Comme vous le savez, à moins que vous ne soyez de tout nouveaux venus à bord, je suis mouillé dans un atoll des Tuamotus à l’abri du Maramu qui souffle de temps à autre sur l’archipel, avec le patron qui est là sans être là, plus fêtard que poète, lui ! Pas le genre à me laisser mochement tomber toutefois. Il rentre tous les soirs à mon bord, dans un état qui varie d’un jour sur l’autre. Le matin, il a généralement récupéré. Assez en tout cas pour se préparer un petit-déj’ fumant, avant d’enchaîner avec les bricoles du bord. Ça lui arrive même de briquer ma gazinière, nettoyer mon frigo, même mes chiottes vu qu’il n’a pas de mousse sous la main. Après il se tire et je ne me sens nullement responsable ni comptable de ses éventuelles dérives. Chacun sa merde !

Tout ça pour vous dire qu’on essaye, chacun de notre côté, d'attendre Géraldine dans une relative bonne humeur malgré toutes les difficultés que comportent son voyage... Moi je jouis avec philosophie de ce mouillage tranquille dans la quiétude et la confiance. Le patron vit sa vie de marin en escale sans faire d’excès ; du moins je l’espère…

sunset sur le mouillage de Tiputa / Rangiroa

Donc voilà, pour vous et vous seuls, je vais raconter l’histoire d’un vieil oncle. Bon, vous allez me dire, coupeurs de cheveux en quatre comme je vous sais déjà, qu’est-ce que c’est qu’un oncle pour fringant coursier des océans tel que moi ?

Eh bien c’est autre coursier, d’une autre génération, construit dans un chantier voisin. Sinon entre nous, on parle de grand-frère ou de grande-sœur quand il s’agit du même chantier. En effet, nous, les voiliers francophones, nous sommes genrés. Côté viril, les sloops et les ketchs par exemple ; côté jupon, les goélettes et les yoles, brigantines d’un autre siècle ou galère du temps où l’on ne sortait les voiles que par vents favorables. À l’inverse de nos ennemis jurés, les anglo-saxons qui eux nous attribuent d’autorité le sexe faible. Une faveur à leurs yeux, un total manque d’à-propos aux nôtres.

Bref, pour en revenir à ce vieil oncle, il s’appelait «Maggic Blue » et je m’en sens d’autant plus proche que son patron était – vous l’avez tous deviné ! – Cap’tain Philip, qu’on affublait à l’époque de l’inquiétant sobriquet de «rase caillou»… Voilà donc son histoire !

Mon capitaine avait les dents fort aiguisées à l'époque

Sorti des chantiers Charentais Gibert-Marine , voisin du nôtre, donc, à ma grande sœur Galathée la précieuse, que vous connaissez déjà, et à moi-même, une bonne douzaine d’année avant nous, mon oncle n’en était pas à son premier Capitaine. C’est en 1985 que Cap’tain Philip l’avait acquis à Toulon avec quatre copains voileux.

Trois étés durant, les cinq compères écumèrent les mers voisines, mer de Ligure, des Baléares, Tyrrhénienne, Ionienne, canal de Sicile et autres eaux maltaises. Ce faisant, l’envie leur vint d’en découvrir de plus lointaines. La plus futée de l’équipe de choc soumit aux autres loustics une idée simple et facile à mettre en œuvre pour Cap’tain Philip qui bien qu’encore jeune et beau avait déjà lié de nombreux contacts dans la corporation des bouffeurs d’écoute…

Maggic Blue en route vers Itaque (mer Ionienne)

On allait louer Maggic Blue à un professionnel du secteur et relouer un autre voilier au-delà du canal de Corinthe, au seuil de la mer Egée et de ses mille îles et îlots !

Ainsi fût fait.

Après six semaines de tours et détours entre Cyclades, Dodécanèse, Rhodes et les côtes turques jusqu’à Chypre la mystérieuse, la consœur affrétée pas l’équipe de curieux rentra au Pirée, son port d’attache.

Le port d’attache de Mon oncle était, lui, toujours Toulon, où il avait dû rentrer la même semaine. De retour du Pirée, la première visite des cinq amis fut bien sûr pour le ponton du port marchand où leur Maggic Blue payait sa place à l’année.

