a tiré au sec. Je suis pas mal, les voisins sont sympa. Il faut que mes quilles sèchent plusieurs jours avant que le patron se mette au boulot. Remarquez, moi je suis pas pressé, hein! Vu qu'il va commencer par la disqueuse, le plus tard sera le mieux ... C'est comme chez le dentiste!

Du coup, il est parti découvrir les environs, Cap'tain Philip, avec son petit sac à dos et sa serviette de bain ...