Mais le gaillard n’était pas à son poste. C’est là que commence vraiment cette histoire…

&&&&&

Renseignements pris auprès du bureau du port. Mon oncle était bien rentré au port le samedi précédent avec un jour d’avance sur la date prévue dans le contrat de location. On était déjà dans les premiers jours du mois de septembre. Il n’y avait déjà plus grand monde sur les bateaux voisins. Personne en tous cas pour témoigner du moindre mouvement. Un coup de fil au locataire, une école de fun-bord voisine n’apporta aucun élément nouveau. Le skipper avait bien rendu au bureau du port les clefs et les papiers du bateau après avoir solidement amarré Maggic Blue à sa place à quai, le samedi 31 dans l’après midi…

Le coquin s’était donc volatilisé entre un samedi 31 aout et ce jour-là, jeudi de la semaine suivante… Sans ses clefs ni son acte de francisation, restés eux au bureau du port !

Des cinq compères, trois avaient déjà largement débordé concernant leurs dates de congés et devaient reprendre le boulot sans tarder davantage. Restaient Cap’tain Philip et Isabelle, une camarguaise endurante et peu impressionnable.

isabelle

Impossible donc de savoir quel jour avait précisément disparu leur bateau, mais ça ne pouvait être qu’au cours de la semaine en cours. Au plus tôt le dimanche précédent. Tout ce qu’ils pouvaient faire c’était réagir vite. Dresser un plan, foncer et prier pour avoir de la chance ! Cap’tain Philip avec sa Ducati rouge pétard, Isabelle avec sa deux-chevaux vert pomme. Chacun d’un côté. Isabelle vers l’ouest et la frontière espagnole, Cap’tain Philip vers l’Est et la frontière italienne, avec chacun sous le bras un bon paquet de tracts à afficher dans tous les ports visités… une bonne centaine de chaque côté, jusqu’aux frontières respectives… Départ le lendemain vendredi dès l’aube. Pour l’heure il fallait s’occuper du signalement au port de Toulon, aux douanes, déposer la plainte en bonne et due forme auprès de la gendarmerie maritime et bien sûr pondre le petit baratin à glisser sous la photo de leur Maggic Blue avant de tirer les tracts…

Saint-Mandrier, Le Brusc, Sanary, Bandol, La Ciotat, Cassis, Marseille, etc…, d’un côté ; Carqueiranne, Hyères, Bormes, Le Lavandou, Cavalière, etc., de l’autre ; c’était parti pour trois jours au bas mot. Le truc auquel ni l’un ni l’autre n’avait pensé, c’était le Crossmed, organisme de secours en mer, en veille 24/24 dont le siège était pourtant à Toulon. Plus exactement dans la commune voisine du Pradet, sur une haute colline dominant la grande rade de Toulon. En route sur la corniche vers sa première cible, le petit port de Carqueiranne, Cap’tain Philip passa du coup devant le panneau indiquant le Crossmed. Le chemin montait vers le sémaphore. Tiens, finalement il allait commencer par là. Cap’tain Philip s’y engagea. La pente était raide, caillouteuse et tortillarde, mais mon capitaine se montra prudent pour une fois et parvint au pied de la tour blanche du sémaphore. Il béquilla son petit bolide rouge avant de s’aventurer dans le local du rez-de-chaussée, son paquet de tract sous le bras.

Et là surprise !!!

- Maggic Blue ?

Ça venait de faire tilt à l’oreille de l’officier de quart. Il l’avait lu quelque part un moment plus tôt ou peut-être la veille…

Cap’tain Philip avait patienté pendant que le jeune officier reprenait un à un les fax en pile sur le bureau.

Voilà. Il avait retrouvé. C’était un signalement de la gendarmerie maritime de Cassis... Ça datait du mardi 3 septembre.

Au cours d’une visite de routine de la vedette de gendarmerie dans la calanque de Port Miou. Le gardien du petit port avait signalé aux gendarmes, qu’un voilier s’était amarré sans autorisation à la place d’un sociétaire parti en mer.

Ce n’était pas aux gendarmes maritimes de gérer les droits dus aux ports privés, ils allèrent cependant jeter un œil. La routine. Le voilier paraissait à l’abandon ;  en tout cas il n’y avait personne à bord. Le panneau de descente était fermé à clef. Les gendarmes se contentèrent de noter le nom : «Lucy6» et le port d’attache : «Toulon». Ce faisant, ils remarquèrent que le nom était pour sa part assez grossièrement repeint sur une simple plaque de contreplaqué mal fixée qui masquait le précédent nom du voilier « Maggic blue ». Ils portèrent le tout sur leur main courante et transmirent le signalement à la douane et au Crossmed, la routine toujours…

C’est dans ce fax-là que les yeux de l’officier de quart du Crossmed avaient accroché ce nom inscrit en gras sur le tract que Cap’tain Philip lui avait tendu un instant plus tôt… À en croire son visiteur, «Maggic Blue», ce n’était pas l’ancien nom de mon oncle, mais le vrai nom du voilier qui venait de lui être volé.

Bien sûr les problèmes de vol de bateaux , n’étaient pas du ressort du Crossmed, mais de celui de la gendarmerie maritime. Mon capitaine n’avait plus qu’à remercier chaleureusement le jeune officier pour sa mémoire visuelle hors pair et à filer à la gendarmerie maritime de Cassis qui n’était qu’à cinquante kilomètres. Car rentrer dans des explications forcement tortueuses au téléphone ne ferait que faire perdre un temps précieux. Par contre il appela Isabelle pour savoir où elle en était. Elle n’était encore qu’au Brusc, soit bien avant Cassis. Elle y serait cependant avant mon Capitaine qui devait commencer par traverser Toulon et ses embouteillages matinaux. Heureusement le patron était en moto. Ils se donnèrent rendez-vous devant le bureau de la gendarmerie maritime de Cassis.

Trois quarts d’heure plus tard la rutilante bécane rouge stoppa contre la vaillante deux pattes verte. Isa n’était là que depuis dix minutes.

Il en fallut dix de plus pour expliquer l’affaire à un premier gendarme, puis à son chef direct. Par la route, la Calanque de Port Miou n’est qu’à trois kilomètres de Cassis. Les deux gendarmes acceptèrent mon Capitaine dans leur fourgon. Isabelle suivait avec la «deuche».

Le gardien du port était à son poste. Quand il avait fait sa ronde la veille vers sept heures du matin après avoir pris le relai du gardien de nuit , le voilier «pirate» n’était plus là. Il était donc parti dans la nuit de mercredi à jeudi… On était vendredi matin. Mon oncle avait donc largué les amarres un peu plus de vingt quatre heures plus tôt…. À l’avis du gardien, le bateau avait déjà dû arriver de nuit, car s’il était arrivé pendant ses heures de travail, le gardien l’aurait empêché de prendre cette place réservée. Probablement la nuit de lundi à mardi, autant qu’il s’en souvienne. Mon oncle était donc resté 48H, seul au fond de cette calanque. Un type l’avait amarré là au beau milieu de la nuit, s’était évanoui dans la nature et était revenu deux nuits plus tard le déhaler très discrètement vers la sortie de la calanque, puisque le gardien de nuit n’avait rien entendu ni à l’arrivée, ni au départ…

De retour à Cassis, les gendarmes maritimes firent des photocopies de l’acte de Francisation et assurèrent qu’ils allaient lancer une recherche avec le nouveau nom de mon oncle et poursuivre l’enquête. De leur côté mon capitaine et Isabelle allaient poursuivre leurs recherches de port en port. Mais il fallait d’abord retirer un tract qui comportât les deux noms.

On était déjà au début de l’après-midi. Ils mangèrent un sandwich ensemble, puis trouvèrent sans peine un magasin pour tirer leur nouveau tract. Ils repartirent ensuite chacun de leur côté, conscients d’avoir loupé le coche à quelques heures près. Il leur fallait un autre coup de bol !

Isabelle et mon capitaine se retrouvèrent le dimanche soir devant une pizza et une bouteille de valpolicella sur le port marchand de Toulon. Ils n’avaient rien appris de nouveau mais avaient parlé avec des tas de gens et couvert d’affiches capitaineries et bureaux du port à 250 kilomètres à la ronde. Maintenant il fallait attendre… attendre un deuxième coup de bol et cette fois réagir comme l’éclair.

La bouteille vidée, mon capitaine rentra sur Hyères et Isabelle vers sa Camargue.

&&&&&&

Dans la matinée du lundi c’est à Hyères que le téléphone sonne. L’interlocuteur de Cap’tain Philip se présente ; C’est le grutier du club d’aviron de l’Estaque à Marseille. Il a vu l’affiche posée par Isabelle à l’entrée du club house et a justement sur son planning de travail de la journée plusieurs bateaux à sortir dont un gin-fizz, du nom de « Lucy ». Mon capitaine remercie le grutier et lui assure qu’il sera sur place rapidement. Il prend le temps d’avertir Isabelle qui décroche à la première sonnerie. Ils sont à égale distance de Marseille, grossièrement une heure de route chacun. Mon capitaine prend encore le temps de chercher dans l’annuaire téléphonique, le numéro du commissariat de l’Estaque. Il ne tombe pas directement dessus. Mais on finit pas le lui passer. Mon capitaine explique son histoire aussi rapidement que possible, ajoute qu’ils peuvent également s’informer auprès de la gendarmerie maritime de Cassis qui est déjà au courant, qu’enfin lui-même sera sur place d’ici une heure.

A 10H15 mon capitaine arrive à l’Estaque. Le club d’aviron de l’Estaque est en fait une des multiples petites concessions qui composent le port de plaisance et de pêche de l’Estaque, alignées le long de la route littorale qui mène vers Carry et Saussay les pins. Derrière le portail blanc grand ouvert Cap’tain Philip aperçoit mon oncle sur un ber métallique. Les policiers sont déjà sur place. Mon capitaine se présente. L’OPJ lui fait confirmer que c’est bien le bateau recherché et qu’il en est bien le propriétaire. Mon capitaine confirme en précisant qu’il n’est que copropriétaire et qu’une autre des copropriétaires va arriver d’un instant à l’autre. Le policier lui demande s’il peut la joindre au téléphone pour lui demander de se rendre directement au commissariat de l’Estaque puisque les individus interpellés à bord du bateau s’y trouvent déjà.

Mon capitaine s’exécute avant de suivre le break de l’OPJ jusqu’au commissariat.

Au commissariat qui n’est qu’à quelques centaines de mètres, mon capitaine est confronté aux quatre types interpellés sur le bateau à peine une heure plus tôt. Il ne les connaît pas. Trois ont entre 25 et 30 ans. Le quatrième quelques années de plus. On donne une cinquième chaise à mon Capitaine et l’OPJ s’assoit derrière le bureau pour d’examiner l’acte de francisation que lui a confié mon Capitaine en se présentant quelques minutes plus tôt. En fait le policier est en train de comparer le document à un autre document similaire, l’acte de francisation qu’à présenté de son côté le plus âgé des quatre types…

Les deux documents estampillés par les douanes paraissent parfaitement authentiques. Ils concernent bien le même bateau, un Gin fizz / ketch / 11m40/ 15,6 tonneaux/ coque blanche/ Moteur Perkins 40 chx. Seule l’année de construction diffère 1976 pour mon oncle , 1975 pour Lucy…

Pourtant la plaque de contreplaqué fixée à la hâte pour masquer le nom de baptême de mon oncle, bien calligraphié en Elzévir de la même peinture bleue roi que le nom du port d’attache ne laisse guère de doute aux policiers.

Devant l’évidence le gars se met à table. Il est bien le propriétaire de Lucy, mais la véritable « Lucy » tombe en ruine dans le port à sec de Martigues. Toutefois, il ne s’agit pas d’un vol, mais d’une entente avec le skipper de «Maggic Blue», ici présent et il désigne sans ambages mon Capitaine qui vacille sous le coup… «Le coup de l’assurance» prétend le gars qui se prénomme Francis, comme on vient de l’apprendre à l’arrivée d’Isabelle. Isa connaît ce type en effet. Elle l’a rencontré à Aix, où elle était étudiante, deux ou trois plus tôt. Francis était déjà skipper professionnel sur Marseille mais fréquentait les mêmes bars qu’elle derrière le cours Mirabeau.

C’est au tour de mon capitaine et d’Isabelle de passer sur le grill. La version de Francis est crédible, d‘autant qu’il la maintient mordicus malgré les dénégations des deux copropriétaires. Comble de malchance, les flics n’ont pas trouvé le contrat d’assurance sur le bateau. Ce n’est qu’en fin d’après-midi qu’une troisième copropriétaire, Christiane, arrivera de Toulon avec une copie dudit contrat. Christiane a en effet repris le boulot, elle, et a dû finir sa journée de cours au collège avant d’aller chercher la copie du contrat chez elle et se mettre en route pour Marseille.

La version de Francis est soudain mise à mal… Maggic blue est assuré contre la fortune de mer et l’incendie mais pas contre le vol !

Ce n’est que tard dans la soirée que Christiane, Isabelle et mon Capitaine pourront quitter les lieux et que les quatre voleurs seront placés en garde à vue. Le bateau restera sous scellés car les policiers ont saisi de la drogue à bord.

L’histoire n’est donc pas finie.

La suite immédiate est franchement comique ! Disons un court intermède comique dans cette sombre galère…

Voilà la petite Ford blanche de Christiane en  route pour Toulon. Il est un peu plus de neuf heures du soir. Isabelle est partie dans l’autre sens avec sa deuche. Mon capitaine est au volant, Christiane à ses côtés.  Il n’y a que dix minutes qu’ils ont quitté l’Estaque. Ils arrivent sur la Joliette. Mon capitaine a soudain l’impression qu’une voiture les suit. Il accélère. L’autre voiture aussi. Il brûle un feu rouge, puis deux, accélère encore… L’autre voiture est toujours là ! Soudain sirène,  phare clignotant bleu… C’est la BAC !!! Mon capitaine s’arrête cette fois gentiment au bord du trottoir. Les flics font descendre les deux cascadeurs de leur véhicule. Entre la journée éprouvante, les surprises à répétitions, les questions tordues des flics de L’Estaque et finalement le rodéo avec la BAC, Mon Capitaine est sonné ! C’est heureusement Christiane qui prend la parole, explique la dure journée du capitaine, le vol du bateau, l’arrestation des voleurs, la journée au commissariat de l’Estaque… Les deux jeunes flics écoutent patiemment la jeune femme jusqu’au bout et leur réaction est inespérée…

- Vous retournez sur Toulon, c’est bien ça ? Alors reprenez le volant de votre voiture, Madame, rentrez tranquillement chez vous et prenez soin de votre ami qui semble en effet avoir besoin de repos.

Ces deux gars là n’étaient sans doute pas à la recherche de brûleurs de feu rouge ; dans le quartier il y a probablement du plus gros gibier…

&&&&&&&&&

C’est deux jours plus tard, le mercredi après midi que les nouvelles arrivent.  Les copropriétaires peuvent passer récupérer les papiers du bateau au commissariat de l’Estaque. Le lendemain est un jour de semaine, Christiane dépose mon capitaine très tôt devant le commissariat. Son premier cours au collège n’est qu’à neuf heures ce jeudi-là.

Au commissariat de l’Estaque, il n’y a plus que Francis. On l’a sorti de sa cellule pour une dernière confrontation avec mon capitaine. Il a en effet écopé d’un mandant de dépôt après avoir été mis en examen la veille à l’issu de sa garde à vue.

Les trois autres types ont été relâchés. Le cannabis saisi ne correspondant sans doute qu’à la consommation personnelle de l’un d’eux. Le seul tort de ces trois gars-là, c’est qu’ils ont répondu à une annonce de la revue «Bateaux» passé par Francis quelques semaines plus tôt…

Ce Francis ne manque donc pas d’un sacré culot ! Il proposait une croisière évidemment payante vers la mer rouge via le canal de Suez sur «son4» Gin fizz Lucy. Ses trois clients avaient embarqué leurs affaires au club d’aviron de l’Estaque le samedi, lendemain de l’arrivée du bateau à l’Estaque.

Si les flics ont fait sortir Francis de sa cellule à la demande du juge d’instruction désigné la veille, c’est que ce dernier voudrait savoir si il n’y a pas une entente entre le dernier locataire du bateau et l’ami Francis. Le dit locataire ayant ramené mon oncle le samedi après-midi à son poste d’amarrage au port marchand, et Francis ayant probablement appareillé discrètement dans la nuit du lendemain pour rentrer tout aussi discrètement la nuit suivante dans la calanque de Port Miou. Cette relative coordination paraît quand même étrange et c’est bien pour cette raison que les policiers ont prêté au départ une oreille attentive aux dire du prévenu qui accusait purement et simplement mon capitaine de collusion. Celui-ci étant apparemment hors de cause, le mystère reste entier.

Evidemment l’ami Francis assure que non. Pourquoi mouillerait-il un copain, si copain il y a ? Quant à mon capitaine, même si ça lui paraît probable, au fond il n’en sait rien. Et pour tout dire, maintenant qu’il est sur le point de récupérer leur bateau, il s’en fout un peu… Pourquoi compliquer l’affaire ? Risquer que l’enquête se prolonge ? Il répond donc qu’il connait bien le locataire (ce qui n’est pas vrai5) et qu’il pense donc que non ; que celui-ci n’a rien à voir dans l’histoire…

Tout pourrait s’arrêter là, cette fois ! Tout est bien qui finit bien pour mon oncle et mon capitaine de nouveau réunis !!!

Mais non !

Cette fois pourtant, mon capitaine rentre au club d’aviron, l’acte de francisation de mon oncle sous le bras, ses clefs dans la poche. Le planning du grutier n’est pas trop chargé ce jour là. Il remettra mon oncle à l’eau après sa pose déjeuner. Pose déjeuner que les deux hommes vont du coup faire ensemble au bar du petit club. Mon capitaine va de la sorte apprendre nombre de détails qu’il ignorait encore…

La remise à l’eau du bateau était initialement prévue le mercredi. Ce qui correspond au « forfait carénage » que propose le club : sortie + remise à l’eau + 2 jours gratuits sur le terre plein. Comme le lui précise le grutier. Autrement dit, à l’heure qu’il est, sans l’affiche posée par Isa et la réaction providentielle de son interlocuteur, mon oncle serait déjà loin… définitivement hors de portée !

À sa décharge, Francis est manifestement un professionnel averti. Il n’a pas pris le risque de traverser la méditerranée de part en part sans jeter un coup d’œil sur la carène, l’arbre d’hélice et les anodes, quitte à en profiter pour partir avec une coque propre. À moins que les doutes du juge d’instruction ne soient finalement justifiés et que le précédent locataire de mon oncle qui venait de skipper le bateau six semaines durant, n’ait été justement « un copain » de Francis et lui ait signalé un problème urgent qui ne pouvait être réglé que le bateau hors de l’eau ?

On ne le saura pas, car le grutier n’a rien remarqué de particulier en tirant le bateau. Ce qu’il a noté par contre, c’est que deux au moins des prétendus clients de Francis avaient l’air franchement louches…

La manœuvre de remise à l’eau terminée, il est presque trois heures. Mon capitaine a une petite dizaine d’heures de route jusqu’à Toulon ; il va ranger le bateau. Diner juste en face au «  petit Naples », une des pizzerias les plus renommées de Marseille, passer une bonne nuit à quai et partir à l’aube le lendemain.

Côté rangement, il y a du boulot ! Le bateau a été fouillé de fond en comble… Autant s’y mettre tout de suite !

Ce faisant, quand il en arrive à la table à carte et à la couchette cercueil qui s’enfonce vers l’arrière, sous l’hiloire du Cockpit. Il trouve tout au fond un sac en skaï marron. Ouvert et vide. C’est un vieux sac. Mon capitaine n’aime pas la couleur et s’apprête à le joindre à la pile de trucs qui grossit à vue d’œil au pied de la descente en attendant de migrer vers les poubelles dans un moment, le rangement achevé.

Il y a plus de lumière à cet endroit ; mon capitaine jette un dernier coup d’œil à l’intérieur du sac avant de le balancer sur la pile. Un coin de papier glacé dépasse du fond rigide du sac. Mon capitaine fait le curieux, essaye de tirer la feuille. Ça ne vient pas. Il arrache les quatre bouton-pression qui fixent la plaque de carton bouilli sur le fond du sac….

Huit liasses de billets neufs bien alignés serrées dans leur ruban vert !!! Elles sont assez minces. Car il ne s’agit pas d’un véritable double-fond. Les liasses étaient juste glissées sous cette plaque de carton plastifié destiné à rigidifier le fond du sac. Cent billets par liasse, au jugé. Mais mon Capitaine ne va pas tarder à s’en assurer. Les billets semblent tous identiques. Il commence par en extirper un de sa liasse. Ce sont des billets de 100 Marks récents. Reste à vérifier le nombre de billets par liasse…

C’est bien sûr tentant de le faire sur le champ, mais un signal vient de s’allumer chez mon Capitaine… L’urgence c’est de décamper vite fait, pas de se lancer dans des calculs savants ! Il fera nuit dans deux heures. Qu’à cela ne tienne, une fois doublé l’îlot Tiboulen Maire qui marque l’entrée sud de la rade de Marseille et débordé l’île Riou, une paire de milles plus loin, il n’y a qu’un seul danger avant le cap Cépet à l’entrée de la grande rade de Toulon. C’est « La Cassidaigne, au large de La Ciotat. Tous les marins le connaissent. Une balise lumineuse qui porte à plusieurs milles est perchée sur le récif. En 1985, il n’y a pas encore de GPS et autres traceurs de carte, ni de radar sur la moindre coque de noix ! Mieux vaut savoir où on va mettre sa quille avant de passer la nuit en mer…

Bref, vu sa trouvaille mon capitaine démarre le Perkins dans la foulée. Check-list rapide pendant que le bourrin chauffe. Dans dix minutes il aura quitté le quai…Il aura tout le temps de calculer sa nouvelle fortune en route. De fait, cette fortune n’est pas à proprement parler la sienne, puisqu’ils sont cinq… Peu de chance que mon oncle ferme les yeux sur une quelconque entourloupe. La nuit porte conseil… Quand Maggic Blue se glissera entre les feux d’entrée de la  rade de Toulon vers la fin de la nuit, mon capitaine aura pris une décision…

La traversée se passe, calme. La nuit aussi. Les comptes sont arrêtés à 80 000 marks, soit un peu moins de 400 000 francs de l’époque mais un peu plus que la valeur du bateau pirate. Sans être Salomon, mon capitaine qui est déjà en train de tourner ses amarres sur le ponton du port Marchand où mon oncle a enfin retrouvé sa place attitrée, a pourtant rendu son jugement : le butin sera divisé en parts, suivant la tradition des pirates, mais aussi des chasseurs d’épaves et des équipages de pêche. Cette fois ce ne sera pas une moitié pour bateau, puis quatre pour le pacha, deux pour chaque matelot et une pour le mousse. Les cinq intéressés étant cette fois armateurs à parts égales du voilier pirate, il faut trouver autre chose. Ce sera deux parts pour mon capitaine et Isabelle, sans qui mon oncle serait déjà à mi-chemin de la mer rouge et une pour chacun des trois autres armateurs.

Cette fois l’histoire devrait s’arrêter là : fortune faite, les heureux armateurs fêtèrent leur butin à même le tonneau dans un  estaminet du port et se séparèrent dans l’attente d’une prochaine prise…

Non ! Une fois de plus !!!

Ce qui arriva c’est que l’amarrage de mon oncle une fois solidement doublé, mon Capitaine s’installa à un bistrot du carré du port pour un crème, des croissants chauds et le journal du jour. En effet, le bureau de change contre lequel il s’était installé en terrasse n’était pas encore ouvert…

Lorsque ce fut le cas, il s’y présenta. Il n’avait emporté qu’un seul des billets trouvé dans le sac de voyage. Le caissier refusa de le changer. Il était faux !

Il était temps cette fois d’informer ses associés. Mon capitaine les appela successivement. Le rendez-vous était pour le soir même, à « La flambée », une pizzeria du port marchand où ils avaient leurs habitudes. Seule Isa habitait un peu loin, mais mon capitaine l’assura qu’elle ne regretterait pas son déplacement.

Ils avaient l’habitude de se mettre en terrasse à cette saison, mais cette fois ils choisirent une table à l’écart à l’intérieur et pendant que les pizzas commandées cuisaient dans le grand four à bois, mon capitaine en vint au fait mezzo voce. Les pizzas arrivèrent avec une troisième bouteille de Chianti imposant un silence relatif… Chacun réfléchissait. Mon capitaine attendait encore que les avis tombent quand les cafés arrivèrent à leur tour. Il envisageait que sa proposition pourrait être contestée et était tout prêt à s’adapter à un aménagement…

Il se passa autre chose… Deux des armateurs déclinèrent l’offre. Non qu’elle leur parût inéquitable, mais détenir des faux billets était un délit ; tenter de les écouler en toute connaissance de cause en était un autre, plus grave. C’est ce qui motivait leur décision.

Il fallait donc trouver un  partage entre les trois autres. Isa, mon Capitaine et le second à la mer, déjà pirate dans l’âme et de longue date. Cette fois, ils firent au plus simple ; part à trois. À chacun de se démerder avec sa part. Pour les deux autres c’était donc peanuts et silence absolu sur l’histoire.

Cette fois l’histoire devrait s’arrêter là : fortune faite, les heureux armateurs fêtèrent leur butin à même le tonneau dans un  estaminet du port et se séparèrent dans l’attente d’une prochaine prise…

Non ! Une fois de plus !!!

Ce qui arriva c’est que l’amarrage  de mon oncle une fois solidement doublé, mon Capitaine s’installa à un bistrot du carré du port pour un crème, des croissants chauds et le journal du jour. En effet, le bureau de change contre lequel il s’était installé en terrasse n’était pas encore ouvert…

Lorsque ce fut le cas, il s’y présenta. Il n’avait emporté qu’un seul des billets trouvé dans le sac de voyage. Le caissier refusa de le changer. Il était faux !

Il était temps cette fois d’informer ses associés. Mon capitaine les appela successivement. Le rendez-vous était pour le soir même, à « La flambée », une pizzeria du port marchand où ils avaient leurs habitudes. Seule Isa habitait un peu loin, mais mon capitaine l’assura qu’elle ne regretterait pas son déplacement.

Ils avaient l’habitude de se mettre en terrasse à cette saison, mais cette fois ils choisirent une table à l’écart à l’intérieur et pendant que les pizzas commandées  cuisaient dans le grand four à bois, mon capitaine en vint au fait mezzo voce. Les pizzas arrivèrent avec une troisième bouteille de Chianti imposant un silence relatif… Chacun réfléchissait. Mon capitaine attendait encore que les avis tombent quand les cafés arrivèrent à leur tour. Il envisageait que sa proposition pourrait être contestée et était tout prêt à s’adapter à un aménagement…

Il se passa autre chose… Deux des armateurs déclinèrent l’offre. Non qu’elle leur parût inéquitable, mais détenir des faux billets était en délit ; tenter de les écouler en toute connaissance de cause en était un autre, plus grave. C’est ce qui motivait leur décision.

Il fallait donc trouver un  partage entre les trois autres. Isa, mon Capitaine et le  second à la mer, déjà pirate dans l’âme et de longue date. Cette fois, ils firent au plus simple ; part à trois. A chacun de se démerder avec sa part. Pour les deux autres c’était donc peanuts et silence absolu sur l’histoire.

Maggic blue 

Cette fois l’histoire de mon oncle se termine là. Il vécut heureux, retourna plusieurs fois à Malte, connut bientôt les côtes et archipels de Sicile aussi bien que les anciens et ne quitta mon Capitaine et son second qu’à un  âge avancé. L’histoire des trois parts, amis lecteurs, vous ne la connaitrez pas. Toutefois pour vous remercier de m’avoir lu jusqu’au bout une nouvelle fois, je vous livre le destin des derniers faux marks de mon capitaine… Ils finirent, plusieurs années plus tard, étouffés dans la poche de caban du fêtard par la main leste d’une très jolie pute du port de Massawa. Mon Capitaine ne lui en voulut pas, au contraire même ! Imaginant avec sagesse que ces dernières munitions étaient peut-être celles qui l’auraient malencontreusement fait gauler le jour suivant ou quelques temps plus tard par quelque fonctionnaire par trop tracassier !

Fin de l’épisode